Boumediene : homme d’Etat et visionnaire
Par Mohamed Benallal – Feu Houari Boumediene était l’émanation d’une élite qui se dévoilait dans sa stature, son regard, son mode de vie, ses paroles, ses discours. Il avait, comme disait le chanteur français Marc Lavoine, «les yeux revolver et un regard qui tue», ce regard profond d’un solitaire qui apprécie des choses indiscernables au commun des mortels. C’était un jeune homme de rigueur et de discipline qui allait remettre l’Algérie sur les rails (à 24 ans, il était au maquis, à 33 ans, il était président). Certains, comme moi, regrettent Houari Boumediene, son époque, son travail, son intégrité, sa droiture, son charisme, son intelligence… Tout le peuple a pleuré à sa mort (assassinat) et tout le peuple se souviendra de lui comme étant à jamais le jeune père de l’Algérie (il nous a quittés à 46 ans). L’homme a redonné une dignité à son pays et son peuple. Il a fait de l’Algérie une puissance respectée dans le monde entier. Allah ya rahmek ya Boumediene ! Nous ne pouvons rien ajouter à ce que nous savions à partir d’événements, faits et circonstances vécus, des réalisations et des discours pendant la période 1965-1978. Feu Boumediene accompagnait l’épistémè par sa realpolitik à travers une foultitude de discours pour mieux faire connaître et nous imprégner de sa démarche, ses idées, sa méthode, ses problèmes, sa franchise et sa véracité, pour le développement du pays. Le discours politique n’est pas uniquement une succession de mots comme le pensent certains, c’est une intonation, un geste, une attitude, une action, une expression, un bilan, une morale ; le discours est le visage de l’esprit, disait Montesquieu.
Là où il y a une volonté, il y a un chemin
Certes, le langage politique est le langage du pouvoir, il est aussi le langage de la décision politique, économique, sociale et culturelle qui s’enregistre pour le compte du grenier de l’Histoire. Houari Boumediene était un jeune président ayant un charisme hors pair. Sa démarche à l’intérieur du pays s’assurait sur des options claires en politique, en économie et au culturel. Elles ont été précisées et affirmées sur le terrain. Elles s’implantaient intensément et modifiaient de jour en jour le paysage géographique, économique, social, culturel et politique du pays. A l’extérieur, la voix de l’Algérie était respectée et écoutée à la fois, son conseil d’or était recherché, ses décisions sages étaient prises en considération, sa force était issue de la morale, de la justice, de l’égalité, de la légalité, de l’équité, de son humanisme. Boumediene était de ceux qui ont lutté pour un «nouvel ordre mondial» (c’est le Brics qui a pris cette initiative) qui favorise notamment un meilleur équilibre des relations Nord-Sud. Il était un des leaders du Mouvement des non-alignés, rempart contre les politiques impérialistes et soutien indéfectible des luttes de libération dans le monde et notamment de la lutte du peuple palestinien. L’Algérie de l’époque savait tant bien que mal, ici comme ailleurs, que rien n’était jamais définitivement ni totalement acquis.
«Tout compromis repose sur des concessions mutuelles, mais il ne saurait y avoir de concessions mutuelles lorsqu’il s’agit de principes fondamentaux.» Gandhi.
Sans faire de comptabilité ni l’éloge de sa gestion, la priorité de Boumediene était, comme il y avait tant d’orphelins, de veuves et de handicapés de la guerre de Libération, de panser les blessures laissées par la guerre, sauvegarder l’unité du pays, mettre sur les rails l’appareil administratif, reconvertir l’armée, combattre la politique des clans, mettre en place une politique pour le respect et l’obéissance des règles de l’Etat, juguler tous les désordres socioéconomiques, jeter les bases d’une industrie moderne, réorganiser les circuits de distribution et de commercialisation, nationaliser les ressources naturelles, les banques et autres institutions, donc, des problèmes à qui il fallait faire face. Il avait mis les bases des éléments de l’identité de la nation algérienne, ses institutions, une politique économique et a su cerner les forces vives de la nation ; ce sont des chapitres que l’on retrouve détaillés dans ses discours. L’Algérie de Boumediene s’était hissée au rang des tout premiers pays du tiers-monde, cela ne voulait certainement pas dire que tout était bien dans le meilleur des mondes, l’Algérie se voulait être avant tout pragmatiste, réaliste et responsable dans le même temps. Elle était consciente également qu’ignorer un problème et ne pas le résoudre, c’est l’aggraver, l’Algérie ne savait pas jouer au luciférien, c’est-à-dire un esprit qui ne fait que nier les choses mêmes si elles sont correctes. Chaque chose se faisait en son temps, l’idée même de la charte nationale était les prémices d’une Algérie démocratique. Etudiant, les idées bouillonnaient en moi entre libéralisme, laïcité, socialisme, marxisme, islamisme, ultralibéralisme… Mode, modèle, stratégie de développement, croissance… mon rêve juvénile se voyait dans ce passage : de la révolution humaine à la révolution algérienne. Le terme «décollage économique» faisait son apparition dans les annales des universités ; c’était vers la fin des années 80 qu’était programmée la fin de ce décollage ; la planification faisait que les résultats socioéconomiques et culturels soient prometteurs. L’étude de l’Algérie se résumait ainsi :
– sur le terrain de réalisation : processus de réalisation d’équipements (industrie pétrochimique, mécanique, pétrolière, métallurgique, électronique, technologique et informatique…) et maîtrise des leviers de commande et de gestion économique, pour mieux affecter l’utilisation des résultats obtenus. La Révolution agraire était certes un échec dans sa réalisation, mais n’était pas une fin en soi comme disait Boumediene dans un de ses discours : «Naal bouha taora eli ma tantaj el-batata oua zrodya» (je n’ai nullement besoin de cette Révolution agraire qui n’arrive même pas à produire de la pomme de terre et de la carotte). Après tout, ce système aurait pu marcher, mais en Algérie, les circonstances contextuelles ne l’ont pas permis et il ne pouvait pas le deviner avant d’avoir essayé. Pourtant, ce système n’était pas aussi mauvais au fond. Qui ne commet pas d’erreurs ? Et pourquoi ses successeurs ne les ont pas corrigés aussitôt ? Tout simplement parce qu’ils ont détruit tout ce que Boumediene avait fait ;
– se placer sur le plan des idées, idées motrices qui animent l’évolution de la stratégie de développement, du modèle de développement et du projet de société de l’Algérie. Ce sont en général les instruments de bords existants de l’époque qui orientaient et guidaient efficacement le navire Algérie de Boumediene.
«La démocratie devrait assurer au plus faible les mêmes opportunités qu’au plus fort.» Gandhi.
Tout ceci ou cela ne peut être fait sans grincement, sans tensions et sans erreurs. L’ordre, la discipline, les normes, valeurs, morale, et la règle de l’art étaient pris en considération dans le respect de la chose de sa politique. Cela nous amène à parler bien entendu de la coexistence du capital privé avec le capital public. Peuvent-ils vivre main dans la main, dans quelle proportion et quelle limite ? Pour le bien de l’Algérie entière ! Le socialisme à la chinoise était pris en considération à l’époque, on le signifiait comme étant le «capitalisme d’Etat». Les jeunes, les étudiants et les intellectuels représentaient le fer de lance de la bataille du développement du pays. Cela était un bref rappel sur la politique d’un jeune homme d’Etat sur sa vision du monde arabe.
5e congrès des moudjahidine (Alger, le 24 août 1978)
Houari Boumediene disait dans son fameux discours que le monde arabe est sur le point de perdre à nouveau son indépendance chèrement acquise, et ce, en raison des agissements, manigances et manœuvres de certains de ses dirigeants qui ont tout fait au détriment de leurs peuples, pour avantager et favoriser le retour de la domination étrangère par une nouvelle forme de colonisation. «Ces dirigeants ayant perdu toute confiance dans les potentialités arabes prétendent qu’ils ne peuvent vivre libres et indépendants sans lier leur sort à celui des grandes puissances, or, les potentialités arabes sont énormes. Il est vrai que les Arabes possèdent aujourd’hui des fortunes colossales « amoual Qaroun »*. En réalité, où est cet argent, à qui profite-t-il ? On nous parle hypocritement d’arabisme et d’islam, je répète ici ce que j’avais dit à Lahore. L’expérience humaine a démontré qu’aucun lien si solide soit-il, géographique, national ou religieux, ne peut résister à la pauvreté et à l’exploitation. Je rappelle ici le mot célèbre du khalife Ali : « Je m’étonne qu’un homme affamé ne sorte pas dans la rue en brandissant son épée. » Voilà l’islam authentique ! La vérité, c’est que la fortune des Arabes profite surtout aux Occidentaux tandis qu’eux-mêmes n’en reçoivent que des miettes.» Boumediene pressentait déjà l’islamisme politique et le charlatanisme religieux. Lors d’une réunion de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), il déclara : «Les hommes ne veulent pas aller au paradis le ventre creux, un peuple qui a faim n’a pas besoin d’écouter des versets. Je le dis avec toute la considération pour le Coran que j’ai appris à l’âge de dix ans. Les peuples qui ont faim ont besoin de pain, les peuples ignorants de savoir, les peuples malades d’hôpitaux.» A partir de ce fait, Houari Boumediene se demandait où est l’islam ? Où est la solidarité ? La fraternité ? La justice ? Il disait, aussi, «oui, nous sommes pour l’arabisme, pas celui de l’humiliation, mais celui qui s’oppose à la domination étrangère et qui œuvre au triomphe des causes justes». Il s’est avéré que depuis 67 ans la plus importante des causes arabes et musulmanes est précisément celle du peuple palestinien, ceux qui se prennent pour des apôtres de la paix ou des génies politiques depuis Salah Eddine, ceux-là qu’ont-ils fait ? Ils se sont rendus à Al-Qods pour la reconnaître comme capitale d’Israël, ils ont ouvert des bureaux pour le commerce avec Tel-Aviv, ils ont sécurisé Israël au détriment des guerres dans les pays arabes, le pétrole sert à financer les guerres interarabes, donc, faire activer le capital militaire. Certes, le président de l’Egypte est en droit de chercher des solutions aux problèmes que connaît l’Egypte, mais il n’a pas le droit d’offrir aux Israéliens des territoires qui ne sont pas les siens. Le vieux réflexe de «contextualisation» culturelle, «contextualisation» historique, «contextualisation» économique et «contextualisation» géostratégique ! Le monde d’hier était «bipolaire», il avait structuré et organisé les équilibres de la planète (régionaux et continentaux). La disparition de cette bipolarité a mis fin à cet équilibre et nous amène à revoir la philosophie de nos approches, de nos systèmes, de nos pensées, de ce qui se trame dans ce monde actuel, et ce, quelles que soient l’analyse et l’issue que les uns et les autres ont pu faire de cette période de l’humanité. C’est un élément clé. Où sommes-nous aujourd’hui ? Le Soudan ? L’Irak ? La Syrie ? La Libye ? La Somalie ? Le Liban ? La Palestine ? L’Egypte ? L’Algérie ? La Tunisie ? Le Yémen ? La Ligue arabe transformée en ligue oligarchique où les pétromonarchies assurent bonnement le rôle de vassal au profit du sionisme. Les vassaux travaillent pour leurs propres intérêts et l’Occident alors que Boumediene travaillait pour son peuple et son pays. Seuls les Occidentaux et les ennemis de l’Algérie et des Arabes l’appelaient «dictateur», car il ne servait pas leurs intérêts. A chaque fois qu’un homme travaille pour son peuple et son pays sans être le valet des Occidentaux, on le qualifie de «dictateur» et on l’assassine. Il est clair que plusieurs lectures se font à ce jour, les accords d’Evian nous dévoilent beaucoup de choses aujourd’hui. Boumediene avait une vision politique, économique et culturelle que la France ne voulait pas, c’était celle de l’indépendance économique, culturelle et sociale. Aujourd’hui, l’application de la politique, de l’économie, du social et du culturel se font conformément aux accords d’Evian par les sbires de l’Algérie française. Tout ce qui a été prédit par Boumediene en 1978, nous le vivons amèrement aujourd’hui, tous les pays arabes sont dans le pétrin pour ne pas l’avoir écouté.
M. B.
(*) Amoual Qaroun : la richesse que possédait un homme cité dans le Saint Coran du temps de Moise.
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