Remplacement du gouverneur de la Banque d’Algérie : la franchise de Laksaci dérangeait-elle ?
Gouverneur de la Banque d’Algérie depuis juin 2001, Mohamed Laksaci cède sa place au PDG de la Banque extérieure d’Algérie, Mohamed Loukal. Ce changement à la tête de la Banque centrale dans un contexte de forte crise financière suscite beaucoup d’interrogations. Si pour certains, il s’agit d’un changement tout à fait normal en raison notamment de l’état de santé de Mohamed Laksaci qui fait face à une maladie lourde depuis des mois, d’autres le considèrent comme une «sanction». Mais pourquoi ? Mohamed Laksaci s’est-il rendu responsable d’une faute grave ? A-t-il failli à sa mission ? S’il s’agit d’un limogeage, qui en a pris donc la décision ? La Présidence ? Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal ? Le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa ? Il est à rappeler que la nomination et la mise de fin de fonction du gouverneur de la Banque d’Algérie sont une prérogative du président de la République. Même si elle a été faite sur proposition d’un membre du gouvernement ou d’un centre de décision, la fin de fonctions de Mohamed Laksaci a été signée par le président Bouteflika. Que reproche-t-on donc à ce technicien de la finance qui ne parle que le langage des chiffres et des monnaies ? Sa franchise ? Peut-être, depuis qu’il est au poste, Mohamed Laksaci rend publics régulièrement des rapports de la Banque centrale qui contiennent, comme le veut la conjoncture économique, des chiffres inquiétants sur la situation macroéconomique du pays. Des chiffres qui reflètent ainsi la réalité d’une économie qui bat de l’aile et d’un pays qui court à sa perte. Les rapports de la Banque d’Algérie, qui ne maquillent nullement la triste réalité des finances publiques et de la trésorerie en baisse du pays, suscitent de larges commentaires à la fois des spécialistes, mais aussi des acteurs politiques. Depuis la chute des prix des hydrocarbures et la baisse vertigineuse de la fiscalité pétrolière, Mohamed Laksaci ne cesse d’alerter, chiffres à l’appui, sur le risque d’une faillite globale du pays. Sa dernière prestation au sein du Parlement est gravée dans la mémoire de beaucoup de gens qui suivent de près l’évolution des agrégats économiques du pays. Sans détour ni langue de bois, Mohamed Laksaci avait démontré l’ampleur du déficit et l’inefficacité des mesures entreprises par le gouvernement pour réduire le taux du déficit public. «Les réserves de change de l’Algérie ont poursuivi leur tendance baissière pour s’établir à 159,027 milliards de dollars à fin juin 2015 contre 178,938 milliards de dollars à fin décembre 2014», avait-il prévenu, rappelant qu’à fin juin 2014, les réserves de change étaient de l’ordre de 193,269 milliards de dollars. Il avait fait état de l’accélération de la dégradation de la santé économique nationale qui est également perceptible dans la dévaluation rapide du dinar face au dollar. «L’impact du choc externe sur les finances publiques, fortement tributaires de la fiscalité pétrolière, se reflète dans le creusement du déficit budgétaire et l’érosion des ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR)», avait-il martelé tout en soulignant que «les recettes de la fiscalité pétrolière ont atteint 1 834,14 milliards de dinars à la fin septembre 2015 contre 2 603,4 milliards à la même période de 2014». Depuis deux ans, il insiste sur la baisse des réserves de change, le creusement des déficits de la balance des paiements et la baisse du solde global du Trésor. Pour les observateurs, Mohamed Laksaci disait la vérité aux Algériens. Pour le gouvernement, il noircissait trop le tableau macroéconomique du pays. D’ailleurs, il est à chaque fois contredit par le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, qui s’échine depuis sa nomination à ce poste à minimiser la gravité de la crise. Ainsi, face à l’optimisme excessif du ministre des Finances et du gouvernement en général, Mohamed Laksaci, qui ne fait qu’interpréter les chiffres en sa possession, se montrait plutôt pessimiste. Sa franchise dérangeait-elle, lui qui n’hésitait pas à dire la vérité la plus amère ?
Sonia Baker