L’époque des hommes d’honneur
Par Abdelkader Benbrik – Nous évoquons en cette occasion de braves Algériens disparus depuis, des gens dont toute la génération de l’indépendance ignorait l’itinéraire : Amar Benguella, Bouziane El-Qalaï et Jean «Caillou». Bouziane El-Qalaï était un personnage courageux, originaire de Beni Chougrane, dans le Dahra, né en 1838 à El-Kalaâ ; à 25 ans, il devint un cavalier imbattable et redoutable. Homme d’honneur, le 13 août 1873, Bouziane El-Kalaï barra la route à El-Hadj Mohamed Ben Abdallah, un riche propriétaire de Chlef très dévoué à la cause française en Algérie, qui s’est rendu en calèche en visite à sa fille. Lors de son retour, il fut intercepté par Bouziane El-Qalaï qui le délesta de tout ce qu’il avait sur lui. Il lui laisse la vie sauve espérant qu’il reviendra à la raison. Par ailleurs, près de Mohammedia, un caïd est assassiné ; sur dénonciation d’un cousin de la victime, l’autorité d’occupation a arrêté le Cheikh du douar. Bouziane, informé qu’un caïd traître a été exécuté et que les autorités d’occupation ont saccagé le douar et arrêté le grand Cheikh, le jour du souk, mit la main sur le dénonciateur et devant tous les présents, il le traita de lâche, de vendu, de fils de chien, en lui donnant un ultimatum : «Tu vas maintenant, et sans tarder, chez l’administrateur colonial, ce gaouri, tu vas lui dire que si l’innocent cheikh qui est arrêté n’est pas relâché, je reviendrai pour le tuer et toi avec.»
Le lendemain, l’innocent Cheikh du douar est relâché. Bouziane El-Qalaï fait partie de cette espèce d’homme introuvable aujourd’hui. Il ne cultivait pas seulement les qualités d’homme d’honneur, il était un résistant résiduel, de ceux que l’Emir Abdelkader a enfantés, ces gosses de la fin de l’époque d’Abdelkader qui sont devenus des révolutionnaires. Voilà pourquoi Bouziane s’est attaqué aux caïds. La France coloniale a mis à sa recherche les cavaliers et les goumiers de toutes les communes mixtes de la région d’Oran. Les gendarmes supervisaient deux compagnies de Zouaves, un peloton de Spahis avec l’ordre de ramener Bouziane El-Qalaï mort ou vif. Le 30 décembre 1874, l’administration coloniale a rédigé un rapport, envoyé à Paris, pour informer de la révolte de Bouziane El-Qalaï, alors qu’en 1892, le Conseil général vota la mise à prix de sa tête de Bouziane à 125 000 francs. La France considère la rébellion de Bouziane El-Qalaï comme une continuité de la résistance de l’Emir Abdelkader, elle dura 13 années. Bouziane est capturé suite à la dénonciation par un traître nommé Benyoucef. Il condamné à mort, il sera pendu à Mohammadia, à l’âge de 39 ans, le 20 juillet 1876 à l’aube, à l’endroit de l’actuel jet d’eau du jardin public de Mohammadia. Il y a aussi Amar Benguella. Qui est-il ?
Amar Benguella est un patriote qui s’est rebellé contre l’injustice, il abattra un dangereux colon qui méprisait les Algériens et les spoliait de leurs terres et biens. Il prendra ensuite le maquis, dans les années quarante. Amar Benguella souhaitait que tous les Algériens s’insurgent contre l’occupant, il dira à ses interlocuteurs qu’il faut d’abord nettoyer le pays de l’occupation et des traîtres comme les caïds et les Spahis, les engagés volontaires, puis faire de la politique. Amar Benguella n’était pas un assassin, mais le caïd mit à sa poursuite des dizaines de pisteurs pour le tuer. Il leur disait : «Il faut tuer ce chien de Amar !» Alors, Amar prépara un bon coup au caïd. Il était assisté de sa femme avec qui il partageait un amour mutuel – elle était destinée au fils du caïd avant qu’il ne l’enlève. Avec ses chaussures rouges, elle traversa un jour le douar, le caïd l’a reconnu et l’a suivi, mais Amar l’attendait au premier buisson, il recevra deux coups de chevrotine. Il tomba raide mort. Depuis, l’autorité d’occupation a mis tous les moyens pour appréhender Amar Benguella. De douar en douar, de Mostaganem à Relizane, d’Arzew à Tiaret, et jusqu’à Ténès, Amar Benguella a marqué le terrain de la lutte révolutionnaire, lui et Bouziane El-Qalaï étaient le trait d’union entre la résistance de l’Emir Abdelkader et novembre 1954. Benguella, comme Bouziane, a été donné par un Judas arabe, il fera face aux gardes mobiles et aux spahis venus en renfort, jusqu’à la dernière cartouche. Il tomba au champ d’honneur en héros. Il a été, malheureusement, non suivi à cette époque par la masse.
Le chahid Jean «Caillou»
Les Algériens, surtout les députés et les sénateurs, connaissent-ils le chahid Jean «Caillou» ? Je ne le crois pas, donc, je vais vous raconter son histoire. Jean le Tiarti, un jeune Algérien très pauvre, avait comme vrai prénom Mohamed, tel qu’il est inscrit à l’état civil de la ville de Tiaret. Pour une affaire de hogra, il fera l’objet de recherche par l’autorité coloniale, pour coups et blessures volontaires aggravés de fuite, ce que l’occupant déclarait à chaque fois. Mohamed est arrêté, jugé et condamné dans les années trente à 20 ans de bagne et travaux forcés à Cayenne. Il passera 20 longues années à casser des petits cailloux en prison, d’où son surnom de Jean «Caillou». Libéré après avoir purgé sa peine, il retourna à Tiaret plus que jamais nationaliste, patriote et révolté contre la France coloniale, il sera parmi les premiers hommes à rejoindre le maquis au déclenchement de la Révolution de 1954. Il tombera au champ d’honneur sur les monts de l’Ouarsenis en 1958, les armes à la main. Depuis, il demeure dans l’anonymat comme beaucoup d’autres braves Algériens oubliés par l’histoire des hommes.
A. B.
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