La pensée et la philosophie du 19 juin 1965
Par Mohamed Benallal – «La justice sera égale pour tous, elle sera exempte d’arbitraire et soustraite à toute pression. Elle ne sera pas l’instrument de la politique d’un homme, mais celui de la révolution.» H. Boumediene, discours fait à l’occasion du troisième anniversaire de l’indépendance.
Houari Boumediene (Allah yarhamou), un véritable homme d’Etat, mérite bien une pensée pour ses œuvres révolutionnaires pratiques et conceptuelles. Le 19 juin 1974, fête du redressement de la Révolution, il avait proclamé depuis Constantine une pensée fondée qui se concrétise aujourd’hui, tout en prononçant dans son fabuleux discours aux cadres du parti : «Si jamais un gouvernement bourgeois s’installait dans notre pays avec ses appareils et sa police, le paysan et l’ouvrier ne connaîtraient que l’avilissement. Il va sans dire aussi qu’une classe bourgeoise serait créée et serait pire que le colonialisme.»
«La révolution se reflète dans les couches sociales de la nation, elle est synonyme d’action et d’effort.» Meeting de Batna, 24 février 1968.
Boumediene était un véritable progressiste, un socialiste émérite, un révolutionnaire éprouvé qui croyait dur comme fer que le véritable pouvoir révolutionnaire est l’émanation des travailleurs et des fellahs, œuvrant sans cesse dans l’unique intérêt des travailleurs et des fellahs. La bourgeoisie, c’était le capitalisme industriel privé et vice versa. Le monde d’hier était constitué de deux blocs et un tiers-monde vivant dans la sphère des Non-alignés au centre de la guerre froide. Aujourd’hui, un monde unipolaire où l’impérialisme et le sionisme représentent les instruments efficaces de l’oligarchie financière, et où la loi de la force la soumission de tout le monde à la nouvelle morale financière. Boumediene, en dehors de sa politique extérieure, construisait son pouvoir à travers une conception philosophique et un pragmatisme effectif et positif qui trouve un écho sincère parmi la population algérienne, car il croyait dur à la justice sociale et sans elle, il ne pouvait y avoir de salut. La conscience des Algériens ne pouvait accepter qu’une catégorie s’enrichisse indûment alors que d’autres connaissent le besoin, la gêne et même la pauvreté. Boumediene croyait au fond de lui-même en une société plus équitable, car pour lui, la société ne peut être vivable que dans la mesure où il existe un minimum de cohésion sociale basée sur le mérite, les valeurs universelles et la morale sociale. Cet ensemble de principes, de pensées, d’approches, c’est à l’Etat d’y veiller scrupuleusement, il disait aussi «qu’il nous faut un appareil administratif constituant une véritable charpente de l’Etat, soumis à la seule autorité des lois, dans le respect de nos options fondamentales d’où seront bannis l’irresponsabilité, le laisser-aller et certaines mœurs politiques, et par conséquent, il faut construire un Etat qui subsiste aux hommes et aux événements, sans quoi il n’y aurait point de légitimité, voir même de raison d’être. Un Etat fort qui défend les droits du peuple, un Etat jouissant du respect de tous, un Etat forgé d’une morale révolutionnaire, un Etat fondé sur un engagement social réel dans le respect de nos valeurs nationales, un Etat capable d’assurer dans la pérennité l’ordre et la discipline». Ce grand homme d’Etat a conçu et préparé un projet de société et un modèle économique que les «deboumedienistes» ont effacés pour entamer un dangereux virage dont nous subissons les conséquences aujourd’hui, les secousses sont fortes et peuvent entraîner le pays dans un abîme sans issue. Cela a commencé par Brahimi dit «la science» qui avait déstructuré le secteur industriel au profit d’une économie de consommation de produits venus d’ailleurs (programme antipénurie, PAP), le pouvoir de l’époque avantageait et favorisait la bourgeoisie compradore. Après octobre 88, un virage a été effectué vers un autre système plus libéral et le FMI et la Banque mondiale sont venus pour mettre en œuvre la théorie de M. Friedman en expérimentation : privatisations, liquidations, chômage, inflation, dévaluation… et ce, au profit des nouvelles oligarchies sans scrupules. La situation dans le pays s’est manifestée par de nouvelles «valeurs négatives» dans la société, l’Etat, le pouvoir : la corruption, le laxisme, le non-droit, les détournements, l’impunité, le gaspillage, le vol, l’anarchie sociale, l’import-import, la bureaucratie, le clientélisme, la harga, Ansej (crédit gratuit),l’informel, la fraude, l’évasion fiscale, le trabendo, le piston, l’injustice, l’iniquité, la saleté de l’environnement, la dévalorisation de la valeur travail, etc. La pensée sincère de Boumediene était basée sur l’esprit de la révolution véritable, celle qui exige que les responsabilités soient partagées selon les mérites et que soient félicités ceux qui réussissent dans leur tâches et missions de création de valeur, d’organisation, de bien faire, de progrès… et écartés ceux qui ont failli. Cet esprit «boumedienien» a prévalu en son temps, aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit. Lors du septième anniversaire du 19 juin, en 1972, Boumediene avait dit à Skikda : «Si à chaque fois le pouvoir révolutionnaire a respecté ses objectifs et tenu ses promesses, c’est tout d’abord parce que son action se fonde sur les réalités concrètes et non point sur des spéculations hasardeuses.» Les années 70 ont été marquées par le choix du pouvoir, c’est-à-dire définir un système d’organisation de direction, car la révolution avait besoin d’une autorité qui décide (qararna !) et qui prenne ses responsabilités, qui soit prête en cas d’erreur à en rendre des comptes et si elle commet une faute grave à en payer le prix. Ce système a été critiqué et c’est tout à fait légitime, «c’est normal» comme disent les Algériens ! Car il n’existait pas de démocratie, ni de Parlement, ni de liberté d’expression, la phase historique que le pays avait traversée exigeait une direction solide, aujourd’hui, avec toutes les institutions existantes, ces dernières ressemblent à des coquilles vides. Boumediene n’exagérait pas lorsqu’il ne cessait de réaffirmer souvent que l’indépendance politique de l’Algérie n’aurait aucun sens et aucun contenu si elle n’est pas directement suivie d’une indépendance économique, c’était son explication pour nous signifier la liquidation des bases du colonialisme et du néocolonialisme, ainsi que l’élimination de l’impérialisme et la mise à la disposition du peuple de toutes les richesses du pays. Il a toujours refusé qu’un grand pays ou de grandes institutions comme le FMI, la Banque mondiale puissent décider de notre destin, aujourd’hui, nous avons laissé à autrui le soin de régler nos propres affaires, négocier en notre nom ou trouver les mauvaises solutions en nos lieu et place. Le prix de la souveraineté et de la dignité a été dévalué et le peuple n’est plus maître dans son propre pays.
«Le 19 juin 1965 a été imposé par l’histoire. C’est un réajustement révolutionnaire, après la déviation qui est apparue dans le cours de la révolution, la révolution des masses populaires que nous affirmons être collectives.» Discours lors de l’inauguration du Musée national de la révolution, le 10 juillet 1965.
La véritable explication du 19 juin 1965, disait Boumediene, lors d’une réunion des cadres de l’Est algérien à Constantine le 20 février 1966, se résume ainsi : ni leader, ni leadership, ni prophète, mais une harmonie logique et une coordination systématique entre le pouvoir et la base, et la participation de la base et du pouvoir à toutes les décisions à prendre qui intéressent l’avenir du pays dans tous les domaines.
M. B.
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