Une contribution de Noureddine Bouderba – Retraite : vers une ère de régression sociale
L’avant-projet du Code du travail s’il venait à être adopté avec son contenu actuel inaugurerait une ère de régression sociale sans précédent. On passera du droit du travail protecteur des salariés au droit du travail protecteur du capital. Plus que la remise en cause des transferts sociaux ou de la retraite dans ses fondements actuels, cet avant-projet nous donne un avant-goût de ce que sera demain le nouveau statut des travailleurs concocté par les forces de l’argent : une marchandise et un levier d’ajustement pour maximiser le profit des nouveaux «capitalistes».
On assistera à la généralisation du CDD et à l’introduction du travail intérimaire et de sous-traitance exposant les titulaires à une vulnérabilité plus grande, ce qui aura pour conséquence d’aggraver la précarité qui caractérise déjà l’emploi en Algérie. Des facilités de licenciement à moindre coût, même sans raison, seront accordées à l’employeur qui aura, par ailleurs, les pouvoirs absolus et injustifiés d’aménager unilatéralement les horaires de travail, de prolonger leur durée, de reporter la journée de repos hebdomadaire et de la fixer par roulement. La définition du travail de nuit a été revue pour éviter des majorations de la rémunération horaire, et l’interdiction d’y affecter les femmes ou les apprentis a été levée. Le travail des mineurs ne sera plus interdit, comme ne sera pas interdite dans la pratique l’affectation des femmes et des mineurs à des travaux dangereux ou dont l’effort exigé dépasse leur capacité.
Rien, absolument rien, ni les considérations économiques et encore moins sociales ne justifient cette réforme excessive. En Algérie, la législation du travail a été complètement réformée durant la période allant de 1990 à 1997 par l’introduction du travail à durée déterminée (CDD) et le travail partiel sur la base de critères liés aux exigences économiques. Le licenciement pour raison économique a été institué à un coût très réduit (trois mois de salaire mensuel) avec la mise en place de deux amortisseurs sociaux : la création de la Caisse d’assurance chômage (Cnac) et l’institution, en 1994, de la retraite anticipée destinée pour les travailleurs compressés (à ne pas confondre avec la retraite sans condition d’âge et la retraite proportionnelle instaurées en 1997). Le verrou de l’interdiction du licenciement individuel a été levé avec même la possibilité donnée pour l’employeur de ne pas réintégrer un travailleur victime d’un licenciement abusif contre le paiement d’une compensation équivalente en général à six mois de salaire mensuel. Les interventions du gouvernement en matière salariale ont été limitées à la fonction publique et à la fixation du SNMG.
Dans le secteur économique, ces derniers sont soumis à la négociation collective (dans le secteur étatique) et fixés unilatéralement par les patrons dans le secteur privé. Enfin, le pluralisme syndical a été institué même si dans la pratique il a été étouffé à chaque fois que les syndicats «haussaient» un peu le ton ou échappaient au contrôle. De même, le droit de grève a été reconnu de jure même s’il est souvent réprimé de facto. Cette réforme des lois sociales, en introduisant ce que les libéraux appellent la flexibilité de l’emploi, a redéfini les rapports de travail au détriment des travailleurs et ouvert la voie à la précarité de l’emploi à laquelle s’est trouvé confronté le travailleur et qui s’est accentuée depuis 2010. A ce sujet, l’analyse de la précarité de l’emploi en Algérie faite aussi bien par l’ONS que par le Cnes ne permet pas de prendre la véritable mesure de son ampleur. Elle ne permet surtout pas d’identifier ses ressorts ni de cerner avec précision les facteurs sur lesquels il faut agir pour combattre cette précarité.
Affirmer, par exemple, que «la moitié des emplois créés depuis 1990, dans les pays de l’OCDE, étaient des emplois précaires» ne nous permet pas d’avoir une idée objective sur la structure réelle de l’emploi dans ces pays si on ne précise pas que la moitié de ces CDD est transformée en CDI au bout de deux années qui suivent le recrutement, alors qu’en Algérie, il n’est pas rare de voir un travailleur collectionner des CDD après 10 voire 15 années. Dans le monde en général, et dans les pays de l’OCDE en particulier, la précarité est mesurée dans le secteur concurrentiel (hors fonction publique), et s’il est vrai que ces dernières années jusqu’à 90% des nouveaux recrutements sont temporaires, il est important de préciser qu’en moyenne 30% de ces CDD sont transformés en CDI au bout d’une année et 40% le sont au bout de deux années. Ce qui fait qu’en 2015, dans les pays de l’OCDE et dans le secteur concurrentiel, la moyenne de la part de l’emploi temporaire dans l’emploi total ne dépasse pas les 15% alors qu’elle est de l’ordre de 71% en Algérie.
Chez nous, c’est dans le secteur privé que ce taux est astronomique puisque plus de huit travailleurs sur dix (84% exactement) sont temporaires contre 51% dans le secteur économique public. Comme on le voit, le niveau de la précarité est important dans le secteur économique public et astronomique dans le secteur privé. Peut-on avoir besoin de plus de précarité ? Même la Banque mondiale et le FMI, qui proposent ou imposent lorsqu’ils peuvent cette forme de précarité qu’ils appellent flexibilité, reconnaissent que «… la réglementation du marché du travail et la fiscalité du travail ne semblent pas poser de problèmes importants en Algérie comparativement à ce qu’on observe dans d’autres pays. Les estimations du coin fiscal pour une famille type, composée d’un couple marié avec deux enfants, donnent à penser que la fiscalité du travail tend à être moins lourde en Algérie que dans les anciens pays en transition, ce qui donne à conclure que le chômage ne serait pas un problème lié à la fiscalité en Algérie» (FMI, rapport n° 07/61, février 2007).
A côté de la généralisation de la précarité, ce projet de réforme vise à réduire la protection légale des travailleurs. Les pouvoirs de contrôle et de poursuite de l’inspecteur du travail seront revus à la baisse et la justice du travail ne sera plus du côté de la partie faible du contrat, c’est-à-dire le salarié, ce qui dans le monde a donné au droit du travail sa raison d’être. Enfin, les droits syndicaux et de grève connaîtront un autre tour de vis et le droit à la négociation collective et à la participation sera limité. Même l’acquis du financement des œuvres sociales (3% de la masse salariale) ne sera plus consacré par la loi et sera renvoyé à la réglementation
Noureddine Bouderba
(Suivra)
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