Le témoignage édifiant de l’un des deux moines rescapés de Tibhirine
Jean-Pierre Schumacher est l’un des deux miraculés du monastère de Tibhirine. Après avoir échappé, en 1996, à l’enlèvement des sept moines par le GIA, il s’est installé au Maroc, au sein d’une communauté chrétienne. Témoin vivant de cet événement tragique qui a fait couler beaucoup d’encre et a été exploité par les partisans du «qui tue qui», il livre un témoignage édifiant qui démonte toutes les affabulations tissées autour de ce drame. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le moine raconte : «En 1996, le 27 mars, à 1 heure du matin, j’étais dans ma chambre à côté du grand portail que j’avais fermé avec un gros verrou, comme tous les soirs. J’ai été réveillé par des bruits à l’extérieur. Je me suis dit : ça y est, ils sont là !» Il fait allusion aux éléments du GIA qui étaient venus quelques jours auparavant demander le médecin du monastère, père Luc, pour certainement soigner des terroristes. Atteint d’asthme, ce dernier leur avait expliqué qu’il ne pouvait pas se déplacer si loin. Jean-Pierre Schumacher était, à cette époque, le portier du monastère. Il dit avoir pris toutes les précautions, en verrouillant le portail et en fermant la porte de sa chambre. Mais il apprendra plus tard que les terroristes avaient pris en otage le gardien du monastère, qui logeait en bordure de route, et qu’ils l’avaient sommé d’ouvrir toutes les portes. L’un des terroristes lui avait demandé : «Est-ce qu’ils sont bien sept ?» et il avait répondu : «C’est comme tu dis !» Dans la cour, il décèle la voix de père Christian, qui leur demandait derrière le portail : «Qui est le chef ?» Quelqu’un a répondu : «C’est lui le chef, il faut lui obéir !» «Là, j’ai senti qu’il fallait se méfier, dit Schumacher, parce qu’on ne parle pas de cette façon à un moine.» Le moine miraculé explique que les terroristes ne savaient pas que les religieux français étaient au nombre de neuf. Ils sont d’abord allés chez le médecin «qui dormait toujours la porte ouverte à cause de son asthme», puis chez le prieur, ainsi que chez cinq moines qui étaient à l’étage. Les chambres où étaient logés les invités du monastère et un groupe de religieuses, se souvient-il, n’ont pas été approchées. Quant au gardien, Mohamed, il a pu leur échapper au moment où ils voulaient l’abattre. Celui-ci lui a raconté lorsqu’il est sorti de sa cachette, le matin, qu’il avait entendu l’un d’eux dire à un autre : «Va chercher une corde, on va faire voir à ce gardien ce qu’est le GIA. Au bout de quelques instants, le calme revient dans le monastère. Soudain, quelqu’un frappa à sa porte. «Je pensais que c’était eux. Mais c’était père Amédée et l’un des invités du monastère, père Thierry Becker, qui sont venus me dire que nos frères avaient disparu.» Pour alerter les autorités, les deux rescapés constatent que les fils téléphoniques avaient été coupés. A 5h du matin, ils se sont rendus à la caserne militaire du village pour y faire une déposition, poursuit père Schumacher dans son témoignage. Ils ont encore attendu deux jours. Toujours sans nouvelles des sept moines disparus, ils décident de se rendre à Alger, à la maison diocésaine, là où d’autres communautés chrétiennes menacées s’étaient réfugiées. Quelques jours plus tard, père Schumacher décide de rejoindre la communauté religieuse des cisterciens trappistes, à Fez, au Maroc. Son coreligionnaire, père Amédée, était resté à Alger pour continuer de gérer le monastère à distance. Un mois plus tard, le 21 mai, le GIA revendique l’assassinat des moines enlevés. «J’étais à la prière dans notre monastère à Fez, raconte-t-il, lorsqu’un frère est entré et s’est mis à plat ventre en criant : « Les pères ont été tués ! » « Il ne faut pas être triste, lui ai-je répondu. Ce qu’on est en train de vivre est quelque chose de très grave et de très beau aussi. S’il y a une messe à célébrer pour eux, elle ne sera ni en noir ni en violet, couleurs du deuil, mais en rouge, signe des martyrs »», raconte père Schumacher, qui apprendra, le jour des funérailles des moines, le 2 juin, que seules les têtes avaient été retrouvées et qu’il n’y avait aucune trace des corps.
R. Mahmoudi
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