Dalil Boubakeur à Algeriepatriotique : «Il faut une nouvelle pensée religieuse de l’islam»
Algeriepatriotique : Vous avez appelé les musulmans à se rendre dimanche dans les églises en signe de «solidarité et de compassion», suite au lâche assassinat du prêtre Jacque Hamel. Quel écho a reçu votre appel ?
Dalil Boubakeur : Je n’ai pas consulté la presse, mais je pense que beaucoup de médias en ont fait l’écho aujourd’hui (hier, ndlr). Il y a eu beaucoup de musulmans qui ont été bien accueillis dans les églises. Moi-même, j’étais à Notre-Dame de Paris, avec d’autres musulmans ; le recteur de l’église nous a bien reçus et a fait notre éloge, devant tout le monde. Cela a été un accueil extrêmement réconfortant pour les rapports entre chrétiens et musulmans qui ont connu un moment de fraternité, d’amitié et de solidarité face à l’assassinat du prêtre. Vous savez que le Coran, dans plusieurs sourates, défend les prêtres chrétiens et interdit que l’on s’attaque aux lieux de culte chrétiens et juifs. Omar Ibn El-Khettab, en allant à Jérusalem, a eu un profond respect pour l’église du Saint-Sépulcre, pour éviter que les musulmans ne la profanent. L’islam a toujours respecté les prêtres et les lieux de culte chrétiens, et nous avons plusieurs sourates qui parlent de Marie (Meriem) et de Jésus (Issa, «alayhi salam»). Il y a beaucoup de proximité entre l’islam et la religion chrétienne.
Pourquoi, à chaque acte terroriste, les musulmans doivent-ils, obligatoirement, se justifier alors que ces assassins n’ont rien à voir avec l’islam ?
Mais parce que personne ne le sait. Et les assassins, dès qu’ils commettent leurs crimes, ils disent : « Bismillah, Allah Akbar.» Ce ne sont pas des mots étrangers, mais des mots familiers aux musulmans. Les chrétiens ne connaissent pas la différence entre ces criminels qui utilisent ces expressions pour tuer et les autres qui sont des musulmans qui pratiquent leur culte dans la sérénité et qui ne créent de problèmes à personne. Malheureusement, il y a des musulmans qui quittent la France pour aller faire le djihad en Syrie et personne ne peut contester cela. Les religions ont toujours appelé à la tolérance et au vivre-ensemble. L’Eglise catholique a souvent pris position par des déclarations et des actes charitables. A Tibhirine, c’était des chrétiens qui sont venus apporter leur témoignage et leur solidarité à la communauté musulmane, alors que d’autres, venus d’Afghanistan, ont tué des enfants, des femmes, des policiers, des intellectuels, etc.
Il y a eu un appel d’une quarantaine de personnalités musulmanes intitulé «Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités». Ne pensez-vous pas que ce genre de déclaration donne raison à ceux qui font l’amalgame entre islam et terroriste ?
La situation actuelle est une situation de crise. Ces actes terroristes ont choqué beaucoup de monde, y compris les musulmans, par conséquent, la communauté musulmane se mobilise pour que demain ne soit pas pire. Parce qu’il va y avoir des tensions, cette fois-ci, entre Européens et musulmans. L’islamophobie gagne du terrain et certains partis politiques surfent sur cela. De ce fait, la communauté musulmane se défend comme elle peut. Elle est outrée. Tous ces assassinats la révoltent et la mettent mal à l’aise parce qu’ils sont commis au nom d’Allah (Bismillah).
Le Premier ministre français, Manuel Valls, vient de plaider pour un «nouvel islam de France», déclarant : «Nous devons bâtir un nouveau modèle.» Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?
Il n’a pas demandé mon avis, et comme nous vivons dans un système de séparation de la religion et de l’Etat, j’espère que c’est dans une bonne intention qu’il veut faire ce qu’il veut faire. Peut-être que d’autres auront des idées différentes. Il est vrai que chaque période gouvernementale apporte des propositions et nous verrons, après, les résultats. Le CFCM a été créé, aussi, par la gauche, au moment où Chevènement faisait partie du gouvernement, lequel avait voulu créer des conditions de représentation des musulmans de France. Pour ma part, je ne dirai pas un nouvel islam mais plutôt la pensée religieuse de l’islam. Mohamed Arkoun, Ali Merad et beaucoup d’islamologues et penseurs de l’islam disent qu’il faut changer la pensée religieuse de l’islam. Mohamed Abdou, en 1905, avait déclaré qu’il ne voulait plus suivre etaqlid, qui veut dire une idée bloquée. Il voulait que les musulmans fassent appel à la raison et à la réflexion, et d’être plus près encore de la pensée religieuse de l’islam.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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