Lady Olga Maitland à Algeriepatriotique : «L’Algérie n’est plus la chasse gardée de la France»
Algeriepatriotique : Le second forum algéro-britannique sur le commerce et l’investissement s’est tenu dimanche à Alger. Quels sont les objectifs assignés à cette rencontre à terme ?
Lady Olga Maitland : Les objectifs de cette rencontre sont de promouvoir les entreprises britanniques. Nous possédons le savoir dans le domaine des finances. Chose très importante, car Londres est le centre de la finance mondiale. Et j’anticiperai qu’un jour l’Algérie participera à la vie de la City londonienne. Ce n’est pas impossible ! En Angleterre, nous avons beaucoup d’entreprises dans la pharmaceutique, la construction, la formation, les télécoms et l’énergie. Ils ont une grande volonté pour venir en Algérie et explorer les opportunités. A cette rencontre, il y avait deux cents entreprises britanniques. C’est énorme ! Et plus encore de la part des Algériens, car au total, il y avait 600 à 700 représentants d’entreprises. Ce fut très intéressant pour moi. De la part des Britanniques, le Premier ministre, David Cameron, considère cette rencontre comme un grand engagement et a envoyé Gregory Hands, secrétaire du Trésor auprès du ministre des Finances, George Osborne. La raison est que cette rencontre est si sérieuse et importante pour nous, les Britanniques. De mon côté, j’étais très contente de constater la présence d’un grand nombre de ministres algériens, tels que MM. Bouchouareb, Benkhalfa, Mme Houda Feraoun et celui de l’Energie, M. Khebri. Cette rencontre était aussi une occasion pour les Britanniques de rencontrer les hommes d’affaires du secteur privé, car c’est un secteur qui nous intéresse beaucoup. Le rôle du Forum des chefs d’entreprises est très important. M. Ali Haddad a donné un grand discours et juste après, nous avons signé un protocole d’accord. Ce protocole est très important pour moi, car il nous fait entrer dans le secteur privé et nous permettre d’y participer. Le secteur privé est l’avenir de l’Algérie. En ce moment, du côté du gouvernement, tous les projets sont gelés et dans ce cas, c’est le secteur privé qui a l’énergie et la capacité de réaliser le progrès, et moi, j’ai une grande confiance dans ce secteur. Et je pense qu’il ne faut pas focaliser uniquement sur le secteur public, mais plutôt sur les deux, public et privé.
Vous avez effectué de nombreuses missions en Algérie depuis la création de ce conseil en 2005. Quel bilan en tirez-vous ?
Oh ! mon Dieu ! Quand je regarde en arrière, j’éprouve une grande fierté s’agissant du développement de la présence britannique en Algérie. C’est très important d’introduire l’idée que la Grande-Bretagne est ici, en Algérie, à travers ses expatriés et qu’elle fait tout pour développer des relations entre les deux pays. Et je suis fière de participer à cela.
Le premier forum qui s’est tenu en décembre 2014 à Londres a vu la participation de près de 500 hommes d’affaires des deux pays. Quels sont les résultats palpables de ce rendez-vous ?
L’année 2014 est très importante. Il y a eu une grande rencontre sur l’investissement et les Algériens sont venus à Londres. C’était une rencontre importante où il fallait montrer l’Algérie comme un terrain d’investissement et de participation pour le marché britannique. En Grande-Bretagne, il y a un manque de promotion de l’Algérie et c’est une chose qui me désole, car l’Algérie est un pays important de l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, le gouvernement de David Cameron comprend que l’Algérie a une position importante, car c’est un pays stable avec une croissance de 3,5%, ce qui est pas mal et mieux qu’en Angleterre. C’est vrai qu’il y a beaucoup de défis ici, mais c’est un pays stable où il y a des avantages. L’Algérie n’a pas les problèmes de la Tunisie, de la Libye ou bien de l’Egypte. Notre seul souci, c’est de promouvoir l’Algérie en Angleterre. Et cela repose sur les réformes financières. Nous attendons le nouveau code d’investissement et l’amendement de la loi de finances 2016. Nous attendons avec une grande attention de voir s’il y aura un bon impact pour les investisseurs étrangers. La grande difficulté pour nous c’est le dinar. Il n’est pas convertible. La non-convertibilité du dinar est un grand obstacle. Pour que l’Algérie devienne un participant global en finances, il faut que cette situation change.
Comment ce problème pourra-t-il être résolu ?
Avec du temps et de la patience. Mais en réalité, il n’y a pas beaucoup de temps. Ce qui est encourageant et intéressant, c’est que lors de la rencontre de dimanche, le ministre des Finances a répété trois fois la nécessité du partenariat public-privé. Et c’est la première fois que j’entends cela en public. Et c’est une manière positive pour financer tous les projets publics. Après une période de gel, nous pourrons avancer après avoir développé le partenariat public-privé. Il y a d’autres moyens de financement pour les projets gouvernementaux, comme la privatisation. Il n’y a rien, pour le moment, à ce sujet. Mais le partenariat public-privé est un grand pas en avant. En Angleterre, nous avons beaucoup de sociétés spécialisées dans le domaine des finances, ce qui fait que nous sommes à la disposition du gouvernement.
Le premier forum s’est tenu neuf ans après la création du Conseil algéro-britannique. Comment expliquez-vous ce retard ? Quelles en sont les causes ?
Parce que le secteur public se développait lentement et le secteur privé pas assez. Dans la tête des Britanniques, l’Algérie est un marché difficile. Durant les cinq dernières années, il y a eu un développement en Algérie dans le domaine économique. Et au Royaume-Uni, ils comprennent le changement. Dans le passé, c’était très difficile pour les entreprises étrangères de s’établir en Algérie. Moi, j’étais toujours optimiste et c’est pour cette raison que je reste ici.
Le Conseil algéro-britannique vient de désigner un président honorifique en la personne de Sir Sherard Cowper-Coles. A quels objectifs répond cette désignation ?
Vous avez une journaliste à Londres qui ne comprend pas le système britannique. C’est normal, en Angleterre, d’inviter un personnage très distingué et lui octroyer une position honorifique. Sir Sherard Cowper-Coles est très connu en Angleterre et très respecté, et c’est pour cette raison que je l’ai invité à devenir le président honorifique du conseil. Moi, je suis la présidente exécutive.
D’aucuns estiment que la Grande-Bretagne cherche à rattraper un grand retard dans ses relations économiques avec le mastodonte du Maghreb qu’est l’Algérie. On dit aussi qu’elle veut «bousculer» la domination française…
Rire. Notre relation avec les Français a débuté en 1066. Quand Guillaume le Conquérant est venu en Angleterre. Donc, il y a eu toujours des relations conflictuelles. En Angleterre, nous pensons que l’Algérie est la chasse gardée des Français. Et cela est un obstacle. Mais maintenant, l’Algérie a pris une position de fierté et de confiance et a dit : «Nous décidons avec qui travailler. Nous ne sommes plus un pays colonisé !»
Quand avez-vous perçu ce changement ?
Il y a des petits détails qui ne trompent pas. Tout d’abord, les relations entre l’Algérie et la France sont faites d’amour et de haine. L’Algérie a acquis une confiance et il y a des pays qui investissent chez elle comme la Chine, l’Italie, l’Espagne, la Corée et la Turquie. Cela est très bon pour l’Algérie pour diversifier son économie. En ce moment, la France a un grand problème avec son économie et donc, elle veut contrôler toutes ses anciennes colonies, mais c’est le moment à l’Algérie de dire : «Merci beaucoup, mais nous sommes indépendants et à nous de décider avec qui travailler.» Rire.
La loi 49/51 fait polémique en Algérie. Ses pourfendeurs estiment qu’elle freine les investissements directs étrangers, ses défenseurs arguent qu’elle protège la souveraineté économique du pays. Comment percevez-vous cette loi, à Londres ?
Actuellement, la loi 49/51 n’est pas le plus grand problème que nous rencontrons. Le plus grand problème pour nous, ce sont la bureaucratie, les lois locales, l’incompatibilité du dinar, etc. C’est très difficile, aujourd’hui, pour les entreprises étrangères d’expatrier leurs bénéfices. Et c’est à cause de cela que nous attendons avec impatience le nouveau code d’investissement pour qu’on puisse encourager plus d’investissements en Algérie.
Vous pensez que le nouveau code d’investissement va être plus souple ?
Je l’espère, mais sincèrement, je ne sais pas comment il va l’être. Nous attendons. C’est une étape nécessaire pour faciliter le business entre l’Algérie et l’étranger. Il y a une entreprise anglaise qui a réussi de manière rapide en Tunisie et au Maroc. La chose frustrante, c’est qu’une chose qui prend au maximum six mois en Tunisie dure deux ans en Algérie. Voilà les obstacles, des lois qui freinent le développement de l’investissement étranger. C’est la réalité des entreprises étrangères en Algérie. Donc, il y a beaucoup à faire.
Quelle est la part des investissements britanniques en Algérie ?
Il y a peut-être 20 à 30 entreprises assez grandes, mais en tout, il y a une soixantaine, à peu près. Et je risque de me répéter, c’est très difficile de travailler ici en Algérie avec ce code d’investissement. C’est un grand défi.
De quel ordre sont-ils comparativement à d’autres pays de la région ?
Je suis désolée, mais je n’ai pas des données en ma possession pour pouvoir en parler.
Quels sont les secteurs prioritaires pour les hommes d’affaires britanniques ?
Les Télécoms, la formation, l’énergie, la pharmaceutique et l’agriculture, malheureusement, dans ce domaine, l’Algérie n’a pas encore ouvert le champ pour ce genre d’investissement.
Quels sont les obstacles qu’il faudra lever pour améliorer le climat des affaires en Algérie, selon vous ?
Tous les obstacles que j’ai pu citer plus haut. Il y a la bureaucratie, la non-convertibilité du dinar, le problème du rapatriement du bénéfice…
L’épisode Tiguentourine a quelque peu égratigné les relations entre Alger et Londres. Les Algériens ont sévèrement critiqué le départ des compagnies britanniques. Etait-ce une erreur stratégique ?
Non, ce n’était pas une erreur. Pour les compagnies britanniques, il n’y a pas de choix quand il s’agit de la sécurité de leurs employés. La première chose pour une entreprise c’est de protéger ses employés. S’il y a un risque, il faut partir. La semaine dernière, il y a eu une rencontre dans le domaine de la sécurité entre des Britanniques et leurs homologues algériens. Ils ont convenu de travailler ensemble pour combattre le terrorisme.
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi et Karim Bouali