Alexandre Mendel à Algeriepatriotique : «Les Algériens sont beaucoup moins naïfs que nous»
Algeriepatriotique: Vous venez de publier le livre La France djihadiste,fruit d’un travail d’investigation au sein des milieux islamistes français. A quelles conclusions avez-vous abouti ?
Alexandre Mendel : Que la situation était, peut-être, encore plus difficile que les politiques français voulaient bien admettre. Que dans certains quartiers et villes françaises, la situation est extrêmement difficile. Elle échappe complètement aux autorités françaises. C’est-à-dire que vous avez certains quartiers où l’islamisme est enseigné dans des mosquées semi-clandestines ou clandestines sans aucune espèce de regard des autorités françaises, telles que la police et les renseignements. En ce qui concerne la polémique ouverte par le ministre des Sports français, Patrick Kanner, qui avait dit qu’il y avait en France 200 Molenbeek français, je pense que cela est exagéré. Il y a quelque 15 à 20 Molenbeek français au sein desquels il n’y a plus d’autorité.
Quels sont les villes ou les quartiers qui sont devenus des «no go zones» ?
Vous avez la Reynerie à Toulouse, le petit Bard à Montpellier, la porte d’Aix à Marseille, le quartier de l’Ariane à Nice et à Paris, Sevran et bien d’autres. A Lyon, il y a le quartier de la Guillotière. Je ne vais pas vous faire le Guide du routard des quartiers difficiles en France, je dirai seulement que toutes les grandes agglomérations, avec plus de cent habitants ont plus ou moins leurs quartiers interdits, livrés dans certains cas à des imams salafistes qui appellent fièrement à faire la guerre à la France.
Estimez-vous que l’autorité de l’Etat soit inexistante dans ces endroits ?
Oui, tout à fait, et j’en veux pour preuve, par exemple, le quartier de la Reynerie à Toulouse, la police n’intervient plus là-bas. En fait, les pompiers interviennent encore et la rare fois où la police passe, c’est pour protéger les pompiers. Ils reçoivent sur la tête des huitième et dixième étages des tours, au mieux des clés à molette, au pire des machines à laver. J’évoque dans le livre un parc où ils font des prêches publiquement, appelant au djihad. En Algérie, vous avez vécu, malheureusement, la décennie sanglante, et je pense que votre pays ne tolérera plus jamais cela, mais nous on le tolère. La France, pays des droits de l’Homme, tolère que des gens qui la détestent disent du mal d’elle et moi, cela me met mal à l’aise, parce que je me dis quand même que les Algériens sont beaucoup moins naïfs que nous et auraient vite compris que ces gens-là, leur place est la prison.
L’avocat Thibault De Montbrial, qui a préfacé votre livre, explique que ces quartiers, appelés aussi «les Molenbeek français» servent de véritables bases logistiques pour les terroristes. Comment la France en est-elle arrivée là ?
Parce que, pendant des années, nous avons expliqué à ces gens, très souvent, mais pas seulement – il y a des convertis, aussi, issus de l’immigration –, qu’ils étaient des victimes. Des victimes de notre société, de notre nation, de notre pays. Et le propre des victimes, c’est de se venger. Et quand vous êtes une victime, vous n’avez pas beaucoup de choix et vous vous faites justice, à un moment donné. Je pense que les gens qui, aujourd’hui, déclarent le djihad à la France en ont assez de leur statut de victime.
Qui leur a expliqué qu’ils étaient des victimes ?
Dans les années 80 et 90, on avait tendance à considérer les personnes issues des quartiers les plus défavorisés comme des victimes de la société et qu’il fallait, non pas qu’elles se remettent en question, mais que ce soit nous qui le fassions.
Est-ce une erreur ?
Oui, c’est une erreur. Prenons l’exemple des Algériens qui sont venus s’installer en France et qui travaillaient dans l’industrie automobile. Ceux-là n’avaient aucune espèce de revendication identitaire. Ils prenaient ce qu’il y avait, avec, peut-être, l’espoir de retourner chez eux. Ils n’avaient aucune revendication islamiste. Du reste, ces chibanis n’ont toujours pas de revendication identitaire. Et c’est à ceux qui vivent mal que l’on refuse, plus souvent, une pension d’ancien soldat. Ce sont eux qui n’ont pas une retraite complète, mais vous ne les entendrez jamais se plaindre du racisme en France. Jamais ils ne se «victimisent». Ce sont ceux de la 3e génération qui le font.
Qui leur a appris à se victimiser ?
Les années Mitterrand. Durant ces années, la gauche au pouvoir a expliqué que s’il y avait des incidents en banlieue et beaucoup de délinquance, c’était la faute de la France. Un très mauvais message pour la jeunesse qui s’est dit : «Finalement, ce n’est pas notre faute !» Et l’islamisme est venu couvrir cet espace de revendication en lui donnant un aspect moral qu’il n’avait pas avant. Avant, les gens étaient des délinquants sans plus. Mais si vous rajoutez l’islamisme derrière, vous couvrez moralement des situations qui, aujourd’hui, s’apparentent à la guerre. Nous avons un souci qui n’est pas près de s’arrêter, les spécialistes en France prédisent que cela prendra le temps d’une génération. Nous, nous ne sommes pas habitués à cela. Nous ne sommes pas l’Algérie. Nous n’avons pas eu de décennie sanglante, mais elle risque d’arriver. Nous avons une génération de gens qui s’apprête à faire comme en Algérie : prendre des villages en otage, décapiter et massacrer.
Mais, M. Mendel, personne ne peut s’habituer à de tels actes…
Bien sûr, sauf qu’ils ont existé et nous devrions en prendre conscience. Les services de renseignement étaient très attentifs à ce qui se passait en Algérie dans les années 90. Eux comprennent que cette guerre peut être la nôtre demain. Ils devraient regarder cela comme un modèle prospectif de la guerre à venir. Je ne suis pas en train de vous dire que vous, vous êtes habitués ; heureusement que non ! Mais vous avez pris les devants, alors que nous, nous n’avons pas encore compris. Nous avons un président et un Premier ministre qui expliquent qu’on est en guerre, mais si vous venez à Paris, vous aurez l’impression qu’il n’y a pas la guerre. Pas de tank, pas de soldat. Je suis persuadé qu’en Algérie, les imams qui tiennent les discours djihadistes seraient mis en prison. Mais pas chez nous. Dans le temps, on disait «l’Algérie ne n’est pas la France» ; maintenant, il est vrai que la France n’est pas l’Algérie. Je crois qu’il faut se pencher sur ce qui s’est passé là-bas pour apprendre de nos voisins méditerranéens qui ont vécu cela. J’en parle dans le livre.
Pouvez-vous nous décrire quelques témoignages qui vous ont paru «surréalistes» ?
Treizième arrondissement, Marseille, géré par le sénateur-maire FNS téphane Ravier. Le vendredi, jour de prière, des musulmans investissent une galerie commerciale. Ils prient à l’intérieur et sur le toit de cette galerie. Ils ferment les portes de cette galerie aux non-musulmans et ces derniers acceptent. Ils font le prêche avec des haut-parleurs. Un jour, j’y ai assisté et cela s’est mal passé. Il a fallu appeler la police, car ils voulaient me casser la gueule. Dans le prêche que j’ai enregistré, l’imam, qui s’appelle Ismaïl, raconte à ses ouailles que la plus grande récompense au paradis sera accordée à ceux qui font le djihad. Cela s’est passé trois à quatre mois après les derniers attentats. Quand je me suis fait virer de la mosquée, je suis parti en voiture, mais je me suis perdu, me retrouvant dans une rue où des islamistes faisaient un prêche dans un garage. Ils avaient déroulé les tapis et mis des slogans anti-Bachar Al-Assad. Voilà ce qui se passe. Il y a aussi un témoignage avec un djihadiste de Liège, en Belgique, d’origine turque. J’ai trouvé la discussion que j’ai eue avec lui surréaliste et rigolote, car quand je lui ai demandé ce qui se passait à Rakka, en Syrie, ce jeune s’est plaint du prix de la boisson Red Bull, trop chère pour lui. J’ai trouvé cela incroyable que des gens en guerre s’interrogent sur le prix du Red Bull. De toute façon, la guerre est surréaliste en France. C’est un pays qui paraît en paix, qui est prospère par rapport aux autres pays de la planète. Et pourtant, le 13 novembre était si surréaliste qu’on a tué plus d’une centaine de personnes. Et qu’on oublie deux semaines après.
En lisant votre livre, on a l’impression que vous voulez faire croire aux lecteurs que chaque musulman est un djihadiste potentiel, notamment à travers ce message sur la couverture : «(…) en ce moment, à 15 minutes de chez vous»…
Cela est vrai pour le message, dans la mesure où à 15 minutes de toute grande agglomération française, il y a une poche salafiste. Je l’ai constaté tous les jours lors de mon reportage. Et je vais même vous dire que nous avons des villages comme le célèbre Artigat, en Ariège, où vous avez un Syrien qui se fait appeler Olivier Correl, alias l’émir blanc, qui a converti, notamment, Mohamed Merah ainsi que les frères Jean-Michel et Fabien Clain, ce dernier étant la voix française dans les vidéos du groupe Daech. Ils sont tous passés par ce village tenu par les salafistes. J’ai même reçu des messages de soutien de leur part. Ils sont très gentils quand je vais les voir. Surtout les Marocains. Et la majorité des imams en France sont des Marocains. La plupart d’entre eux travaillent pour les services de renseignement marocains. Et, donc, ils ont tous des fiches de renseignement. Que veut dire un imam modéré ou petit modéré et qui, par ailleurs, picole autant que moi ? Mon bouquin leur a plu et ils me le font savoir, mais quand je leur dis : «Parlez publiquement de ce que vous savez !», ils répondent : «Non, on ne peut pas prendre de risque !» Non pas que derrière tout musulman se cache un djihadiste, mais j’aimerais que les musulmans français, patriotes, élèvent la voix un peu plus.
Vous voulez qu’ils justifient leur religion ?
Ce n’est pas une question de justification. Je rappelle que nous sommes en guerre. Je voudrais que tous ces gens-là choisissent clairement leur camp, notre camp et qui est leur camp d’ailleurs. Il ne suffit pas de dire au téléphone : «Bravo, M. Mendel, pour votre livre, mais je ne peux pas témoigner parce que, vous comprenez, moi j’ai peur !» Alors, là, ce sont eux qui créent l’amalgame. Ce qui est triste.
Vous parlez d’un «deuxième cercle» suspecté de soutenir le terrorisme. Qui constitue ce «cercle», comme vous l’appelez ?
Ce sont des gens qui ne sont pas prêts à prendre les armes ou tirer avec des kalachnikovs dans des salles de spectacle. Mais ce sont des gens qui soutiennent la cause idéologique. Ce sont les gens qui planquent les terroristes. Et ce sont parfois eux qui leur fournissent les armes. De mon point de vue, c’est ce qui constitue le plus grand danger. Et ceux-là sont très nombreux. Ils sont évalués à 15 000 personnes. Une petite armée.
Comment imaginez-vous la France dans les 10 ou 20 ans à venir, dans le cas où l’Etat continuait à tolérer la présence de salafistes sur le sol français ?
Je ne suis pas devin. Je ne sais pas comment cela va se passer. Si on prend conscience qu’on est en guerre, peut-être qu’on va finir par la gagner. Les renseignements disent, et je suis d’accord avec eux, que cela va durer une génération. Je pense que tous les six mois, on aura un attentat gravissime et qu’on ne se rendra toujours pas compte. Je pense aussi qu’un jour, une école va être attaquée en France et que peut-être, là, les Français changeront de mentalité, parce que lorsqu’on touchera à leurs enfants, ils réaliseront les choses. Nous avons six à sept millions de musulmans en France et15 000 personnes considérées comme dangereuses et susceptibles de passer à l’acte. Faites le calcul ! Vous avez plus de 5 millions qui paient pour les autres et là, oui, il y aura un effet boule de neige, ambiance de guerre civile. Nous ne sommes pas habitués à cela, nous.
Quelles solutions préconisez-vous pour éradiquer le phénomène du djihadisme ?
Il faut des solutions fortes : mettre fin au prosélytisme dans certains quartiers, mettre en prison les imams qui prêchent la haine et ceux qui vont se renseigner auprès d’eux. Ce sont des ennemis de la liberté, alors il ne faut pas leur faire de cadeau. Je suis pessimiste sur le temps que cela va prendre, mais optimiste sur l’issue. Personne ne peut accepter cela.
Pensez-vous que la France et plus généralement l’Occident sont réellement disposés à s’attaquer à la racine du mal ?
Aujourd’hui, non. C’est clair. Quand il y a un attentat en France, les gens oublient au bout de deux semaines. Nous sommes dans une situation où nous sommes bloqués par notre aveuglement, mais aussi par notre proportion à «aimer» notre prochain. Nous sommes un pays chrétien ; nous aimons notre prochain. Nous sommes naïfs parce que, eux (les terroristes islamistes, ndlr), ils ne nous aiment pas. Le propre de l’intelligence humaine est de dire : tu ne m’aimes pas, je ne t’aime pas ! Mais nous, non. On continue de les aimer. On nous met une gifle, deux gifles, on continue de tendre la joue.
C’est incompréhensible après plusieurs attentats…
En France, nous sommes gouvernés par une bande d’incapables depuis trente ans qui nous expliquent que si tous ces gens nous tuent, c’est parce qu’on les a rendus malheureux.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi