La violence révolutionnaire dans la pensée de Frantz Fanon
Par Khalil Oudainia – Frantz Fanon avait énormément écrit sur la violence révolutionnaire. Certainement l’apogée de sa réflexion s’est concrétisée dans Les damnés de la terre. Non seulement il pense que la violence dans le processus de décolonisation est une nécessité d’opération ; il va plus loin en pensant que c’est une obligation. Pourquoi ?
«Les derniers seront les premiers»
Fanon explique que l’inversion de la position colon/colonisé afin que «les derniers deviennent les premiers» passe par la violence révolutionnaire. C’est une nécessité pour le colonisé lui-même avant la décolonisation et les exigences révolutionnaires. Fanon met en évidence avec sa manière de psychiatre comment cette lutte est avant tout une lutte interne au sein de l’esprit du colonisé. Le but étant donné de gratter les sédiments historiques et l’humiliation subie par toute la population. L’explication peut se résumer de la manière suivante : la libération est une libération du colonisé avant le pays/nation. Fanon n’ignore pas que cet inversement de situation ne relève pas d’un processus rationnel réfléchi. Certes, les révolutions n’émergent pas d’un pur hasard. Or, il est conscient que la révolte qui devient révolution relève avant tout d’un registre émotionnel. La libération du colonisé le rend maître de soi. Par conséquent, il ne souhaite d’aucune manière faire subir à d’autres peuples le même sort qu’il a vécu par le passé de manière collective (la conscience collective). Il explique que la révolution sert à faire sortir du colonisé toute l’humiliation subie à travers la colonisation, mais également le ressentiment qu’il peut éprouver envers la civilisation dominatrice. Le ressentiment qui peut mener à des exactions et à des attitudes haineuses envers l’autre qui est vu comme un bloc indivisible. Sans être en position d’appuyer ou de réfuter les propos de Fanon, l’analyse globale de ces idées montre qu’elles ont été confirmées, en partie, par l’évolution des pays indépendants à l’époque post-coloniale. On peut dire que l’histoire a donné raison à Frantz Fanon. Comment ? Avec toutes les précautions d’usage, les pays qui se sont libérés de la manière expliquée par Fanon (Algérie et Vietnam) «révolutions militaires» ont obtenu leur indépendance grâce à la force avant tout. Ils ne sont jamais devenus (jusqu’à maintenant en tout cas) des pays expansionnistes qui souhaitent ou aident à conquérir d’autres pays/territoires de manière illégale. L’armée algérienne a instauré depuis l’époque de Boumediene le principe de non-ingérence. Par ailleurs, elle tient au principe que l’armée algérienne n’intervient qu’à l’intérieur du territoire national. Ce principe, critiqué parfois par l’opposition et par d’autres pays, bénéficie tout de même du soutien d’une large partie de l’opinion publique. Le Vietnam a toujours soutenu les causes «justes» du tiers-monde. Il fait partie des pays qui mènent la lutte contre les nouvelles formes de colonisation. De façon évidente, son processus de libération y est pour quelque chose. Ibn Khaldoun avait écrit que «le vaincu est voué à imiter le vainqueur». On peut interpréter cette phrase en disant concernant l’époque coloniale : le colonisé est fasciné par colonisateur. D’autres pays, qui n’étaient pas certes dans la même situation (occupation coloniale), Irak et Indonésie, ont agressé d’une façon ou d’une autre des territoires frontaliers. Dans ces cas, le colonisé, tel que Fanon le pense, est devenu à son tour oppresseur. C’est une façon de dégager l’humiliation subie à travers la période de domination coloniale. C’est dans ce cadre pluridisciplinaire qu’on peut lire également la lutte menée post-indépendance par certains pays pour l’élimination des effets de la colonisation, notamment dans des pays libérés après un processus révolutionnaire, tels que l’Algérie. En Algérie, l’élimination des khemassa, du travail forcé, des cireurs, l’égalité des chances entre les fils des diverses classes sociales… et mêmes certaines dérives à l’égard de la bourgeoisie locale peuvent donc être interprétées comme le résultat de cet inversement : «les derniers deviennent les premiers», et à cette fierté née du processus révolutionnaire.
K. O.
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