Sykes-Picot ou la narration d’un morcellement continu
Le centenaire de Sykes-Picot n’a cessé de faire couler de l’encre notamment parmi l’intelligentsia arabe. La récente version arabe du livre d’Amir Nour «L’Orient et l’Occident à l’heure d’un nouveau Sykes-Picot», édition Alam El-Afkar, 2016, Alger, en est une illustration. C’est un livre qui doit être au chevet de tous ceux qui sont préoccupés par le passé et l’avenir de notre région commue voire notre destin futur. Ainsi, cet article qui a pour ambition de revisiter cet évènement charnière de l’histoire sera suivi d’un autre plus académique et à forte teneur analytique et géopolitique. Disons, d’abord, que si notre région était, à travers ses dirigeants et ses peuples, un simple acteur passif, puisqu’elle figurait parmi la liste des perdants, les vainqueurs ont hérité de la géographie, mais aussi de l’histoire. Les victorieux ne gagnent pas seulement la guerre sur le terrain de combat, mais sa narration également. Leur vision de l’histoire devient la vision de l’histoire (McMill 2016).
Après l’armistice de Mudros du 11 novembre 1918, les victorieux ont aussitôt configuré un monde selon leurs souhaits. Une année plus tard, et dans le hall des miroirs au palais de Versailles, les alliés ont pris la tâche rapace du démembrement des empires austro-hongrois et allemand et de redessiner la carte de l’Europe. Une année plus tard, l’action diplomatique se déplaça vers la station balnéaire italienne Rivera puis à la banlieue parisienne des Sèvres où les alliés ont démembré l’Empire ottoman et redessiné la carte du Moyen-Orient. Tel est le résumé d’un processus hégémonique occidental dont les effets restent indélébiles. En effet, la Russie avait quitté la guerre en 1917 suite à la Révolution d’octobre et l’effondrement de l’empire des Romanov. Les Etats-Unis et l’Italie ont, pour des raisons internes, abandonné les négociations avant que la réunion de Sèvres n’obtînt de conclusion. Quant à l’Empire ottoman vaincu, il ne fut point dans une posture qui lui permettait de négocier et assista dans l’incapacité à son propre déchiquètement. En fin de compte, si Sykes-Picot commença comme une entente cordiale, c’est au Traité de Sèvres, du 10 août 1920, qu’il doit sa concrétisation. A Sèvres, la France obtint le Liban et la Syrie. La Grande-Bretagne prit l’Irak, la Palestine et la Transjordanie. En plus de cela, Londres maintint l’Egypte et les ports situés au long des côtes arabes et retint le contrôle et l’influence en Arabie. L’Empire ottoman fut réduit à un steak de croupe dans ses terres centrales d’Anatolie. Et rien ne fut en mesure de contester la volonté des deux empires, la France et la Grande-Bretagne. Mais faut-il encore souligner que ce processus de partage et de retraçage de la carte géographique du Moyen-Orient et ailleurs eut lieu sur un fond de divergence et d’animosité. Sous le vernis de l’harmonie des conférences de la paix, la réalité était très différente et cruelle. «Trahison, poignardage dans le dos et promesses non tenues furent à l’ordre du jour. Et les alliés avaient peu de scrupules à se mentir les uns aux autres, et encore moins à mentir aux peuples du Moyen-Orient», disait McMill (2016, 94). Le destin de la Grande Syrie fut une illustration parfaite de cela. La France la voulait et Georges Picot croyait l’avoir assurée. Mais ses négociations avec son homologue britannique en 1915-16 n’ont donné aucune chance à ce à quoi la Grande-Bretagne était prête en Arabie et les effets que ces actions vont avoir sur la Grande Syrie.
L’intérêt de la Grande-Bretagne pour l’Arabie datait de siècles et la stratégie de Londres n’a pas changé à travers le temps. Celle-ci focalisait à travers les XIXe et XXe siècles sur le développement de liens étroits avec un nombre restreint de familles influentes au pouvoir. A cette époque, trois familles rivales se disputaient le contrôle de ce territoire vaste d’Arabie : Al-Racheed au nord, Al-Saoud au centre et les Hachémites à l’ouest. Prétendument, les descendants du prophète Mohammed (QSSSL), les Hachémites jouissaient d’un prestige spécial notamment avec leur chef, le chérif Hussein, qui fut le responsable des cités saintes de La Mecque et Médine. En cette qualité, ce personnage représentait plus d’une opportunité pour la Grande-Bretagne. Il pouvait, par exemple, user de son prestige de descendant du Prophète et patron des Hachémites pour lancer, avec un soutien logistique anglais, une guerre sainte contre les Ottomans et leur sultan, et servir les intérêts britanniques au Moyen-Orient, contre des promesses d’être doté d’un royaume. C’est ce qui arriva réellement même si rien n’a été spécifié sur ledit royaume. En effet, en octobre 1915, peu avant la rencontre de Mark Sykes et de George Picot, Sir Henry McMahon, le Haut-Commissaire britannique en Egypte envoya l’infâme lettre au chérif Hussein, dans laquelle il dit qu’il lui sera attribué la région entière sauf les parties de la Grande Syrie que la France voulait. Mais comme il était basé au Caire, Sir McMahon n’a jamais consulté Londres concernant l’octroi d’une telle promesse et la capitale britannique resta délibérément vague. L’ambiguïté encouragera le chérif à croire ce qu’il voulut croire et il voulut la Grande Syrie comme une partie de son royaume. Rendue fameuse par l’implication de l’espion britannique et principal artisan de la révolution arabe de l’époque, Thomas Edward Lawrence, dit communément Lawrence d’Arabie, la révolte arabe se déclencha en 1916 et réalisa certains objectifs militaires britanniques au Moyen-Orient. Pourtant, dès le début, il était clair, l’ambition du chérif n’était pas à la mesure de sa popularité et la révolte arabe ressemblait peu au soulèvement massif auquel s’attendaient les Anglais. Même si la répression ottomane était farouche et sans pitié avec réquisition des récoltes et des animaux et une famine qui sévissait (la vieille génération au Liban se rappelait avec un frémissement ce que le peuple était forcé à faire pour acheter les plus petites quantités de nourriture), cette révolte fut pour la plupart des musulmans un Rubicon difficile à franchir par l’acte fratricide et l’alliance avec les Européens qui occupaient déjà une grande partie de l’Afrique du Nord musulmane (Beckett, 2014, 108). En 1917, Lawrence et le chérif arrivèrent à saisir le port d’Aqaba sur le côté de la mer Rouge. Ce fut, en général, une bonne année pour les Anglais au Moyen-Orient, car les troupes impériales (dont la majorité était indienne) conquirent l’Irak en mars et en décembre, le général Sir Edmond Allenby prit la Palestine depuis l’Egypte et arriva à Jérusalem le jour de Noël. A la différence du grand kaiser Wilhelm II qui entra dans l’ancienne cité sur le dos de son cheval, en cet automne de l’année 1898, Allenby y entra, le 11 décembre, à pied par la porte de Jaffa (Millgram, 1990, 265). Bruce croit qu’Allenby voulait que son entrée soit rappelée autrement (Bruce, 2013, 1). Et Damas fut le prochain objectif. En effet, en octobre 1918, les forces britanniques prirent la Palestine et la Syrie. Ici, également, l’entrée des Alliés était délibérément bien chorégraphiée. Fayçal, le fils du chérif était au-devant des troupes lorsqu’il entra dans la cité qui a, à un certain moment, gouverné le monde arabe. La manière dont cette entrée s’est faite ressemblait beaucoup plus à une libération locale qu’à une invasion étrangère. Fayçal et ses hommes arrivèrent très en retard et l’armée d’Allenby devait prendre la cité elle-même. Mais ce retard ne dérangea guère les Britanniques et Fayçal. La bataille pour la Grande Syrie commença de façon sérieuse. Les Français insistaient pour que Sykes-Picot soit honoré et réclamèrent la Syrie comme la leur. Fayçal insista autrement. Il tenta de rassembler un soutien nationaliste pour une Syrie indépendante et s’autoproclama roi. Dans le chaos qui s’ensuivit, la loi et l’ordre s’effondrèrent. Avec presque toutes les provinces ottomanes du Moyen-Orient sous leur commandement militaire, les Anglais ne virent aucune raison d’assister les ambitions impérialistes françaises et cherchèrent des moyens pour passer outre Sykes-Picot. Fayçal fut de nouveau un pion utile dans leur grand jeu. C’est pourquoi il fut le seul Arabe à avoir été invité de s’adresser aux conférences de paix de Paris. Il y fut invité pour l’unique raison d’être favorable aux intérêts britanniques, contrairement à d’autres notabilités politiques arabes qui cherchaient à défendre la cause de leur nation à Paris. La délégation égyptienne (El-Wafd) qui fut empêchée de participer aux conférences vit son dirigeant Saad Zaghloul envoyé en exil à Malte. Cette situation poussa la population à se soulever en mars 1919 contre cette décision et les Britanniques déployèrent leur armée dans ce pays et désignèrent le général Allenby (devenu lord) pour le gérer (Moss, 2014, 6). Au sein de la Grande Syrie, Fayçal ne fut pas en mesure de gagner un degré de soutien à ses prétentions de roi. Les gens qui ont auparavant fait preuve de peu d’enthousiasme pour le nationalisme ont changé de position quand cela signifiait l’indépendance d’une puissance européenne plutôt que des Ottomans musulmans. Mais l’appel de Fayçal n’eut qu’un écho limité par le fait qu’il n’était pas, lui-même, un Syrien de souche. La situation turbulente en Grande Syrie était finalement réglée dans le sens de l’institution d’une politique moyen-orientale qui se poursuivit durant le XXe siècle. La France rejeta ce fait accompli. Le 24 juillet 1920, ses forces s’attaquèrent aux partisans de Fayçal à Mayssaloun, près de Damas. Toutes les armes étaient mises à contribution, des forces aériennes à l’artillerie lourde. Moins armés, et peu nombreux, les hommes de Fayçal furent très rapidement défaits. Les habitants de Damas furent abasourdis par les bombardements. Fayçal s’évada vers le sud, dans la zone de ses vassaux britanniques (Beshara 2011, 278). Pour décrire cette détresse, le fameux poète Ahmed Chaouki se lamenta dans un célèbre poème :
Depuis Saba Barda j’envoie, O Damas un hommage très fin à toi
Un hommage couplé d’un flot des larmes et d’émoi
Pardon pour mes rimes et pardon ma plume infime,
Indescriptible est ce drame horriblissime. [Notre traduction].
Fayçal, la marionnette des Britanniques
La ville cède et le 26 juillet, le général Henri Gouraud se rendit directement au tombeau de Salah–Eddine, vainqueur de Hittine. Et dans une sorte de ferveur chrétienne et de manque d’à-propos, selon les termes du général Catroux, il évoqua une revanche de la croix sur le croissant (Catroux, Lerner, 1990, 78). Le pied sur la tombe du grand conquérant et maître de Damas, il dit : «Réveille-toi Saladin, nous sommes de retour.» (Thompson 2000, 69). Dans la lutte pour la Syrie, les Britanniques se montraient prolifiques en promesses conflictuelles, aux Français comme à Fayçal. Quand cela leur convint, ils disaient aux premiers, la Syrie est la vôtre. Et quand il leur convint autrement, ils disaient au second que «la Syrie t’appartient». Mais à la fin, quand d’une manière ou d’une autre, ils devaient trancher, ces Britanniques firent ce qu’ils ont toujours fait au Moyen-Orient et se rangèrent du côté de la puissance impériale sœur, la France. Cependant, Fayçal ne fut pas totalement abandonné par les Anglais. Il obtint un royaume après tout. Mais non pas du genre qu’il espérait. Il fut fait roi d’un royaume nouvellement créé, l’Irak. Mais après trois années d’occupation militaire anglaise, ce pays connut un soulèvement tribal durant l’été 1920, qui s’est avéré difficile à réprimer et coûta la vie à des milliers de personnes. Etant donné l’atmosphère tendue dans ce pays, les Britanniques se résolurent à le régir à travers un gouverneur marionnette à travers lequel ils exerceront leur pouvoir (Rutledge, 2015). Fayçal fut l’homme de la besogne. Londres se mit rapidement à lui assurer un soutien public pour les besoins de son élection comme monarque. Tant de pratiques douteuses y compris de la part de l’homme de la Grande-Bretagne à Bagdad, Sir Percy Cox, furent à l’œuvre. Ce dernier invita le rival de Fayçal à un verre de thé pour l’arrêter aussitôt et le déporter à Ceylan, actuel Sri Lanka. En août 1921, Fayçal remporta miraculeusement presque 100% des votes, et ce, à travers ce qui allait être une autre composante de la politique au Moyen-Orient dans le vingtième siècle et fut dûment déclaré roi. L’écrivain diplomate et faiseur de rois Gertrude Bell, l’acolyte de Cox dans l’arrangement de l’ascension de Fayçal au trône, fut extrêmement exténué par ce travail de cape et d’épée au point de déclarer qu’elle allait et à jamais, jeter l’éponge. Dans ce royaume de Fayçal, dont les artisans furent Bell et Cox, les gérants réels du pays étaient les Britanniques comme en atteste le traité anglo-irakien de 1922. Tout, des finances aux affaires étrangères, est resté sous le contrôle de Londres et le royaume de Fayçal n’avait d’indépendance que le nom. Fayçal lui-même n’apparaît pas très préoccupé par cela, le soutien britannique lui convint. Cela convint à son frère aussi, Abdallah, le chérif de Mecque qui a, lui aussi, obtenu un royaume des Anglais. En cette même année, la province de Palestine fut scindée en deux et Abdullah fut érigé en émir (prince ou gouverneur) de la Transjordanie qui, en 1946, devint le royaume hachémite de Jordanie. A travers les deux fils du chérif, la Grande-Bretagne garantit ses intérêts au cœur du Moyen-Orient. Abdallah resta au contrôle de la Jordanie jusqu’à sa mort en 1956. Son arrière-petit-fils, l’actuel roi de ce pays porte, lui aussi, le même nom. En revanche, la famille de Fayçal n’eut que peu de succès. A Fayçal qui resta au trône jusqu’à sa mort en 1933, succéda son fils Ghazi, dont le fils, un autre Fayçal, fut torpillé puis tué, suite à un coup d’Etat militaire qui amena le parti Baath au pouvoir. S’agissant du chérif, il resta roi sans royaume. Il perdit la bataille pour l’Arabie au profit des Al-Saoud qui réussirent, en 1932, à unifier leurs domaines en un royaume : l’Arabie Saoudite. Ce pays porte, à ce jour, le nom de la famille qui le fonda. La découverte du pétrole allait faire de cette famille l’une des plus riches au monde. Les répercussions régionales du morcellement franco-anglais de la Grande Syrie ont montré à quel degré est la complexité du processus de construction d’Etats lorsque les principaux joueurs font des promesses conflictuelles l’un à l’autre et aux autres parties concernées. Un autre exemple de ce type de double langage diplomatique compliqué eut lieu dans la province ottomane de Palestine, où ce dont elle allait être connue, la Terre promise, deux fois (McMill, 2015) ! Ce drame grandissime fut, en partie, le produit des tentatives diplomatiques britanniques de courtiser les Russes pour les maintenir dans la guerre. En novembre 1917, la Grande-Bretagne émit la Déclaration de Balfour (du nom du secrétaire des Affaires étrangères britannique, Lord Balfour), qui résuma la vision de Londres s’agissant de la future Palestine. Londres crut, à tort, que si les juifs russes restent dissimulés, ils exerceront une grande influence à Petrograd dans le sens que voulait Londres. C’est, somme toute, faire preuve de soutien au sionisme dans l’espoir de maintenir la Russie dans la guerre. La Déclaration de Balfour apparut dans le Times du 9 novembre, soit un jour après la chute du gouvernement provisoire de Russie. En réalité, la Déclaration, bien qu’elle fût trop appréciée par les juifs russes, voulait aussi réaliser l’objectif de mobiliser le sionisme contre le bolchevisme. Cette Déclaration est passée inaperçue chez les nouveaux dirigeants révolutionnaires de la Russie, y compris les juifs d’entre eux, qui ont choisi de sortir de la guerre (Kadish, 2013, 147-149). Mais il demeure que pour certains politiciens britanniques, on tenait plus à la Déclaration de Balfour qu’à une politique de puissance. Le Premier ministre David Lloyd George, décrit comme «un philosémite et sioniste» par l’historien Paul Johnson, fut un sympathisant de première heure de la cause sioniste et il le resta durant vingt ans. Avocat et représentant du mouvement sioniste de Théodore Herzl, il avait des liens personnels avec le Dr Chaïm Weizman, le président de la Fédération sioniste britannique de l’époque (Muravchik, 2015, 2). Weizman était un chimiste de renom avec à son actif sa propre méthode alternative de produire de l’acétone, une composante essentielle des explosifs. Il livra gratuitement le fruit de ses travaux au gouvernement britannique qui n’a pas manqué d’en profiter durant la guerre. En guise de récompense, les Britanniques taillèrent un pays à Israël dont Weizman sera plus tard le premier président (Blashfield, 2008, 30). Enfin, la religion n’était pas, non plus, sans lien avec le soutien de l’élite anglaise au sionisme. A une époque où tout un peuple grandit en lisant la Bible (dans beaucoup de maisons, c’est le seul livre qui existe), les perspectives d’un foyer commun aux juifs dans la Terre sainte attirent fortement beaucoup de révisionnistes protestants. Pas nécessairement intéressés par le soutien aux droits des juifs, ces protestants voient dans le retour des juifs à Sion un accomplissement des prophéties des derniers jours dans le Livre des Révélations. Selon cette prédiction, le Messie réapparaît le jour où les juifs se rassemblent dans la Terre sainte. C’est cette vision qui explique en partie l’agenda de guerre adopté par la droite religieuse aux Etats-Unis, depuis la fin de la guerre froide (Lewis M, 2014, 380). La Déclaration de Balfour est connue pour être un document portant des promesses des plus contradictoires dans l’histoire du Moyen-Orient : le soutien britannique à l’établissement d’un foyer pour les juifs en Palestine, tant qu’un tel foyer ne viole pas les droits des chrétiens et des musulmans qui y vivent déjà. Clairement, une telle promesse va devenir impossible à réaliser. Pis encore, elle ne satisfait aucune partie. Pour les Arabes, disait McMill, elle est allée trop loin, mais pas assez pour les sionistes (McMill 2016, 98). En somme, le jeu britannique fondé sur des promesses contradictoires et malhonnêtes mérite qu’on s’y attarde un peu. Ces positions antinomiques ont été désagréablement vécues même par Lawrence d’Arabie en personne, qui reconnaît dans son fameux «Les sept piliers de la sagesse» que «j’étais l’un des officiers d’Allenby de qui il attend un meilleur retour, mais j’étais également le conseiller de Fayçal qui lui aussi me prend pour son très proche conseiller et se fiait à mon honnêteté et à ma compétence au point de suivre souvent mes avis sans les discuter» (Lawrence, 1935 ,428). Bien plus, Allenby accordait des promesses à tout un chacun, dont même Rothschild, leader d’une nouvelle puissance à la race duquel on promettait d’équivoques avantages en Palestine (Ibid, 691-92). Bien plus, révélait Lawrence, «pour couronner cette architecture contestable, le gouvernement britannique avait amorcé des pourparlers de paix séparés avec les Turcs qui impliquaient le meurtre d’innombrables Arabes combattant à nos côtés. (Lawrence, 1935, 693). Pour rappel, après Sèvres, la commission King-Crane fut instituée pour examiner la question palestinienne. Elle était composée du Dr Henry King, président du collège Oberlin à Ohio et de Charles Crane, un membre du collège Roberts à Istanbul. Ces deux hommes qui entretenaient des liens forts avec Washington, puisqu’ils étaient tous les deux nommés par le président Wilson, voyageaient sans cesse dans la région, recueillant et sondant les opinions des peuples qui seraient directement touchés par les changements proposés en Palestine. Leurs efforts furent vains, car la Grande-Bretagne et la France joignirent, encore une fois, leurs forces pour que le rapport de cette commission reste lettre morte (Hadar, 1992, 41).
En définitive, le Traité de Sèvres a transformé les aspirations de Sykes-Picot en une réalité politique. Car en vertu de ses clauses, de nouveaux Etats (Liban, Syrie, Irak et Jordanie) ont été rendus des membres nouvellement indépendants de la Ligue des nations. Mais si, en théorie, les puissances mandataires (la Grande-Bretagne pour l’Irak, la France pour le Liban et la Syrie) étaient chargées de les préparer à l’indépendance, la réalité était tout autre. Ni Londres ni Paris n’avaient l’intention de céder leur contrôle sur ces «Etats par procuration». La France, par un mélange contradictoire de zèle messianique et de ferveur révolutionnaire, poursuit une politique de gestion directe au Liban et en Syrie. Les Britanniques en un mélange également contradictoire de pragmatisme et d’élitisme poursuivirent une politique de gouvernement indirecte en Irak et en Jordanie à travers les rois qu’ils choisirent pour ce travail. Le résultat était que le traité de Sèvres n’a pas aboli l’idée d’empire au Moyen-Orient, mais il l’a, plutôt, enracinée. En faisant cela, Sèvres pose plus de questions qu’il n’y répond. Des questions qui, au cours du XXe et XXIe siècles, allaient nécessiter de façon plus urgente des réponses, dit MacMill (2015, 99). En guise de conclusion, il est très bien de se rappeler cet épisode, important, de l’abolition du califat par la Turquie elle-même en mars 1923, mais aussi de se rappeler que si cela a eu lieu, c’est d’abord parce que l’Empire ottoman ou plutôt son héritière, la Turquie, au lieu de s’acquitter de sa responsabilité de défendre le monde arabe, s’est enlisée d’abord dans un nationalisme turc étroit, ensuite dans des alliances fatales avec des puissances occidentales et dans des guerres sans lien avec ses devoirs traditionnels. A cela s’ajoutent le despotisme et l’ignorance à grande échelle, dont elle était en partie responsable, pour rendre nos contrées très fragiles, voire très colonisables.
Dr Mahmoud Braham
Docteur en sciences économiques
Magister en droit international (option sécurité et défense internationales)
Spécialité «gestion internationale des crises»
Références :
Beckett F. Ian (2014). The Great War: 1914-1918. New York: Routledge;
-Beshara Adel (2011).TheOrigins of Syrian Nationhood: Histories, Pioneers and Identity. 2011) New York:Tylor & Frauncis;
-Blashfield F. Jean (2008). Golda Meir. New York: Marshall Gavendish Benchmark
-Bruce Anthony (2013). The Last Crusade: The Palestine Campaign in the First World War Thistle Publishing;
-Catroux Georges, Lerner Henri Lerner (1990). Catroux. Paris : Albin Michel ;
-Hadar T. Leon (1992). Quagmire: America in the middle East. Washington: Cato institute
– Iram Yaakov, Wahrman Hillel (2006). Educating Towards A Culture of Peace. Information Age Publishings;
– Jacques Benoist-Méchin (1991). Ibn-Séoud ou La naissance d'un royaume. Paris : Editions Complexes, 208-209;
-Kadish Sharman (2013). Bolsheviks and British Jews: The Anglo-Jewish Community, Britain and the Russian revolution. New York: Routledge;
-Lawrence Thomas Edward (1935). Seven Pillars of wisdom. London: Johnathan Cape
-Lewis Donald (2014). The Origin of Christian Zionism: Lord Shaftesbury An Evangelical Support for A Jewish Homeland. Cambridge: Cambridge University Press;
-McMill M. E (2015). From First World War to the Arab Spring: What is really Going on in the Middle East Today. New York: Palgrave McMillan;
-Millgram Abraham Ezra (1990). Jerusalem Curiosities. Philadelphia: Jewish publications Society ;
-Moss Joyce (2004). Middle East Literatures and Their Times. Michigan; Thompson Gale;
-Muravchik Joshua (2015). Making David into Goliath: How the world turned Against Israel. New York : Encounter Book;
-Thompson Elizabeth (2000). Colonial citizens: republican rights, paternal privilege, and gender in French Syria and Lebanon. New York : Columbia University Press ;
-Rutledge Ian (2015). Enemy on the Euphrates : The British Occupation of Iraq and The Great Arab Revolt ; 1914-1921. London : Saqi books.
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