Affaire du rachat du groupe El-Khabar : le fond, la forme et la réalité
Par Mustapha Baba-Ahmed – L’actualité bruisse de l’affaire «El-Khabar». La politisation de cette affaire est la voie choisie par le propriétaire du groupe Cevital qui veut renforcer son pouvoir médiatique ; celui-ci repose depuis vingt-cinq ans – c’est-à-dire depuis l’ouverture du champ médiatique au privé – sur le journal Liberté, le journal en question.
Par Mustapha Baba-Ahmed – L’actualité bruisse de l’affaire «El-Khabar». La politisation de cette affaire est la voie choisie par le propriétaire du groupe Cevital qui veut renforcer son pouvoir médiatique ; celui-ci repose depuis vingt-cinq ans – c’est-à-dire depuis l’ouverture du champ médiatique au privé – sur le journal Liberté, le journal en question.
Dans l’interview accordée au journal Le Monde, l’industriel explique qu’il vole au secours des travailleurs du journal El-Khabar en difficulté suite au tarissement des ressources de ce dernier. Et il accuse : «Ceci est le fait de certains cercles du pouvoir qui lui ont coupé la publicité des organismes publics». Il est de notoriété publique que la répartition de la rente de la publicité se fonde sur un seul critère : le soutien zélé au régime ou, à tout le moins, le maintien d’une ligne éditoriale qui ne le remet pas en cause.
L’auteur de ces lignes en a fait l’expérience : les deux maisons d’édition à qui il a soumis un manuscrit traitant de la gouvernance dans notre pays ont décliné au motif que le contenu de l’ouvrage n’allait pas dans le sens de leur ligne éditoriale. L’ouvrage a été édité à l’étranger. Il faut, néanmoins, rester dans le cœur du sujet qui mobilise le sérail politique et la presse au sujet de l’affaire qui nous intéresse. Les turpitudes du régime et les insuffisances patentes de sa gouvernance ne doivent pas occulter le fonds sur lequel doit se concentrer l’attention. Le sauvetage des emplois et de l’indépendance du journal peut-il être considéré comme un acte de bienfaisance, fût-ce de la part d’un «entrepreneur citoyen» ? Comme le souligne à juste titre Redouane Boudjemaâ dans l’interview qu’il a accordée à un site électronique, la «bipolarisation du faux débat cache une guerre liée à des soucis de monopoles politiques, des monopoles d’ordres commerciaux, économiques et médiatiques». Et les monopoles se situent des deux côtés : la justice algérienne ne peut choisir qu’entre le monopole de l’Etat et celui d’un homme d’affaires.
Les juristes mobilisés par Issad Rebrab et le notaire sollicité pour acter la transaction sont-ils incapables de déceler les limites de la conformité de la transaction à la loi applicable ? On ne saurait leur faire une telle injure. Mais un entrepreneur ne fait pas dans le mécénat, surtout quand il s’agit de défendre ses positions politiques et sa puissance financière. Les exemples ne manquent pas dans les pays démocratiques de journalistes remerciés de façon très peu galante pour avoir dévié de la ligne éditoriale imposée par le propriétaire du média. Ceci est tout à fait conforme aux règles du jeu.
Qui peut soutenir honnêtement que les décisions majeures d’une société faisant partie d’un groupe, au sens financier du terme, peuvent s’affranchir de la ligne de conduite véhiculée, pour ne pas dire imposée par la maison-mère ? Il faut souligner à l’attention des non-initiés que les organes sociaux (assemblée générale et conseil d’administration) d’une filiale sont pourvus par les sociétés qui détiennent son capital. De proche en proche, quand on remonte dans la structure d’un groupe, c’est en dernier ressort le propriétaire ultime qui décide pour toutes les entités juridiques qui font partie du groupe.
«Est-ce que ce rachat ne pose pas tout de même le problème de concentration de médias et ne constitue pas donc un réel danger sur la liberté de la presse ?» Cette question très claire posée par le journaliste à Redouane Boudjemaâ est demeurée sans réponse.
M. Rebrab, sans préjudice du mérite qu’il a pour ses réalisations, se retrouverait à la tête d’un empire médiatique capable de façonner l’opinion en profondeur. De grâce, cessons de faire dans la mystification et évitons la victimisation mal à propos. Evitons de laisser les turpitudes de la gouvernance politique, économique et sociale, submerger notre lucidité.
Mustapha Baba-Ahmed
Ancien cadre supérieur de l’Etat