El-Khabar : un dilemme ou un guet-apens ?
Si le journaliste par la nouvelle loi ne peut être pénalisé, assécher la plume qui s'oppose au pouvoir ou du moins taire toute voix partisane est dans la nature du système politique. A commencer par priver de publicité tous les journaux qui s'opposent à la voix de son maître. «Qu'à cela ne tienne ! répond le pouvoir du riche, dans ce cas, nous n'achetons pas seulement des pages de pub dans le journal, nous achetons tout le journal et le reste. Nous achetons le journal El-Khabar après avoir acheté Liberté et demain nous achèterons El-Watan».
Suite à son interdiction, le journal Le Matin est toujours libre, bien vivant grâce au professionnalisme de son patron journaliste ouvert sur l'internet. Pourquoi l'exemple de Mohamed Benchicou n'est pas cité par tous ceux et celles qui se solidarisent avec El-Khabar ? Un autre exemple : celui de Médiapart. Ce journal français en ligne a 116 000 abonnés, à 7euros par mois, des dizaines de journalistes, gère des milliers de blogs et est radicalement indépendant. Il faisait des bénéfices à l'entame de sa troisième année. Il est, en ce moment, un exemple à suivre pour The Guardian, le journal britannique. La bataille que se livrent Rebrab et Grine a comme victimes les journalistes et leurs lecteurs. On se demande pourquoi la solidarité n'est pas dirigée envers la liberté de la presse, mais vers ces deux hommes de pouvoir. Dans les faits, tous les deux ne peuvent être, au minimum, qu'étrangers à la préservation et à la défense de cette liberté chèrement acquise et tous les deux sont puissants : l'un grâce à sa fortune et le second à la force que lui lègue sa fonction de ministre et ils ont en commun le pouvoir d'en abuser. Dans un tel cas, on ne pointe pas l'abus pour s'interdire la pratique, mais pour l'exemple à suivre. «Pourquoi Haddad peut se permettre plus d'un journal contrairement à la loi et pourquoi pas Rebrab ?» s'interrogent certains politiques, syndicalistes et autres partisans. La loi organique relative à l'information affirme qu'«une même personne morale de droit algérien ne peut posséder, contrôler ou diriger qu'une seule publication périodique d'information générale de même périodicité éditée en Algérie». Tout en sachant que l'autorité pour l'application de cette loi tout en ayant des responsables payés, ne fonctionne pas pour la raison, entre autres, que les journalistes ne sont pas représentés…
Dans un tel cas, en l'occurrence, l'enjeu démocratique est dans la liberté du journal vis-à-vis, à la fois, du pouvoir et de l'argent étranger à la presse. On se demande pourquoi il n’y a pas la moindre allusion à la réappropriation du journal par les journalistes, alors que les exemples aujourd'hui sont légion, quand tout indique que chaque fois qu'un journal devient la propriété d'un étranger à la profession, c'est la liberté d'expression qui est crescendo muselée. On veut nous faire croire que la vente d'un des plus grands journaux du pays est une simple transaction commerciale qui foire au niveau de la justice, parce que le ministre a demandé son annulation et l'acheteur est présenté par certains comme un mécène et par d'autres comme une victime. Il me semble que cette bataille pour la soumission d'un média n'est en fait qu'un pas de plus pour s'assurer des limites que la liberté d'expression en Algérie ne doit pas franchir. El-Khabar, ce journal martyr, est dans un piège et il ne peut s'en sortir qu'en évacuant le dilemme en s'ouvrant sur la technologie sachant qu'un adulte sur deux est aujourd'hui connecté. L'histoire nous apprend que dans tous les cas, la liberté doit toujours prendre le large des grosses fortunes et des pouvoirs dominants, surtout quand on parle d'un riche qualifié par les médias comme d'un second exportateur après Sonatrach. Un tel mensonge par la vérité ne s'avère, en fait, qu'une pub qui ne peut être que contreproductive, car le pouvoir ne veut rien céder à ses frères, surtout quand ces derniers risquent de le supplanter dans les prochaines échéances à la course de nouveaux mandats.
Saadeddine Kouidri