Le gouvernement ordonne aux walis de Kabylie de commémorer l’anniversaire de l’assassinat de Matoub Lounès
Après avoir célébré, pour la première fois, le Printemps berbère, à travers des festivités officielles diverses, dans le but de récupérer cet événement majeur de l’histoire de la contestation populaire dans cette région frondeuse du pays, l’administration se prépare aujourd’hui à commémorer le 18e anniversaire de la disparition de Matoub Lounès, assassiné le 28 juin 1998. Ainsi, dans un télégramme datant du 14 juin, et dont nous avons obtenu une copie, le wali de Béjaïa, Ouled Salah Zitouni, enjoint à tous les chefs de daïra relevant de sa wilaya, de prendre toutes les mesures nécessaires pour organiser des «activités culturelles» à travers tout le territoire de la wilaya de Béjaïa, «en vue de mettre en avant le caractère national du chanteur disparu». L’auteur du télégramme va même jusqu’à sacrifier à une certaine tradition politique, en osant employer des termes plutôt étrangers au langage de l’administration algérienne, voire irrévérencieux, comme «Kabylie» et «Kabyle». «L’Algérie en général et la Kabylie en particulier, s’apprêtent à commémorer le 18e anniversaire de l’assassinat du chanteur kabyle Matoub Lounès, assassiné par les mains du terrorisme abject, laissant un héritage artistique sans égal, que des générations continuent à véhiculer», lit-on dans le télégramme rédigé en arabe. Dans son instruction aux chefs de daïra, le premier magistrat de la wilaya exige de ces derniers de lui communiquer tous les programmes mis en place à cette occasion, et de veiller à l’application stricte de sa directive. Il va sans dire que la même instruction a été donnée aux autorités locales dans les autres wilayas de Kabylie, Tizi Ouzou et Bouira. En faisant ainsi dans la récupération politique, le pouvoir semble donc décidé à couper l’herbe sous les pieds du mouvement autonomiste du MAK qui, traditionnellement, fait de cet anniversaire un tremplin pour mobiliser la population dans cette région autour de ses mots d’ordre, et à occuper le terrain quelque peu déserté par les autres formations politiques à fort ancrage local. C’est aussi une façon, pour le gouvernement, d’essayer de se mettre au diapason de ses propres engagements après l’officialisation de la langue amazighe dans la nouvelle Constitution. Il reste à savoir comment cette initiative sera reçue par les fans de Matoub Lounès, qui se comptent par centaines de milliers, et qui continuent à voir en lui le symbole de la «résistance à la dictature» et de l’«insoumission». Car il faut craindre des réactions encore plus acerbes que celles qui avaient suivi, il y a quelques semaines, l’apparition de deux autres vedettes de la chanson kabyle, Idir et Lounis Aït Menguellat, aux côtés du Premier ministre Abdelmaklek Sellal à l’occasion d’une cérémonie organisée par l’ONDA à Alger. Une apparition qui a été perçue comme une manœuvre visant à «compromettre» les deux idoles de la chanson kabyle dite engagée.
R. Mahmoudi
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