Bassam Tahhan à Algeriepatriotique : «Les Algériens sont vaccinés contre les plans de déstabilisation» (II)
L’Algérie fait partie du programme de déstabilisation ourdi par Washington, met en garde le politologue franco-syrien qui décortique, par ailleurs, la situation en Turquie où le président Erdogan opère une purge en règle après le coup d’Etat avorté et en Syrie où les combats font rage à Alep, dans le nord du pays.
Algeriepatriotique : L’Occident continuera-t-il à utiliser son «ennemi utile» qu’est le terrorisme islamiste maintenant qu’il frappe sur son territoire ?
Bassam Tahhan : L’Occident n’est plus maître de lui-même. Si on entend par cela l’Europe, les Européens suivent, pour le moment, au pas la musique américaine. Les Américains ont commis des dérapages. Ils ont cru qu’ils arriveraient à maîtriser ce monstre qu’ils ont créé. Maintenant, ce monstre est sorti, un peu, de leur tutelle. Dans ce cas, il se pourrait qu’ils fassent tomber des têtes et le réorientent (Daech, ndlr). L’utilisation et l’instrumentalisation des Frères musulmans, de l’islam et du djihad ne sont pas nouvelles. Cela a été utilisé contre Nasser par l’Arabie Saoudite. Les Frères musulmans étaient installés à Genève, à l’époque. Ensuite, il y a eu une instrumentalisation contre les Soviétiques en Afghanistan. Aujourd’hui, cette instrumentalisation est dirigée contre la Syrie.
Les Etats-Unis ont compris qu’une lutte interconfessionnelle chiite-sunnite leur serait utile, car, ainsi, ils n’auraient pas besoin d’intervenir militairement. Donc, ils laissent les musulmans s’entretuer. Et dans les pays à composante exclusivement sunnite, ils ont créé cette tendance radicale où des sunnites massacrent d’autres sunnites, toujours au nom de l’islam. Ils ont essayé de déstabiliser le Maroc, la Tunisie et la Libye. L’Algérie est dans le collimateur, mais celle-ci est vaccinée dans la mesure où elle a déjà vécu une période de violence. La déstabilisation continue de sévir au Yémen. Mon souhait est que les pétromonarchies connaissent un véritable printemps arabe. Ainsi, le monde entier sera débarrassé du dogme wahhabite terroriste.
Quelle lecture faites-vous de la situation qui prévaut en Turquie après le coup d’Etat ?
Erdogan est un Frère musulman. Il a été déjà emprisonné. C’est un corrompu. Il s’est fait aider par l’organisation de Fathullah Gülen pour arriver au pouvoir. Aujourd’hui, il se plaint de l’Etat parallèle, c’est-à-dire des gens qui soutiennent Fathullah Gülen au sein de l’administration et des services de sécurité. Ce dernier s’est révolté contre Erdogan quand il s’est rendu compte qu’il était un pourri, tout comme son parti, et que des milliards ont disparu. C’est à cause de cela qu’Erdogan veut se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Il sait pertinemment que si jamais il tombait, il serait jugé et condamné et connaîtrait un sort pire que celui des généraux qu’il est en train de malmener. Je ne comprends pas pourquoi 2 650 juges ont été arrêtés. Pour moi, la Turquie connaîtra sans doute d’autres remous plus importants et je n’écarte pas la possibilité qu’Erdogan soit renversé. S’il n’est pas écarté du pouvoir, ce sera le cheval de Troie de l’islamisme en Europe.
Erdogan fait chanter l’Europe avec la question des réfugiés, alors qu’il entretient des relations avec des organisations terroristes et il reçoit de l’argent des pétromonarchies et les services de renseignement étrangers pour semer le désordre au Moyen-Orient, dans l’espoir d’élargir les frontières de la Turquie et de mettre sous sa botte de nouveaux pays sunnites orthodoxes. En fait, Erdogan exécute un projet américain à l’origine et nous assistons à l’échec de ce projet. Les Américains jouent un double jeu avec les Kurdes, soi-disant démocrates, mais, dans le même temps, ils voient d’un bon œil le débarquement des éléments terroristes de Daech en Syrie fuyant Mossoul en Irak. Dans tous les cas, la Turquie est dans une mauvaise posture et est vouée à l’éclatement parce que tout le monde sait qu’il ya 20 millions de Kurdes, autant d’Alévis arabes et turcs, peut-être 10 millions de laïcs et 10 millions d’adeptes de Fathullah Gülen. Que reste-t-il à Erdogan ? Le pauvre peuple sunnite démuni qui est pris entre les tenailles du populisme, de la démagogie et de la corruption.
Erdogan veut tout ramener à sa personne. C’est, en quelque sorte, une dictature constitutionnelle. Nous n’avons jamais vu cela dans l’histoire qu’au temps des nazis où un président concentre entre ses mains tous les pouvoirs. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Turquie. Quant à pouvoir jouer un rôle en Irak et en Syrie, je ne le pense pas, parce qu’Erdogan doit panser d’abord ses blessures, car la situation intérieure en Turquie est extrêmement grave. Erdogan n’a plus les coudées franches pour intervenir ici et là. La Turquie se porte mal et l’Occident commence à comprendre qu’Erdogan est un danger islamiste. J’en veux pour preuve le rassemblement de milliers de Turcs à Cologne, il y a quelques jours. Ces derniers voulaient écouter un discours d’Erdogan par vidéo-conférence, mais la chancelière allemande Angela Merkel a interdit cette supercherie.
Mais, en politique, des responsables mis au banc des accusés ont souvent été maintenus en poste parce qu’ils servent les intérêts des puissances étrangères. La Turquie n’a plus le même poids qu’avant, ni au sein de l’Otan ni au sein de la communauté internationale. Ankara a perdu le rôle stratégique qu’elle jouait jusque-là.
Les Etats-Unis ont-ils cherché à renverser Erdogan parce qu’il veut se rapprocher de la Russie ?
Non, les Etats-Unis n’ont pas voulu renverser Erdogan. Pour moi, le coup d’Etat turc est une révolution des militaires qui voulaient se débarrasser d’un dictateur qui s’appelle Erdogan et cela a échoué. Lui veut en profiter parce qu’il sait que les pro-Gülen sont contre lui et l’ont démasqué. Erdogan profite de cette occasion pour écarter les soutiens de Gülen et les remplacer par les membres de son parti (l’AKP, ndlr). Les Etats-Unis n’ont rien à voir avec cela et ce n’est pas parce qu’il a voulu se rapprocher de la Russie qu’ils ont cherché à le déposer. Rien ne prouve, d’ailleurs, que les Américains soient impliqués dans cette tentative de putsch. Je pense plutôt que l’Occident s’éloigne de lui tout simplement parce qu’il a compris qu’il était un islamiste et qu’il était dangereux pour l’Europe.
En Syrie, la situation semble évoluer en faveur du régime en place. Qu’en est-il réellement sur le terrain des opérations ?
L’armée syrienne, avec l’aide des Russes, a réussi à encercler le quartier est de la ville d’Alep où sévissent les terroristes qui ont pris la population civile en otage. Le président Al-Assad a permis huit corridors humanitaires pour les civils et un ou deux pour les éléments armés. Il leur a accordé un délai de trois mois. L’alliance américano-djihadiste a répondu en attaquant les quartiers sud-ouest d’Alep dans l’espoir de couper les ravitaillements à l’armée syrienne, mais c’est peine perdue, car cette dernière dispose de plusieurs voies pour se ravitailler. Apparemment, sur le terrain, d’âpres combats ont lieu actuellement, mais, pour le moment, Al-Nosra n’a pas réussi à couper la route qui relie Damas à Alep par le sud.
Evidemment, le chef des services secrets américains dit que la Syrie ne serait jamais comme avant. Le projet des Américains est de décapiter Daech et créer une sorte d’«Afghanistan sunnite» qui s’opposerait au croissant chiite qui unit Damas, le Hezbollah, Baghdad et Téhéran appuyés par la Russie. Mais ce scénario est voué à l’échec dans la mesure où les Iraniens et les Russes ne laisseront pas faire. Cela n’empêche, les Américains aident les Kurdes en Syrie, ont construit deux bases militaires et espèrent bien orienter les éléments armés de Daech qui fuient Mossoul et se dirigent vers la Syrie. Cette action a commencé il y a quelques jours et a pour but de renforcer les groupes terroristes qui affrontent l’armée régulière syrienne.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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