Exclusif – Mohamed Salem Ould-Salek à Algeriepatriotique : «Le Maroc est complètement dans le désarroi» (I)
Le ministre sahraoui des Affaires étrangères a accordé une interview exclusive à Algeriepatriotique. Il explique comment le Maroc fait appel à des lobbies pour discréditer la question sahraouie au niveau international.
Algeriepatriotique – Le Maroc mène une propagande tapageuse autour de sa décision d’adhérer à l’UA. Que vise Rabat exactement par ce retour au sein de l’organisation africaine ?
Mohamed Salem Ould-Salek : Il vise beaucoup de choses à la fois. D’abord, après être revenu sur sa décision qu’il considérait comme souveraine et irrévocable, concernant l’expulsion de la composante politique et civile de la Minurso, le Maroc essaie de détourner l’attention de son opinion publique. Mais il vise, aussi, à créer toute une confusion sur la scène internationale, en avançant comme quoi au moins 28 pays de l’UA veulent le retour du Maroc au détriment de la République sahraouie. Il faut observer ceci : le Maroc parle de retour alors qu’il n’était pas membre de l’Union africaine. Cette dernière possède une loi fondamentale qui stipule que pour être un membre de l’UA, il faut d’abord respecter les frontières héritées de l’époque coloniale. Ce qui n’est pas le cas du Maroc, qui est le seul pays, comme Israël, à ne pas respecter les frontières de son voisin. Un autre principe consiste à accepter à l’avance la non-utilisation de la force et refuser l’occupation des territoires d’autrui. Le Maroc occupe une partie des territoires sahraouis. Il y a aussi une procédure inscrite dans l’Acte constitutif de l’UA stipulant qu’un pays qui sollicite l’adhésion à l’UA doit envoyer une demande à la Commission de l’organisation. Cette dernière doit vérifier si le demandeur respecte les principes et les objectifs de l’UA. Si rien, dans cette demande, n’est contraire à l’Acte constitutif, la Commission l’envoie aux capitales des pays membres. Quand la Commission reçoit les réponses positives de la majorité des membres, elle l’annonce au pays sollicitant son admission. Quand le demandeur est accepté, il doit venir au siège de l’Union pour signer l’Acte constitutif, l’endosser ensuite par son Parlement et le signer par la plus haute autorité du pays. Etape suivante, le demandeur doit déposer les instruments de ratification au siège de l’UA, à Addis-Abeba. Le Maroc, s’il a annoncé son intention d’adhérer à l’UA, doit d’abord, pour démontrer sa bonne volonté, l’exprimer et la matérialiser à partir de pas concrets qu’il n’a pas faits. Nous assistons à une manœuvre dilatoire. Le Maroc parle du discours du roi à Kigali, au Rwanda. Cela est faux. Le roi n’est jamais venu, et le discours n’a jamais été prononcé. Il y a eu une délégation dépêchée, à sa tête le président du Parlement, cette délégation s’est cantonnée dans l’hôtel et les cafés. Il parle d’une motion signée par des pays que le président du Gabon devait représenter. Cette motion n’existe pas, sauf, peut-être, dans les archives des services de renseignements marocains, parce que ni le président gabonais ni personne d’autre n’avait présenté une quelconque motion. Et la liste publiée prouve que le Maroc est complètement dans le désarroi. C’est vrai qu’il peut y avoir un groupe de pays qui le soutiennent, qu’on peut compter sur les bouts des doigts d’une seule main. Ce sont des pays qui le soutiennent depuis 1975, à savoir le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Gabon, etc. seulement, ils ne sont pas au nombre de 28. Le Maroc a cité des pays qui n’ont jamais signé quoi que ce soit. Il s’agit d’un grand mensonge, d’un hold-up, dirai-je. Les jours à venir démontreront que le Maroc est en train de mentir et de falsifier les faits.
Les médias marocains manipulent l’opinion en parlant d’un large soutien à cette demande d’adhésion…
Cette campagne médiatique n’existe que chez les médias marocains, relayée par d’autres, trompés ou approchés par les Marocains par les moyens que nous connaissons. Cette manœuvre est exactement la même que celle utilisée en 1998, à Ouagadougou, au Sommet de l’OUA. Le Maroc voulait revenir à l’OUA, le souverain marocain de l’époque, Hassan II, fait un discours diffusé à la télévision burkinabè alors qu’il était à Rabat. Blaise Compaoré, ami de Rabat, invite, la veille du Sommet, une partie des chefs d’Etat amis du Maroc et du Burkina. A 20 h, au moment de passer à table, Compaoré leur annonce que le roi du Maroc voudrait leur parler. Il allume la télé. Le roi prononce un discours, en bonne et due forme, comme s’il était réellement devant les chefs d’Etat. Un débat a eu lieu, lors de ce Sommet, et les membres de l’OUA ont exigé que si le Maroc veut réintégrer l’organisation africaine, il devra le faire en bonne et due forme. Cela a été un fiasco. Aujourd’hui, le scénario se répète. A l’époque, le Premier ministre guinéen avait parlé de trente pays qui soutiendraient le Maroc, sans citer de nom. Aujourd’hui, ils seraient vingt-huit, selon le Maroc, qui publie une liste de pays, lesquels commencent à contester leur appartenance à cette liste.
Pourquoi le Maroc a-t-il choisi ce moment précisément pour introduire cette demande ?
Le Maroc se retrouve de plus en plus isolé. Il bénéficiait, depuis 1975, de soutiens financiers qui viennent du Golfe, jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, qui alimentent la guerre, et d’un soutien politique et diplomatique d’un certain nombre de pays d’Europe et des Etats-Unis. Ce soutien n’existe plus. La position française au sein de l’Union européenne devient minoritaire. Et avec l’intégration qui se renforce au sein de l’Europe, les Français commencent à avoir des problèmes avec leurs partenaires européens. Le statut accordé au Maroc, qui lui a été donné par la France et l’Espagne, qui l’ont imposé à l’Union européenne, commence à avoir des effets négatifs pour le royaume et pour ses partenaires. Toutes les organisations des droits de l’Homme sur les scènes africaine, européenne et américaine accusent le Maroc, non seulement de violation des droits de l’Homme mais aussi de commettre des crimes de guerre. A ce sujet, le tribunal suprême espagnol a accusé le Maroc d’avoir commis un génocide contre le peuple sahraoui. Les parlements nationaux et le Parlement européen exigent que le Maroc se conforme au droit international, qu’il accepte le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui et qu’il se soumette au référendum qu’il a accepté en 1991. Il y a une pression énorme sur le Maroc, sur les gouvernements européens et la Commission européenne. Cette bataille, au sein de l’UE, est renforcée aujourd’hui par une confrontation sur le plan juridique. Le tribunal du Luxembourg a annulé l’accord signé entre l’UE et le Maroc sur les produits agricoles et la pêche. L’UE et la France ont fait appel. Une session vient de se tenir suite à cet appel. Et il y en aura une autre en septembre et le verdict définitif sera peut-être prononcé en novembre prochain. Le problème est qu’aussi bien aux Etats-Unis, en Europe ou dans la région arabe, le Maroc est en perte de vitesse, dès le moment qu’il refuse de reconnaître les frontières de ses voisins, qu’il alimente la région maghrébine, l’Afrique et l’Europe en drogue, sans omettre le fait que les actes terroristes perpétrés à Madrid, Paris et Bruxelles sont fomentés par des Marocains. La propagande en France et en Espagne qui présente le Maroc comme étant un pays stable, avec un islam modéré, ne trouve plus de tribune, ajoutons à cela la revendication du peuple marocain pour plus de démocratie. Le Maroc est isolé dans ses derniers fiefs. Isolé depuis longtemps, en Afrique, parce qu’il avait quitté l’OUA. Et aujourd’hui, il est en confrontation directe avec les Nations unies. Il a retiré sa confiance à l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU depuis 2012. Il a refusé à Ban Ki-moon de venir au Maroc, chose qui a irrité les Nations unies. Ban Ki-moon qualifie ensuite le Maroc d’occupant, et ce dernier répond par l’expulsion de la Minurso qui symbolise l’organisation du référendum. Le Maroc voudrait que la Minurso observe seulement le cessez-le-feu. Tout cela fait que le Maroc se retrouve dans une situation difficile. Les méthodes du régimes alaouite sont connues : dévier l’attention des Marocains, essayer d’inculquer un chauvinisme désastreux au peuple marocain, en lui mentant sur l’origine des problèmes et en essayant toujours de reporter cela sur le Front Polisario et l’Algérie, et sur tous ceux qui soutiennent la cause sahraouie. Le fait qu’il soit revenu sur ses décisions qu’il considérait comme étant souveraines et irrévocables, et qu’il ait été obligé, finalement, de se soumettre, dénote la situation très difficile dans laquelle se trouve le Makhzen. Il est passé maître dans la falsification des faits pour détourner l’opinion de son peuple.
Vous avez déclaré que le Makhzen ferait appel à des lobbies pour appuyer son retour au sein de l’UA. Quels sont ces lobbies ?
Il y a des groupes, des institutions, des personnes qui se disent experts. On les retrouve dans les publications de l’agence de presse marocaine. Le Maroc a créé des lobbies aux Etats-Unis, en Europe, en Afrique et même en Asie pour donner l’illusion à son peuple qu’il profite d’une certaine solidarité. Le Maroc vient d’acheter douze sociétés de lobbying très influentes à Washington. Et la presse marocaine ne le cache pas. Il y a, également, des groupes soutenus par certains pays, à l’image des lobbies sionistes d’Israël. Et il y a des politiciens français et espagnols qui sont payés par le Maroc. Un exemple, l’ancien Premier ministre de l’Espagne Felipe Gonzales fait du lobbying pour le Maroc en Amérique latine ainsi que son successeur à la tête du Parti socialiste, Zapatero. Celui-ci a accompagné les Marocains à Dakhla lors du fameux Forum de Crans Montana que le Maroc a essayé d’organiser, sans succès. Le Forum de Crans Montana est une fondation dirigée par Suisse qui habite entre le Maroc et Monte-Carlo. C’est un lobbyiste qui a beaucoup perdu en essayant de faire concurrence aux organisateurs de Davos. Le Maroc l’a acheté, moyennant beaucoup d’argent, et c’est à lui qu’incombe la tâche de vendre l’image du Maroc en Afrique. Le Maroc qui a des lobbies, qui bénéficie de ceux des autres pays, crée des petits instituts en France, en Belgique et ailleurs, sous la bannière, très à la mode, de lutte antiterroriste. Une multitude de sites web pro-marocains insultent, à longueur de journée, le Front Polisario et l’Algérie. Ils sont dirigés par des personnes installées au Maroc ou ailleurs qui ne font que cela. Ils sont employés par la DGED marocaine. Le Maroc dépense beaucoup d’argent, surtout celui de la drogue, pour vendre une belle image du royaume.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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