Interview – Brahim Senouci : «L’Algérie n’a introduit aucune demande officielle pour la restitution des crânes»
Algeriepatriotique : Selon les derniers échos, les crânes des résistants algériens exposés au Musée de l’Homme à Paris devraient être restitués. Vrai ou faux ?
Brahim Senouci : Ce n’est ni vrai ni faux. A vrai dire, nous n’en savons rien, mais nous menons le combat sans relâche en vue de rapatrier ces crânes. Il va falloir jouer serré. Vous le savez sans doute, le gouvernement a réagi, par la bouche du ministre des Moudjahidine, probablement sous l’impulsion de l’association Mechâal Echahid. Une avocate, maître Benbraham, dont on ignore si elle a été chargée de défendre la position du gouvernement, s’est exprimée récemment pour annoncer qu’elle allait demander aux autorités françaises de rendre ces crânes aux «descendants et aux petits-enfants de ces résistants, ainsi qu’à la société civile». C’est une erreur stratégique. Les dirigeants du Musée de l’Homme ne demandent pas mieux ! En effet, ils sont en droit d’exiger que les descendants en question soient identifiés, soumis à des tests ADN… Ils savent que ce n’est pas possible. Le massacre des Zâatcha a eu lieu il y a près de deux siècles. De plus, de l’aveu du général Herbillon qui l’a orchestré, il n’y a eu comme survivants qu’un aveugle et quelques femmes. Il y a donc un gros doute sur l’éventualité même de l’existence de survivants. Quant à la praticabilité de tests ADN… J’ai tenté de l’alerter via les journaux qui ont reproduit ses déclarations, mais ils n’ont pas cru bon de publier les correctifs que je proposais.
Dans une réponse qui vous a été adressée par le directeur du Musée de l’Homme, il est noté que c’est l’Etat algérien qui doit entreprendre une telle démarche. Est-ce à dire que l’Algérie n’a pas introduit une demande officielle ?
L’Algérie n’a, en effet, introduit aucune demande officielle. Cela paraît surprenant mais c’est ainsi. S’embarquer dans des tentatives d’explication me paraît assez vain. Il vaut mieux renforcer la pétition pour que cette question devienne indépassable. Elle est en train de le devenir. Il faut juste coordonner nos efforts, rechercher des synergies, garder à l’esprit le but suprême qui n’est pas la litanie incantatoire mais la concrétisation du retour d’une partie de notre patrimoine symbolique.
Vous venez de lancer une pétition pour que soient restitués justement ces restes de résistants et qui a récolté un nombre impressionnant de signatures. Cette pétition s’adresse-t-elle en définitive à l’Etat algérien ou à l’Etat français ?
Cette pétition est le fruit d’une approche citoyenne. Les crânes sont au Musée de l’Homme, qui dépend lui-même du Musée national d’histoire naturelle. C’est à eux que nous nous adressons. C’est à eux de s’organiser, en relation, j’imagine, avec leur gouvernement. Je sais qu’il y a en ce moment des discussions sur ce sujet. Nous savons bien sûr, qu’in fine, des échanges devront avoir lieu entre les deux Etats. Nous savons aussi, instruits par des expériences précédentes, notamment celle de la restitution de la Vénus Hottentote, qu’il faudra peut-être un passage par l’adoption d’une loi. Ces crânes, détail morbide, font partie de collections dites inaliénables. Cela veut dire que leur restitution est théoriquement impossible tant qu’une loi n’aura pas levé cette inaliénation.
Hormis ces crânes, existe-t-il d’autres restes qui seraient détenus en France ?
C’est probable. Il y a eu tant de massacres en Algérie… Il y a eu tant de «collectionneurs» avides de têtes, de fœtus, d’oreilles… Mais les malheureux concernés sont restés anonymes et le resteront sans doute, hélas, pour l’éternité. Mais pourquoi ne pas songer à une cérémonie symbolique d’hommage de la nation à ces «enfumés», ces «emmurés», ces essorillés, éventrés, décapités…
Selon les éléments d’information dont vous disposez, pensez-vous qu’il y aura un accord imminent entre les deux Etats pour le règlement de cette affaire ?
Je n’ose me prononcer à ce sujet. Je demeure convaincu que la proximité d’un accord, qui ne peut porter sur le principe même de la restitution qui doit être considérée comme un préalable, mais sur les détails politiques et techniques, dépend de notre mobilisation. Si on ne comptait que sur le bon vouloir des autorités politiques, nous pourrions attendre très longtemps.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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