Le peuple et son monde
Par Ahcène Moussi – A moins d’être l’antipode de la logique et du bon sens, je ne partage pas du tout l’avis de ceux qui pensent que l’ère du colonialisme, du totalitarisme, du militarisme et des passe-droits n’est plus qu’un triste souvenir. Cette période «ancienne» est aussi d’actualité, à mon sens. Nous la vivons partout dans le monde, sous des formes différentes.
Je me sens en total déphasage avec mon époque. Je dois d’emblée m’excuser de vous fatiguer, vous qui avez l’habitude de me lire encore malgré mes litanies. Heureusement, ce billet va certainement attirer votre attention, surtout qu’il vous permettra de vous épanouir dans l’art de la moquerie, pour ne pas dire de la tricherie, intellectuelle.
Je n’aime pas m’engager dans la négativité, et loin de moi l’intention de faire dans «l’attaque ad hominem». Je tiens, par conséquent, à dénoncer haut et fort toutes ces erreurs et toutes ces lacunes dues à cette maladresse inconcevable de la part de la quasi-totalité des dirigeants, des politiciens et penseurs du monde. Plus le temps passe, plus je me réconforte dans mon inscription en porte-à-faux des discours, des propositions et des choix faits par ces derniers.
J’ai souvent cette impression que tout ce qu’ils préconisent et envisagent de faire va dans le sens de l’accroissement des inégalités, de la précarité et de la pauvreté jusqu’à me demander si ce n’est pas moi qui suis à côté de la plaque, en rêvant d’un monde parfait, où «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». Utopie, me disait ma mère, qui n’arrêtait pas de m’expliquer que la vie ne peut être peinte de la même couleur pour tous.
N’en déplaise à mes adversaires, je m’attacherai, en tout cas, à rester fidèle à mes principes et à ma ligne éditoriale, étant moi-même humaniste, tout en me plaisant dans mon honorable espace social-démocrate.
Sans rancune et sans amertume, j’essayerai simplement de relater ce qui me semblait être des vécus ou des réalités, tout en m’efforçant d’apporter mes propres critiques et suggestions. Je le fais, non pas pour la gloriole ou la galerie mais dans l’espoir futile d’une simple contribution ou d’un modeste soutien à mes semblables.
Je vais m’éviter de reculer trop loin dans le temps, ce qui permettra, notamment à cette grande majorité des jeunes du monde, puisqu’elle est l’avenir, de mieux comprendre la teneur de mon article. J’aimerais provoquer chez elle des questionnements susceptibles d’engendrer de l’intérêt pour des débats critiques, autour de toutes ces dérives dont les conséquences, sur le plan des inégalités sociales, entre autres, sont incommensurables.
Bon nombre de gouvernants et d’intellectuels du monde dont les désirs, toujours comblés étaient la seule condition, vivent d’abondance excessive sur tous les plans. Ils ne manquent de rien. Ils sont même rentrés dans cette logique démesurée du «tout, tout de suite et ici», sans être comptables de rien.
Ils refusent de regarder la vérité en face et de faire leur mea-culpa. Ils refusent de démissionner, encore moins d’avouer leur incapacité à conduire le monde, alors qu’ils ont échoué et que leur échec est gravissime. Ils persistent tout de même à faire dans le spectacle politique et dans la manipulation médiatique. Surtout qu’ils n’arrêtent pas de nous mentir, de nous induire en erreur et de nous diviser.
Sommes-nous autant stupides pour porter, à chaque fois, au pouvoir et à la tête de nos grandes institutions ces pantins de la politique, ces adversaires de la démocratie et des droits et libertés qui n’arrêtent pas de nous exploser au nez ?
De par leurs politiques, le monde se désorganise. Nous assistons déjà à de nombreux conflits à des déséquilibres économiques, sociaux et écologiques et à d’innombrables mouvements migratoires qui se produisent chaque jour et de manière anarchique. Autant de menaces gravissimes sur l’équilibre du monde et sur les peuples qui n’ont de défense que de se replier sur eux-mêmes.
Les jeunes auxquels ils n’arrêtent pas de promettre le flambeau de l’avenir n’ont pourtant jamais été impliqués, ni dans les débats ni dans la recherche des meilleures solutions à ces nombreux et graves problèmes planétaires. On fait semblant d’impliquer quelques privilégiés de circonstance, en leur offrant de vétustes strapontins pour juste y poser leurs fesses, en attendant un quelconque ordre à exécuter. Comme si l’idéal est de ranger tous ces jeunes au frigo, à l’écart des réalités, de peur de leur fraîcheur du moment.
C’est certain aussi que ce jeunisme, qui veut oser afin de déconstruire les préjugés et de miner le désordre, est vu comme idéal vers lequel tout le monde aspire, jusqu’à rendre jaloux certains «baby boomers» et irriter tous ces vieux haut placés qui vieillissent, murissent et pourrissent avec le temps au pouvoir.
Depuis la nuit des temps, le monde vivait dans l’inégalité sociale, l’insécurité, les guerres, les tragédies, les catastrophes, les dictatures, les promesses non tenues, et j’en passe.
Les élites, censées éclairer le monde et réveiller les consciences, sont totalement coupées des peuples. Elles ne pensent qu’à maximiser leurs profits et se sont depuis longtemps transformées en une sorte de bourgeoisie d’affaires, sans être comptables de rien. L’argent et les avantages sociaux auxquels elles accèdent, souvent sans effort, passent, dans bien des cas, avant l’éthique et la morale. Elles ont choisi de cautionner la nomenklatura et ses satellites et de s’inscrire dans la même ligne éditoriale de tous ceux qui pensent tenir les rênes de ce bas monde. En plus, elles se retrouvent à la tête de beaucoup d’institutions et d’administrations publiques (organisations internationales, ministères, universités, banques, etc.), ce qui rend encore les choses plus compliquées.
Nous assistons, hélas, et en direct, à tout ce que la violence a de pire : des drames et toujours des drames à notre menu de chaque jour et ce dans l’indifférence totale des représentants du peuple, des intellectuels et des organisations de défense des droits de l’Homme.
Nous continuons malheureusement de cautionner le discours utopique et d’applaudir l’échec. Alors qu’il suffit juste de relire l’histoire récente et de revisiter tous ces exemples de projets rêveurs et radieux pour constater qu’ils ont, presque tous, accouché de catastrophes humanitaires.
Rappelons-nous, à titre d’exemple, ce «grand bond en avant», décidé par le président Mao Zedong pour accroître la productivité de l’industrie et de l’agriculture chinoises, qui a fini par provoquer une tragédie qui a coûté la vie à plus de quinze millions de Chinois entre 1959 et 1961.
Le temps du colonialisme et du néocolonialisme a cédé sa place à celui de l’aristocratie internationale, des oligarchies de la finance, des sociétés offshore et de la force militaire. Toutes les conditions sont malheureusement réunies pour diriger le monde vers un véritable libéralisme sauvage, aux conséquences néfastes et imprévisibles (insécurité alimentaire, conflits régionaux, terrorisme, immigration clandestine, désastre économique et environnemental, etc.).
Alors, devrais-je me taire, moi, qui ai envie de crier mon désaccord ? Ma cacophonie est en tout cas déjà bien lancée.
Attendons donc de voir l’arrivée d’une nouvelle sorte d’élites en harmonie avec les inquiétudes et les attentes des peuples. Attendons de voir les grands hommes oser et la vraie politique prendre place ; seules conditions pour un nouveau monde peuplé de gens raisonnables et honnêtes, qui sauront s’apprécier et vivre en symbiose pour le meilleur et pour le pire.
Ahcène Moussi
Président de la Mouvance Migratoire Ô Canada
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