Chakib Khelil expose son programme économique : qui cherche-t-il à convaincre ?
Depuis son retour en Algérie, il y a quatre mois, l’ex-ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, a beaucoup circulé dans le pays et beaucoup parlé. Après les invitations à visiter les zaouïas, il a reçu les sollicitations d’étudiants pour exposer ses idées sur la situation économique en Algérie et ses perspectives. Samedi 16 juillet, il se trouvait à Béchar où il a donné en soirée une conférence sur «les défis économiques de l’Algérie» devant quelques personnes à peine, si l’on se base sur l’image de la salle diffusée par une vidéo sur sa page Facebook. Durant une heure à peu près, en s’appuyant sur un texte qu’il consultait d’un regard volé, Chakib Khelil a exposé sa vision de l’évolution future de l’économie algérienne. L’utilisation de l’arabe dialectal pour s’exprimer a créé des difficultés à comprendre avec précision ce qu’il a voulu dire, ce qui a l’impression d’une certaine confusion dans son exposé qui, par ailleurs, ne comportait pas de grandes innovations par rapport à ce que l’on connaît des débats sur les mêmes questions qui se déroulent dans les médias ou dans d’autres cadres.
Ses références sont principalement les Etats-Unis et la France. Pour Chakib Khelil, l’Algérie dispose des atouts pour être parmi les pays les plus importants du monde. Il estime que l’économie nationale doit devenir diversifiée et durable. Il explique en quoi consistent ces deux notions : cela signifie que l’économie ne doit pas être basée uniquement sur les rentrées en devises des hydrocarbures et qu’il faut que la croissance soit stable sans être influencée par les fluctuations du prix du baril de pétrole. C’est le premier but de la démarche, selon Chakib Khelil. Le second but est que l’économie nationale puisse créer 400 000 postes d’emploi par an pour répondre à la demande de travail des promotions qui sortiront de l’université. Toutefois, précise-t-il, le marché du travail doit pouvoir absorber cette masse et la demande du marché en qualifications doit correspondre à ce qui sort de l’université.
Comment atteindre ces deux buts ? Il a, pour cela, seize propositions qu’il énumère une à une. En premier lieu, l’économie doit s’appuyer sur six secteurs et non pas un seul, comme c’est le cas avec le secteur des hydrocarbures qui procure 95% des devises et une grande part dans le PIB et dans le budget (60%). Ces secteurs sont l’agriculture – il appelle à encourager la qualité bio qui est demandée dans les marchés internationaux – et l’agro-industrie, l’industrie, la pêche, le tourisme, les services et les hydrocarbures. Ces secteurs doivent générer des devises en plus de celles rapportées par les hydrocarbures. Ils vont, ainsi, à son avis, créer une richesse nouvelle et renouvelable, à la différence du pétrole, et le déficit dans un des secteurs n’aura pas d’impact sur la croissance globale du pays.
Il appelle également à promouvoir les grands projets dans chacun de ces secteurs pour satisfaire les besoins internes et exporter le surplus de production pour avoir des devises. Pourquoi de grands projets ? Parce qu’on utilise, dit-il, l’économie d’échelle pour réduire les charges de production ; on pourra être compétitifs face à ce qui est importé et on pourra vendre à l’étranger. Il cite les avantages comparatifs de l’Algérie : sa position géographique en Afrique ; les hydrocarbures ; les infrastructures vers l’Afrique – ce qui réduit les charges pour exporter vers continent. Il insiste sur le respect des normes internationales pour arriver aux marchés (Europe ou Etats-Unis) où nos produits n’entrent pas à cause de ces normes ; il faut, enfin, créer des zones franches pour attirer les investisseurs et exporter à partir de ces zones et ramener des devises.
Le ministère des Affaires étrangères et les organisations patronales doivent, selon lui, contribuer à l’économie diversifiée et durable, l’un en renforçant les liens diplomatiques et économiques là où les marchés sont potentiels et, pour les organisations patronales, en établissant des relations commerciales internationales pour accroître la demande en produits algériens. Les propositions suivantes ont trait à ce que doit faire l’Etat. Renforcer les infrastructures de base avec l’Afrique ; les transports, les comptoirs de commerce, la fibre optique. Encourager la production nationale et les exportations et limiter les importations des produits finis ; encourager les investisseurs publics et privés (nationaux et étrangers) dans le pays ; utiliser la fiscalité et les crédits bancaires pour l’investissement et l’exploitation ; créer un fonds de garantie de financements extraordinaires pour des produits industriels structurels (comme les profilés d’acier, etc.), parce qu’elles contribuent à créer un tissu de PME et des opportunités d’emplois. Donner toutes les informations aux opérateurs à partir des banques de données des ministères (foncier, analyse des sols, eaux, énergie, réseaux de distribution, voies, carrières, mines et transport aérien et organisation de l’exportation, etc.), pour attirer les investisseurs et leur faciliter la réalisation de leurs projets. Informatiser les services offerts par l’Etat pour fermer la porte à l’économie informelle – c’est, d’après Chakib Khelil, une des plus importantes opérations qui permettront de développer la croissance.
L’ancien ministre qui continue ainsi sa campagne dont il n’explique toujours pas l’objectif escompté, il faut consacrer un fonds de garantie de financement pour l’achat par les citoyens de leur logement, mais, précise-t-il, l’Etat doit continuer à aider le logement social. Il appelle aussi à renforcer le secteur financier et la gestion informatisée des banques pour être compétitifs par rapport aux banques étrangères et moderniser et renforcer leurs capacités. L’ex-ministre de l’Energie consacre aux banques un long moment. Il prône la création d’une banque pour les petits métiers, le renforcement de la Bourse pour, notamment, le financement des projets dans beaucoup de secteurs. Il faut aussi, insiste-t-il, renforcer la gestion par l’Etat de l’économie en intégrant le secteur informel dans l’économie réelle, créer un nouveau dinar pour évaluer les ressources financières du pays et faire délivrer le registre commerce par l’administration des impôts.
Le renforcement des secteurs de l’éducation, de la santé et de la recherche scientifique fait aussi partie des propositions de Chakib Khelil. Ces derniers doivent coordonner avec le monde économique pour répondre à ses besoins, dans le cadre d’une planification indicative et non pas socialiste, précise-t-il, appelant, dans ce sillage, à encourager l’utilisation de la langue anglaise. Parmi les points figurant dans son «programme» également, l’amélioration de la gestion des transports – ports et aéroports – selon les standards internationaux pour concurrencer les mêmes services ailleurs, l’encouragement et le développement de l’énergie solaire et des bureaux d’études.
Pour toutes ces propositions, Chakib Khelil a fourni des justifications qui restent du domaine général. Sa conférence montre une coupure avec les réalités du pays et une méconnaissance de ce qui se passe dans l’économie algérienne. Mais, surtout, elle ne fait pas oublier la situation kafkaïenne dans laquelle lui-même évolue, si on a à l’esprit l’imbroglio judiciaire qui l’entoure. On se demande, enfin, à qui s’adresse Chakib Khelil et quelle est son ambition inavouée.
Houari Achouri
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