Une contribution du Dr Arab Kennouche – De Jean-Jacques Rousseau à Tariq Ramadan
Des siècles séparent désormais Rousseau de Ramadan qui naquirent dans la même ville, Genève, mais pour répandre des idées aux antipodes de leur credo respectif. Jean-Jacques Rousseau fut profondément convaincant en extirpant de la philosophie politique la véritable question qui devait en définir de nouveaux contours juridiques : qu’est-ce que la nature humaine ? Le second, Tariq Ramadan, n’osa jamais un tel renversement en continuant de verser dans l’idéologie pour imposer d’en haut, une nature humaine factice, celle du parfait musulman, perfection établie non dans la Raison, mais dans un fondamentalisme épuré de toute forme de violence. Ce n’est cependant pas un hasard si nos deux personnages, chacun en son temps, ont fait le voyage de Paris, en bons Helvètes.
En recherchant ce qui définit le mieux la nature humaine universellement, Rousseau en tira deux principes majeurs : la conservation de son bien-être et celui de ses proches et semblables, soit deux conditions d’un état naturel de l’homme en opposition complète avec l’idéologie violente des nouveaux prêcheurs de l’islam. Si Ramadan s’écarte ouvertement de toute imprégnation radicale dans ses interventions et ses écrits, il n’en dément pas moins le grand philosophe genevois dans son renversement anthropologique du politique, qui fait du sujet sensible, sentimentalement bon, vitalisé, la condition d’une recherche d’un ordre politique stable.
Le génie de Rousseau s’est exprimé dans la définition d’une nature humaine universelle, tandis que Ramadan tente en vain de créer ex nihilo un type nouveau d’homme, le musulman européen, espèce de nouvelle fierté minoritaire qui cesserait de raser les murs des mosquées de la laïcité. Alors que Rousseau fit florès en créant pour l’humanité un nouveau «prophète», celui d’un être tout naturellement bon, soucieux de son bien-être et de celui des autres, car éduqué de bonne manière, Ramadan et tant d’autres voudraient nous ranger à l’idée que le musulman en Europe est capable de tolérance, d’humanité, et cela même en puisant dans l’amour de ses fondements religieux inaliénables, qu’on pourrait interpréter comme un nouveau quiétisme postmoderne. Qu’en est-il exactement ?
Une nouvelle didactique de l’islam en Europe ?
Ce personnage fantasque du musulman moderne, respectueux de la démocratie, européiste, légaliste à la Ramadan aurait pu habiter nos consciences, n’était-ce la vague horrible de crimes islamistes que les européens, les Français en premier lieu, ont eu à supporter. Ramadan, en héraut de la bonne pensée islamiste, continue de croire à une conversion du regard des Européens sur le musulman des cités françaises. Qu’il se rassure ; il n’est pas le seul à donner du crédit à un polissement des mœurs musulmanes après Daech : notre aimable Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, est prêt à recourir à des intellectuels du cru, spécialistes de l’ijtihad (interprétation en vue de réformer) pour venir expliquer au bon peuple gaulois «ce qu’est véritablement l’islam».
Depuis que les attentats pleuvent en France, les démarches maladroites s’accumulent, plus par cécité intellectuelle que par hébétement et impuissance devant l’horreur. Les intervenants se succèdent devant les médias, militaires pour la sécurité, intellectuels arabes de la Sorbonne et d’Alger pour tenter de dire aux Français que, finalement, l’islam est soluble dans la démocratie libérale. Tout le monde condamne, l’islam de France, l’UOIF, Tariq Ramadan, l’imam de Lyon, de Bordeaux, de Marseille… Un discours éculé que les Français connaissent par cœur, au gré des attentats. Doit-on encore se fier à la fierté recouvrée du musulman fréquentable que Tariq Ramadan a rendu célèbre en lui octroyant tous les attributs de la cérébralité humaniste et discursive ?
Rousseau, en excavant le mythe du bon sauvage, avait le mérite de reposer la question de la convivialité à l’endroit où les philosophes de la politique l’avaient laissée : celui d’une naturalité charitable. Car charité bien ordonnée commence par soi-même. Non, Monsieur Ramadan, non Monsieur Boubakeur, nous n’avons pas besoin de plus d’islam, d’un dévoilement phénoménologique de la foi, ou d’un islam amélioré, en plus clair, eidétique. Vous vous fourvoyez en réclamant plus de mosquées, plus de lieux cultes, plus de visibilité ou en croyant détenir toujours plus d’islam tolérant, civilisé, européanisé que ces mosquées salafistes gérées directement ou indirectement par les mains de Daech.
Les Français ne feront jamais la différence entre un islam à l’algérienne, un islam à la Ramadan, ou un autre à l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), ou encore à la Daech, tant que les fruits de l’islam comportemental ne seront pas visibles depuis les pays qui vous ont vu naître, et même celui de la terre sainte d’Arabie. La didactique de l’islam ne passera pas devant la perpétuation de l’horreur et du macabre en terre musulmane. Inutile de vous dire que vous apparaîtrez comme des vendeurs d’élixir ou d’huiles de serpent pour les millions et les milliards d’individus non-musulmans si, même par innocence, vous continuez de croire que les non-musulmans resteront ébahis devant le nouveau profil de l’honnête musulman qui habite votre esprit plus que les cités des banlieues.
Comment diable oseriez-vous convaincre de l’avènement de l’Homo Musulmanus Europeicus, comme d’un sujet cartésien si dans le même temps, en terre musulmane, des corps s’arrachent et des voix s’élèvent pour quitter leur pays coûte que coûte ? Sans que vous le sachiez, peut-on raisonnablement accorder du crédit à l’acceptation de l’islam en France, alors que dans le même temps, les pays dits musulmans s’écroulent chaque jour un peu plus ? Pourquoi diable ne songez-vous pas à islamiser ou à ré-islamiser le Maroc, l’Egypte, l’Algérie, afin que justement vous n’ayez plus à vous égosiller devant des parterres d’Européens qui ont peine à comprendre un traître mot de l’arabe de ces migrants toujours plus nombreux ?
Un retour nécessaire à la cordialité naturelle
Chacun sait depuis Jésus et Mohamed au moins qu’il faut savoir regarder la poutre qui est dans son œil avant de voir la paille dans celui de son prochain. Tel Emile dans une éducation propre à Rousseau, il faut pouvoir écouter sa propre sensibilité naturelle et la diriger vers toujours plus d’amour et de convivialité, par une pédagogie de la charité, de la courtoisie, de la sincérité avant de vouloir à tout prix s’élever vers des cieux proprement divins. Avant de se croire capable de camper le personnage du parfait dévot musulman de France, il faut encore convaincre le peuple de France que dans la terre de nos ancêtres, il règne justice et paix. Tous ces Comenius de l’islam font presque peine à voir dans leur vaine tentative de concrétiser l’irréalisable : pour pasticher Unamuno, Tariq Ramadan s’est européanisé beaucoup plus qu’il ne prétend islamiser ces millions d’êtres perdus, déculturés, dans les cités-dortoirs et qui croient encore à la fiction de l’Homo Musulmanus Europeicus.
Alors qu’en Algérie, on vient d’apprendre que des milliards de dollars ont été dilapidés dans l’impunité, il existerait des fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses capables de venir enseigner en France, «ce qu’est vraiment l’islam» ou, mieux, «qui est Daech». Il est tout aussi étrange de constater que Tariq Ramadan aurait à peine terminé sa mission pédagogique en Suisse qu’il se serait mis à dicter des prêches éclairants en France et dans le monde. On veut expliquer l’islam aux Européens sur un registre sociologique douteux, alors qu’on a oublié celui du Caire cafardeux ou d’Alger la miteuse. Au Caire, des familles entières habitent dans des cimetières. En Algérie, les fléaux les plus graves se propagent dans la société : drogue, pauvreté et profonde injustice sociale. Les ijtihadistes algériens auraient mieux fait d’expliquer l’islam à ceux qui le savent déjà, par exemple à la présidence de la République, plutôt qu’au bon peuple français secoué par des vagues d’attentats. Tout comme Tariq Ramadan serait bien mieux inspiré en tentant de moraliser la vie de la bourgeoisie compradore égyptienne plutôt que de vouloir absolument implanter dans les esprits de France et de Navarre, une nouvelle espèce de musulmans purement fictive, qui ferait charnière entre la mosquée et… la tour Eiffel.
Finalement, ce dont nous avons besoin, c’est d’un retour rousseauiste à la morale naturelle de l’honnête homme. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une conversion du regard d’autrui par une transformation des mœurs de nos sociétés dépravées en terre d’islam, et non pas par une imposition radicale et verticale d’un type d’homme nouveau, légitimé par une pratique violente, déshumanisée, fictionnelle des piliers de l’islam, mais par un retour aux bonnes mœurs et au discours du cœur. Ce n’est pas l’habit extérieur de la barbe et des kamis qu’il faut tirer vers la république laïque, mais revenir aux choses simples qui fondent la bonté humaine.
En tirant sur le fil d’Ariane de la sincérité, nous nous rendons compte que tous ces prédicateurs et ces pédagogues de l’islam, même ceux de l’islam de France bien pensant, n’obtiendront rien des Européens qui vaille la peine d’être vu, observé, contemplé ne serait-ce qu’avec un brin de curiosité sensuelle, tant que dans les grands Etats musulmans contemporains ne règnent qu’injustice et misère sociales. Nous n’avons que faire d’une pédagogie de l’islam voulant taire les imprécations maléfiques d’un Sayed Qotb si, dans le même temps, des milliers de musulmans meurent sur les plages de Sicile ou d’Espagne, bravant la mort pour atteindre l’Europe.
Le véritable rempart contre l’extrémisme et pour une conversion du regard non-musulman se situe dans le retour vers une morale naturelle dans un premier temps. Non vers une charia asséchante des cœurs, mais à une cordialité universelle nourrie de la courtoisie la plus élémentaire – celle qui fait défaut parfois dans les banlieues françaises, d’Alger ou du Caire –, afin que ceux qui s’en sentent capables, puissent s’élever à leur tour vers des sommets plus grandioses de la religion.
Dr Arab Kennouche
Comment (188)