La faiblesse de l’Etat et le complot islamiste contre Benghebrit derrière les fuites au bac
La session de juin 2016 a démontré que l’examen du baccalauréat est devenu un enjeu politique : s’il se déroule normalement, c’est que l’Etat est présent et veille au grain ; s’il y a une fraude de grande ampleur, cela confirme la thèse que rien ne marche en Algérie. La ministre Nouria Benghebrit n’y est pour rien. Elle a beau se démener et passer des nuits blanches pour mettre au point et installer les dispositifs et mécanismes de protection (fortement décriés, d’ailleurs, comme les fouilles et la fermeture des portes à tout retardataire) contre toute atteinte à la crédibilité de cette véritable institution scolaire qu’est l’épreuve du baccalauréat, et qui n’ont pas empêché les fuites de sujets, elle savait sans doute qu’elle menait un combat non pas seulement contre de petits fraudeurs qui arrivent à réussir dans tous les systèmes d’examen, mais contre une machine de déstabilisation qui vise l’Algérie, à travers la personne de la ministre de l’Education, en créant un climat de tension parmi les candidats et leurs familles. En plus du courant conservateur hostile aux réformes visant la modernisation du système éducatif, qui a intérêt à agir de la sorte, c'est-à-dire organiser une fuite de sujets pour saboter le principe de «l’égalité des chances», en offrant un véritable cadeau aux candidats insuffisamment préparés, puis amplifier le fait, au besoin par une dose subtile de désinformation, pour, sans doute, surtout montrer qu’il est facile de défier l’Etat. Dans le cas, non souhaitable mais hautement probable, où Nouria Benghebrit est contrainte de partir (comme le ministre Benmohamed après les fuites massives des sujets au bac de juin 1992), la campagne haineuse et acharnée menée contre elle par les milieux islamistes aura réussi. Benghebrit n’a pas été suffisamment soutenue dans son combat pour la modernisation de l'Ecole et il n'est pas exclu qu'elle fasse les frais de ce lynchage médiatique et de ce complot (fuite des sujets à grande échelle). Elle aura également été victime d’un cafouillage qui est le résultat logique de l'absence d'une vision claire, du flou politique qui caractérise le pays actuellement en raison de la maladie du Président et des interrogations légitimes sur les véritables centres de décision. Une telle situation a forcément pour conséquence ce désordre incarné, en l'occurrence, par la confrontation entre un ministre (Bouchouareb) et un homme d'affaires (Rebrab) et qui a pris les contours d'un règlement de comptes, bien que Sellal ait affirmé que cela n'était pas une «guerre contre des personnes» et assuré que son gouvernement n'était pas contre «ceux qui veulent gagner de l'argent », non sans ajouter une formule qui prête à ambiguïté : «(…) A condition que cela se fasse dans la transparence» (voir article d’Algeriepatriotique). Qu’est-ce que cela signifie et qui est visé ? En réalité, le manque de transparence est dans le paysage politique et dans l’action du pouvoir, au point où les interrogations et les interprétations les plus contradictoires ont suivi la décision prise en Conseil des ministres concernant le remplacement du gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, faisant abstraction du fait qu’il était en poste depuis quinze ans et, dit-on, malade de surcroît. Dans cette accélération des événements, l’«opposition» paraît absente, en tout cas muette. Elle a besoin de s’unir mais n’y arrive pas, au contraire, les faits qui prouvent son déchirement sont plus connus que les initiatives qui prouvent sa cohésion. Naturellement, le pouvoir en profite pour colmater les brèches et tenter d’avancer encore, dans la perspective des élections législatives et locales de 2017 en tant que jalons vers l’échéance électorale présidentielle de 2019. Le secrétaire général du FLN multiplie les tournées dans les mouhafadhas, ponctuées par des déclarations de diversion qui déroutent l’opinion publique et la distraient des vrais problèmes ; moins provocateur, Ahmed Ouyahia, renforcé dans sa position à la tête du RND, par l’élimination de ses adversaires, et promu à un nouveau rôle au sein du clan présidentiel, ne perd pas son temps, lui aussi, et n’a qu’un seul but maintenant : soigner son image auprès de l’opinion publique et se présenter comme l’alternative la plus sûre. Il est certainement le grand bénéficiaire du flou politique et du tapage médiatique qui lui permettent de progresser «proprement». Dans tout cela, finalement, les fuites au bac et éventuellement le sacrifice de Nouria Benghebrit prennent les allures d’épiphénomènes.
Houari Achouri