Rocard : le black-out français
Par Kamel Moulfi – Dans le flot d’hommages rendus à l’éminent homme politique que fut Michel Rocard, décédé hier soir, un de nos lecteurs algériens établi en Belgique nous fait remarquer l’omission significative de la célèbre «Note sur les centres de regroupement» qu’il a rédigée alors qu’il était jeune inspecteur des finances stagiaire à l’ENA, adressée, en février 1959, en pleine guerre d’Algérie, au Délégué général du gouvernement français à Alger, Paul Delouvrier. Notre lecteur a raison de trouver scandaleux que les chaînes de télévision françaises ainsi que les médias électroniques évoquent son parcours dans les moindres détails, jusqu’à ses choix musicaux et ses goûts culinaires, sans prononcer un seul mot sur le rapport sur les camps de regroupement dans lesquels ont été parqués, à partir de 1957, plus de deux millions de paysans, soit pas loin de la moitié de la population algérienne rurale.
Dans le rapport qui portera son nom, Michel Rocard décrivait les conditions sanitaires déplorables qui régnaient dans ces camps de concentration et le risque de famine qui menaçait les «regroupés». Les études qui ont été faites sur ce document indiquent que Michel Rocard n’agissait pas seulement en haut fonctionnaire qui répondait à une demande «officieuse» de sa hiérarchie, mais déjà comme homme politique engagé. La preuve : il a fait en sorte que son rapport soit «fuité» vers la presse pour que l’opinion publique française sache comment se comporte la France en Algérie.
En mars 2012, dans un témoignage pour un film documentaire consacré à ce sujet, il affirmait qu’à son avis, dans ces centres, «sont mortes de faim 200 000 personnes et en majorité des enfants». C’est certainement l’explication du black-out total des médias français sur ce geste historique de Michel Rocard (solidaire avec le peuple algérien) qui va à contresens du comportement honteux du président Mitterrand (adepte de l’Algérie française et de la répression contre les patriotes algériens), dont il fut le Premier ministre. On sait que cette «cohabitation» s’était évidemment très mal passée.
K. M.
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