Code du travail et retraite : quelle réforme ? (III)
Par Noureddine Bouderba – Le système de sécurité sociale basé sur la solidarité et la répartition et la retraite basée sur la solidarité intergénérationnelle est l’un des plus grands acquis sociaux des travailleurs en Algérie. Profitant des difficultés financières actuelles de la CNR et dont ils sont en partie responsables à cause des évasions fiscales et sociales, les forces de l’argent et leurs experts attitrés innovent dans les solutions proposées, évitant toutefois celles qui exigeraient des entrepreneurs de mettre la main à la poche pour payer ce qui leur est légalement dû ou d’augmenter les cotisations sociales.
Pourtant le problème de l’équilibre financier du système de retraite en Algérie n’est ni structurel ni lié au profil démographique de la population algérienne. Les solutions pour assurer cet équilibre existent et n’exigent aucune réforme injustifiée qui viendrait remettre en cause ce précieux acquis pour les travailleurs. Dans ce qui va suivre, nous présenterons 25 propositions pour consolider le système de retraite en Algérie et lui assurer viabilité, transparence et pérennité. Mais avant de détailler ces 25 propositions, je voudrais attirer l’attention des travailleurs et leurs représentants légitimes sur le danger pour l’avenir de leurs pensions que représente ce miroir aux alouettes de la privatisation du système même partielle, car «la manne des salaires et des cotisations sur les salaires et la véritable raison de l’intérêt que les groupes financiers portent au système de retraite».
La retraite par répartition en vigueur chez nous est basée sur la solidarité entre les générations (les actifs financent les pensions des retraités). C’est le seul système qui garantit la continuité des revenus pour les travailleurs lorsqu’ils partent en retraite, car l’argent des cotisations est transformé immédiatement en pension sans passer par le marché financier sujet à tous les aléas qui risquent d’engloutir les épargnes des travailleurs comme cela s’est fait en 2007 ou 23% des actifs des fonds de pension dans le monde qui gèrent l’épargne privée de retraite ont fondu. Aux Etats-Unis, au Japon, au Chili, en Argentine, des travailleurs qui avaient cotisé toute leur vie se sont retrouvés sans pension ou avec des pensions misérables. Tout récemment, en juillet 2016, le même phénomène est observé au Japon où le premier fonds de pension mondial a vu 45 milliards d’euros de l’épargne de retraite qu’il gère s’engloutir en l’espace d’une année. Enfin, chez nous, l’épisode Khalifa est dans tous les esprits pour nous rappeler qu’il ne faut jamais jouer les cotisations des travailleurs dans le casino financier international ou national.
Vingt-cinq propositions pour la consolidation du système de retraite et sa pérennité
Augmenter de 3%, sur une période de trois ans, le taux d’activité économique qui est actuellement de 42% pour le porter à 45% à l’horizon 2019, soit le taux actuel en vigueur dans les pays de la région. Ce résultat ne pourra être atteint que si l’effort d’investissement est recentré vers l’économie productive créatrice de richesses et d’emploi durable. Le gain potentiel escompté pour la sécurité sociale pour une année est de 150 milliards de dinars correspondant à un million d’emplois salariés nouveaux.
– Mener une lutte effective contre l’emploi informel avec l’objectif de le réduire d’un tiers sur une période de deux ans. Le gain potentiel escompté pour la sécurité sociale pour une année : 150 milliards de dinars correspondant à un million d’emplois informels transformés en emploi formel salarié.
– Lutte effective contre l’évasion sociale : non-déclaration et sous déclaration des salariés. Introduire dans la législation du travail des dispositions permettant aux travailleurs non déclarés de saisir les tribunaux au sujet de leur non-affiliation même après la fin de leur relation de travail. Le gain potentiel escompté pour la sécurité sociale pour une année : 200 milliards de DA.
– Suppression ou limitation rigoureuse aux seuls cas d’intérêt public des exonérations et abattements fiscaux et de sécurité sociale avec remboursement de leur montant aux caisses par l’Etat. Le gain potentiel escompté pour la sécurité sociale pour une année : 200 milliards de DA.
– Mettre fin au financement de l’emploi par la Cnac et l’imputation à cette dernière des abattements et subventions accordés au secteur privé. Le gain potentiel escompté pour la sécurité sociale pour une année : 40 milliards de DA.
– Mettre fin à la prise en charge par l’Etat des allocations familiales à la place des entreprises et affectation de leur montant aux caisses de sécurité sociale. Le gain potentiel escompté pour la sécurité sociale pour une année : 30-40 milliards de DA.
– Augmentation des taux de cotisation de l’assurance maladie des catégories particulières qui sont à la charge de l’Etat avec l’ajout de l’assurance retraite pour les travailleurs en situation de pré-emploi, apprentis, etc.
– Prise en charge par l’Etat de la totalité des dépenses de solidarité nationale qui lui incombe, y compris les pensions de retraite avant l’âge légal qui ne découlent pas directement des droits contributifs (retraites spécifiques, retraites obtenues grâce au rachat par l’Etat d’une période de cotisation donnée, etc.).
– Prise en charge par l’Etat de la partie des pensions de réversion qui ont un caractère de solidarité nationale et non d’assurance sociale : au profit des enfants handicapés, des filles sans revenu majeures et non mariées et des ascendants. Ces dépenses doivent relever de la protection sociale de l’Etat et non de la CNR. Cette dernière continuera, bien sûr, à servir les pensions de réversion au profit des veuves et des enfants mineurs.
– Instaurer une modulation des taux de cotisations sociales au titre du risque accident de travail et maladies professionnelles (AT/MT) avec bonus et malus en fonction du type d’activité économique, du risque encouru par les travailleurs et de l’effort d’investissement consenti par l’entreprise pour réduire ce risque. Actuellement, toutes les entreprises cotisent sur la base d’un taux unique de 1,5%.
– Instaurer une taxe contre la pollution et la protection de l’environnement avec affectation d’une part aux caisses de sécurité sociale au vu des dépenses engendrées pour les caisses à cause de ces phénomènes.
– Réindexer la taxation instaurée au profit des caisses de sécurité sociale des importateurs distributeurs du médicament sur le chiffre d’affaires au lieu de la marge bénéficiaire. Les bénéfices réels étant toujours supérieurs à ceux déclarés.
– Affecter à la sécurité sociale une partie des taxes douanières et à la consommation instaurées par la loi de finances 2016 dans le cadre de la protection de la production nationale (un produit importé est une source de dés-emploi).
– Imputer aux assurances économiques les dépenses réelles supportées par les caisses de sécurité sociale et liées aux accidents de la route et aux autres sinistres couverts par ces assurances en vertu du principe de la responsabilité civile de l’auteur.
– Remplacer les dépenses de santé de la sécurité sociale consacrées au forfait hôpitaux (FH), conventionnement des structures privées de santé, transferts pour soins à l’étranger (TSE) et conventions internationales (CI) par un forfait santé unique que la Cnas doit verser à l’Etat à qui il appartiendra de prendre en charge toutes ces dépenses citées. Ce forfait ne doit pas dépasser 20% des cotisations affectées à l’assurance maladie (actuellement le total de ces dépenses cumulées dépasse 30% des dépenses de l’assurance maladie), ce qui pénalise la Cnas qui se voit obligée de verser un FH à l’Etat qui est censé assurer une offre de soins à tous les assurés, de prendre en charge les transferts à l’étranger que l’Etat ne peut théoriquement assurer, et les dépenses au profit des structures privées conventionnées qui assurent des soins que l’Etat ne peut assurer.
– Augmenter sur deux ans le taux de cotisation de la sécurité sociale de 3% (2% à la charge de l’employeur et 1% à la charge du travailleur) avec minoration de l’IRG pour ce dernier afin de compenser la perte du pouvoir d’achat déjà laminé.Tous ceux qui interviennent sur la question affirment, sans soutenir ces affirmations par une quelconque étude, que la part patronale a atteint sa limite soutenable et que toute augmentation de son taux se fera au détriment de l’emploi. Il n’y a rien de moins évident que cette affirmation. Le taux des cotisations sociales dans 12 pays européens au moins dépasse 35% et la part patronale y est supérieure à 25% dans au moins huit d’entre eux.
– Veiller à la réduction des dépenses de gestion des caisses de sécurité sociale au niveau de la norme mondiale qui est de 10%. Actuellement, le taux global (toutes caisses confondues tournent autour de 15% si ce n’est plus) et 5% des frais de gestion des trois caisses (Cnas, CNR, Cnac) représentent l’équivalent de 100 000 pensions moyennes de retraite pendant une année.
– Dans le cadre de la préservation du pouvoir d’achat des retraités, il y a lieu de revenir à la disposition de la loi de 1982 qui prévoyait l’indexation des pensions sur les salaires et de la majoration de la pension pour conjoint à charge sur le SNMG (600 fois le SNMG annuel). En 1999, ces dispositions ont été annulées et la décision d’arrêter les taux de revalorisation a été attribuée au ministre du secteur sur proposition du conseil d’administration de la CNR. C’est cette annulation de l’indexation avec l’accord de l’UGTA qui est à la base des inégalités actuelles entre retraités et le montant de la majoration de la pension pour conjoint à charge égal à 2 500 DA au lieu de 5 000 DA.
– Maintenir les dispositions actuelles de la retraite sans condition d’âge (RSCA).
– Maintenir les dispositions actuelles de la retraite proportionnelle avec toutefois l’augmentation de l’âge minimal d’ouverture de droit de 50 à 55 ans et la durée de cotisation minimale de 20 à 25 ans.
– Introduire l’incitation à l’activité pour les personnes âgées de plus de 60 ans et en bonne santé en instituant l’âge maximal de départ à la retraite à 65 ans, mais sans le soumettre à l’accord de l’employeur, sinon la mesure risque d’être dévoyée de ces objectifs. Pour qu’elle réussisse, il y a lieu de réfléchir à un bonus à partir de 60 ans parallèlement au déplafonnement du taux maximum de la pension.
– La récente loi sur la retraite complémentaire a mis à la charge du travailleur 50% du taux global alors que dans les pays de l’OCDE et européens, la part de l’employeur dans le financement des retraites complémentaires oscille entre 1,5 et 2 fois la part du salarié. Cette injustice doit être corrigée.
– Créer un conseil de veille et d’orientation de la retraite ou bien un observatoire composé des représentants de l’Etat, des employeurs, de l’ensemble des syndicats représentatifs, des associations de retraités et/ou d’assurés sociaux représentatifs, des élus, des experts, etc. Cet organisme aura pour mission de suivre les évolutions du système et son équilibre en rapport avec les évolutions économiques, sociales et démographiques et de mener des études en vue d’assurer sa consolidation et sa pérennité et proposer toute mesure allant dans ce sens. Il devra aussi informer régulièrement les partenaires sociaux et les cotisants sur l’état du système et son évolution.
– Revoir la composition de conseil d’administration de la CNR en l’élargissant aux autres syndicats représentatifs d’un côté (ainsi que pour les autres caisses), mais aussi aux représentants des actifs de l’autre (par le biais des syndicats toujours-imposer une parité par exemple). La retraite en Algérie est basée sur la solidarité intergénérationnelle et les actifs (qui cotisent) ont le droit de donner leur avis sur la gestion de la caisse comme les retraités ont le droit de donner leur avis sur la gestion de la Cnas ou la Cnac.
– Elargir le dialogue social à l’échelle nationale, notamment les tripartites, aux syndicats autonomes.
N. B.
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