Venezuela : l’opposition pratique la politique de la terre brûlée
La bataille politique fait rage au Venezuela entre le président Nicolas Maduro et l’opposition majoritaire au Parlement. Un bras de fer sur fond de crise politique de grande ampleur et dans un contexte régional marqué par la chute des gouvernements de gauche. La presse occidentale, dans sa grande majorité, dresse un tableau noir de la situation au Venezuela, les produits de première nécessité se font de plus en plus rares, l’électricité est sévèrement rationnée, ainsi que l’eau potable, l’accès aux services publics est devenu quasiment impossible, des émeutes éclatent sur tout le territoire, les scènes de pillage se multiplient et la délinquance, forcément, a fait un bond sans précédent. Face à ce contexte chaotique se dresse l’opposition majoritaire au Parlement, auréolée, par cette même presse, du statut de «démocrate». Rassemblée sous l’appellation «Table de l’unité démocratique» (MUD), elle mobilise des milliers de manifestants dans la rue, appelle l’armée et la population à la désobéissance civile contre un président qui, nous dit-on, s’obstine à rester en poste malgré le chaos, ne recule plus devant rien, instaure par décret l’état d’exception, attribue des pouvoirs spéciaux aux forces de sécurité et aux militaires, chargés, entre autres, de «garantir la distribution des aliments et produits de base, veut aussi faire la chasse à des patrons d’usines accusés de «sabotage». Nicolas Maduro est-il réellement ce dictateur impopulaire qui s’emploie à briser un élan démocratique ? La lecture des événements est-elle si simple ?
Pas de politique nouvelle
Premier constat : «L’objectif de l’opposition est tout simplement de prendre le pouvoir. Ses propositions sont pour le moins floues. De plus, il y a de tout dans ce rassemblement, y compris des éléments du passé, à l’image du président de l’Assemblée nationale. Tout ceci nous conduit à douter de la réalité d’une politique nouvelle qui permettrait de revenir à une situation apaisée», constate Frédérique Langue, chercheuse à l’unité Mondes Américains au CNRS. «Par les temps qui courent, en Amérique latine, la droite n’a pas vraiment de programme. Ce qu’ils veulent surtout, c’est créer tout simplement un climat favorable aux affaires, alors qu’il y a des problèmes de fond d’une extrême gravité, dont la dépendance pétrolière, sans compter la sécheresse», note pour sa part Olivier Dabène, président de l’Observatoire de l’Amérique latine et des Caraïbes. Assemblage hétéroclite de formations aux intérêts objectivement divergents, la «Table de l’unité démocratique» a en fait un seul et unique objectif : la tête du président Maduro. Elle engage pour ce faire une épreuve de force afin de parvenir coûte que coûte au référendum révocatoire, autorisé par la Constitution, avant le 10 janvier 2017. Passée cette date, c’est en effet le vice-président qui prendrait les commandes en cas de révocation et le scrutin présidentiel attendrait la fin du mandat, soit 2019.
Forcing institutionnel
Mais la MUD aurait recours à des pratiques frauduleuses dans la collecte des signatures requises pour cette consultation. «Pas d’empreintes digitales sur de nombreuses d’entre elles, des noms sans pièces d’identité et, une nouvelle fois, des morts qui signent», a dénoncé Jorge Rodríguez, maire chaviste de Libertador (centre du Venezuela) et membre de la commission chargée par le gouvernement de vérifier l’authenticité des signatures. Un forcing institutionnel, donc, mais pas seulement. L’opposition «démocratique» tente surtout de couper Maduro et les chavistes de la grande masse des démunis sortis de la pauvreté à la faveur des dispositifs sociaux mis en place par Hugo Chavez. Le taux de pauvreté est passé de 48,6% en 2002 à 29,5% en 2011 sous la présidence de ce dernier. Son programme d’alphabétisation a été salué par l’Unesco en 2005. Les liens de coopération avec Cuba ont permis la création de nombreuses cliniques offrant des soins médicaux gratuits. La période Chavez a été celle de la conquête de droits à la santé, à l’éducation, au logement. La crise actuelle qui met en péril tous ces acquis est, du coup, une belle aubaine pour les adversaires de Maduro. Celui-ci et son équipe se sont endormis sur la rente pétrolière, tardant à lancer des investissements pour la diversification de l’économie. La chute du prix du baril a vite fait de vider les caisses de l’Etat. Les revenus tirés du pétrole sont passés de 80 milliards de dollars en 2013 à 20-25 milliards en 2015, selon le FMI, entraînant une réduction drastique des dépenses à l’importation. L’inflation a atteint le seuil impressionnant de 180,9% en 2015. Et elle pourrait encore s’envoler de plus belle, selon nombre d’observateurs. Le PIB est en recul de 5,7%, pour la deuxième année consécutive. L’opposition exploite sans surprise cette descente aux enfers pour créer un climat insurrectionnel. Elle tente aussi de tirer profit du contexte régional, marqué par la chute, depuis 2009, des gouvernements de gauche, au Honduras, au Paraguay, en Equateur, et, plus récemment, au Brésil.
Tenir le cap
«Au Venezuela, il n’y a pas de solution économique s’il n’y a pas de changement politique», a martelé dans un communiqué la MUD, citée par l’AFP. Le président Maduro a dénoncé pour sa part «un coup d’Etat». Il a pointé la menace d’une «intervention extérieure». Un demi-million de soldats vénézuéliens devaient participer les 20 et 21 mai à des exercices militaires, rapporte la même source, qui évoque par ailleurs l’entrée en scène d’anciens chefs de gouvernement étrangers, dont l’Espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, pour tenter de nouer le dialogue entre les chavistes et leurs adversaires. Nicolas Maduro semble pour l’instant déterminé à tenir le cap, à freiner le marasme économique, à empêcher l’organisation évidente des pénuries, et à sauver ce qui peut encore l’être dans les acquis sociaux. La tâche est rude, car «le chavisme est aussi affaibli par des divisions en son sein et par la corruption. Il y a un processus d’enrichissement de certains cadres, y compris parmi les militaires», note Frédérique Langue. «Le général à la retraite Cliver Alcala, qui fut l’homme de confiance de Chavez, vient de reprocher à Maduro de ne pas tenir suffisamment compte de l’héritage politique de l’ancien président», ajoute-t-elle. De plus, «contrairement à ce dernier, Maduro n’a pas réellement la capacité à maintenir l’unité dans son camp», fait remarquer Olivier Dabène. La tâche est rude enfin pour Maduro surtout parce que l’opposition est résolument engagée dans une politique de la terre brûlée.
Nadjib Touaibia
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