Le chercheur en histoire militaire Tewfik Hamel à Algeriepatriotique : «L’Algérie a la capacité d’agir en Libye»
Pour le chercheur en histoire militaire et études de défense à l’université de Montpellier, l’Algérie doit en finir avec la «diplomatie de la flatterie» et «agir pour préserver ses intérêts». «Une doctrine n’est pas le Coran», soutient-il. Interview.
Algeriepatriotique : Les Etats-Unis viennent d’annoncer l’exécution d’un raid aérien en Libye. Quel impact cette intervention va-t-elle avoir sur les pays voisins, notamment l’Algérie ?
Tewfik Hamel : D’abord, un mot sur la politique américaine. La guerre est devenue l’art de gouverner de l’Amérique. Malgré les références formelles à Clausewitz avec sa sentence «la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens», l’armée américaine est en réalité beaucoup plus gouvernée par l’esprit de Jomini et par la déclaration de Von Moltke qui stipule que «lorsque les combats commencent, la politique s’arrête». Les Américains ont une préférence pour le résultat rapide et ne sont pas très bons pour la stratégie complexe, c’est-à-dire qu’ils ne dépassent pas vraiment le côté technocratique de la stratégie. Au-delà des intentions, les Américains tendent à apporter des solutions techniques à des problèmes complexes. Ils apportent leur ingénierie, le tout dans un brouillard de l’ignorance historique. Leur foi dans la technologie est souvent source d’illusion, avec des conséquences funestes. Une fois que la solution proposée s’est révélée inappropriée, laissant place à l’échec quant à l’objectif recherché, les voilà frustrés. Ils tendent, alors, à blâmer quelqu’un, chercher des boucs émissaires et essayer d’oublier le plus rapidement possible.
Le facteur temps n’est pas le point fort de la culture américaine habituée à trouver une solution souvent plus technique que politique aux problèmes posés, comme l’explique l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, Ryan C. Crocker. «Nous sommes un peuple impatient», dit-il. Dans sa description de l’approche américaine en Irak, il ajoute : «Demain ou après-demain, au plus tard, et si cela ne va pas se produire, nous allons passer à autre chose.» Dans le cas de l’Irak, «ce fut une lutte constante», dit-il. «Nous sommes fatigués de cela, trop de sang et d’argent, ça ne fonctionne pas, nous devons aller de l’avant». «Si nous n’obtenons pas un nombre X de points de repère, avec Y de dates, qui est égal à Z, c’est un échec.»
En 1995, un jeune Américain faisant allusion à la guerre de Vietnam demande à l’ancien secrétaire à la Défense Robert MacNamara s’«il est possible et raisonnable que nous soyons la plus grande puissance dans le monde et que nous fassions la guerre à un pays dont nous ignorons son histoire et culture ?» Sa réponse est pleine d’enseignements sur la politique américaine actuelle en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, y compris dans d’autres régions : «Oh, mon fils, je vous parle de faits ! Mais afin de ne pas sombrer dans le passé, je dis maintenant à vous tous… il n’y a, dans l’entourage du département d’Etat, du département à la Défense, voire de la Maison-Blanche, aucun expert ou spécialiste connaisseur du monde musulman, c’est-à-dire de l’histoire des musulmans, de leurs cultures et leurs aspirations… ce pourquoi je suis inquiet et perplexe non pas de la catastrophe de la guerre du Vietnam, mais d’autres catastrophes potentielles dans d’autres régions.» La suite est connue.
«J’ai donné l’ordre de frapper le Nord-Vietnam avec une puissance de feu écrasante pour deux raisons et je savais que la victoire était hors de portée et que les frappes n’y changeraient rien : d’abord, pour nous convaincre et prendre conscience que la force ne nous conduit pas à la victoire, ensuite, parce que d’autres ont dit que l’usage d’une force écrasante va nous conduire à la victoire», disait McNamara. «Nous avons fait tomber sur un petit espace des tonnes de missiles et de bombes représentant trois ou quatre fois plus ce que les Alliés ont fait tomber sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale pendant cinq ans. C’était quelque chose d’incroyable. Nous avons tué 3 200 000 Vietnamiens sans compter les pertes dans les rangs des forces du Vietnam du Sud. Le problème est que nous avons voulu faire quelque chose de militairement impossible. Nous avons essayé de briser leur volonté. Je ne pense pas que nous pourrions briser la volonté par des bombardements, à moins que nous options pour un génocide et l’extermination», ajoute-t-il. Il en est en ainsi de la politique des Etats-Unis aujourd’hui.
La seule façon par laquelle leur puissance s’exprime est l’usage de la force. Le recours à la coercition est régulier. Il est peu probable que les frappes soient décisives. C’est un peu comme la chaise musicale. On bombarde en Libye, ils se dispersent ailleurs. Elles sont porteuses de coûts politiques non négligeables. Les populations civiles libyennes seront les premières touchées. Ironiquement, selon Beier Marshall, la précision de l’exactitude supposée des nouvelles générations d’armes «intelligentes», avec leur capacité de cibler de manière précise les individus, a fait des frappes «chirurgicales» un outil de l’art de gouverner de l’Amérique. Le nombre des civils tués est alarmant. Au Pakistan, en moyenne, plus de 90% des personnes tuées lors des attaques des drones sont des civils. Entre 2009 et 2012, pour chaque membre des talibans et d’Al-Qaïda abattu, 140 civils pakistanais innocents sont tués. L’Amérique perpétue les mêmes erreurs. Une grande partie de leurs actions actuelles n’ont rien à voir avec la lutte antiterroriste.
Le chaos libyen a gravement nui à la transition démocratique en Tunisie. Les frappes risquent d’aggraver encore la situation. Les pays voisins y compris l’Algérie resteront en état d’alerte. L’impératif de sécuriser les frontières détournera les pays des priorités du développement économique. L’Algérie a intérêt à soutenir davantage ses efforts en Libye pour ne pas voir un jour émerger un régime hostile.
Vous avez déclaré que l’Algérie ne permettrait pas le renforcement du groupe terroriste Daech en Libye. Insinuez-vous que l’armée pourrait intervenir au-delà de ses frontières ?
En ayant une vision rationnelle de la politique étrangère algérienne, il est tout à fait naturel de prétendre que l’Algérie ne permettra jamais l’émergence d’un Daech libyen. Ce qui compte en termes de perception de la menace, ce sont la capacité et l’intention. Fondamentalement, l’Algérie a la capacité d’agir et rendre les organisations terroristes libyennes moins dangereuses. Mais cela nécessite l’audace et une pure realpolitik. Cela ne trahit nullement les principes que l’Algérie défend. Parfois, on a l’impression que l’Algérie est passée de la «diplomatie de maquisard» à la diplomatie de «Mère Teresa» pour plaire. Il faut en finir avec cette «diplomatie de la flatterie». Ce n’est pas trahir ses principes que d’agir pour préserver ses intérêts. Nul principe ne vaut sans la préservation d’un Etat fort et moderne.
Une doctrine n’est pas le Coran. L’Algérie a besoin d’une doctrine de non-intervention d’ambiguïté stratégique. La Chine, par exemple, maintient délibérément une «ambiguïté» stratégique sur le nombre de ses missiles balistiques. Parce que la Chine ne va pas confirmer ou nier des rapports sur le nombre de ses missiles balistiques intercontinentaux, les autres Etats ne peuvent pas avoir confiance dans les estimations. Un attaquant envisageant de lancer une première frappe contre la Chine serait incertain sur la capacité de riposte de la Chine. C’est ainsi que la dissuasion nucléaire de la Chine travaille aujourd’hui. Voilà le type de doctrine dont l’Algérie a besoin.
Il ne s’agit pas d’agir pour la création d’un gouvernement d’union nationale, mais un régime ami en Libye sur le long terme. La diplomatie dissociée de la puissance échoue traditionnellement. Mao Zedong disait que «le pouvoir est au bout du canon d’une arme à feu». L’Algérie a un intérêt stratégique à renforcer sa présence en Libye et influer sur la composition et la nature du futur Etat libyen. Cette présence peut être économique (aide aux tribus, etc.), humanitaire (aides médicales, accepter un nombre de réfugiés, etc.), sécuritaire (formation des services de sécurité libyens, etc.) ; il faut aussi une présence accrue des services de renseignement et une intensification des échanges, y compris les visites d’hommes politiques. Il ne faut pas écarter le rôle des forces spéciales en cas d’une menace imminente. L’ambiguïté stratégique est indispensable.
Vous parlez d’une quatrième vague en évoquant le terrorisme. Qu’entendez-vous par ce concept ?
La «vague anarchiste» fut la première expérience véritablement internationale du terrorisme. La seconde, la vague anticoloniale, qui commença dans les années 1920, dura presque un demi-siècle. Elle fut suivie par la «vague de la nouvelle gauche», qui a été stimulée par la guerre du Vietnam. La «quatrième vague» du terrorisme est celle motivée par les impératifs religieux. Bien que les contextes, la portée, l’importance, les moyens, les stratégies, les objectifs sont différents, la révolution islamique en Iran, l’insurrection terroriste en Algérie, Al-Qaïda, Daech, etc., font partie du même processus. Le terrorisme de la quatrième vague est associé au «nationalisme religieux».
Tandis que la religion semble être la tendance générale dominante de la quatrième vague du terrorisme, les attentats suicides semblent être la force motrice de la hausse de la létalité. Le terrorisme motivé par les impératifs religieux diffère du terrorisme purement laïc. En particulier, il s’appuie sur des systèmes de valeurs, des mécanismes de légitimation et de justification radicalement différents. Les concepts de la moralité embrassée par des terroristes «de quatrième vague» et les vues millénaristes qui forment souvent leur processus de pensée et influencent leurs actions sont aussi différents. En tant que telles, certaines ruptures ont profondément bouleversé la donne en matière de létalité, à savoir la généralisation des attaques suicides que Bruce Hoffman a appelées «les missiles de croisière humains», le culte de la mort collective (tuer autant que possible), le choix d’attaques de cibles plus faciles et le déclin des groupes. Bref, la voie est à la «privatisation de la violence», mettant fin à la fameuse expression : «le terrorisme, c’est peu de victimes, mais beaucoup de spectateurs». Il est suggéré que le choix de cibles faciles est en partie dû à l’incapacité de frapper des cibles difficiles. Au sein de la «quatrième vague», on distingue deux types de terrorisme religieux : le «terrorisme religieux politique» qui vise un objectif politique et où la religion est utilisée comme un moyen pour mobiliser et attirer des disciples, et justifier ses actions ; le «terrorisme millénaristique» qui n’a pas un tel objectif temporel et se bat pour un but sacré plus abstrait qui est impossible à atteindre.
C’est le «terrorisme millénaristique» qui affecte le plus les sociétés européennes et que l’on craint le plus. Les études montrent que les groupes liés à Al-Qaïda sont beaucoup plus meurtriers (36,1 morts par attaque) que les groupes religieux qui ne sont pas affiliés à Al-Qaïda (9,1 morts par l’attaque). Al-Qaïda et Daech sont bien sûr les meilleurs exemples de la montée du terrorisme religieux millénaristique. Seuls les groupes millénaristiques semblent perpétrer des attaques au cœur de l’Occident. Les conflits en Afghanistan, Irak, Libye, Syrie ont servi et servent encore à socialiser une des générations de recrues potentielles, tant au Moyen-Orient et en Afrique, qu’en Occident. Une distinction est faite entre les recrues au Moyen-Orient et en Afrique qui sont souvent des groupes où l’on voit plus d’activité criminelle. Ils se rapprochent davantage des guérilleros, chefs de guerre et gangs, et sont moins intéressés par la recherche du martyre. Quant aux recrues d’origine occidentale, pour Daech et Al-Qaïda, leur utilité peut dériver de leurs aspirations idéologiques ou au martyre. Daech leur offre un système dogmatique fermé de rituels, d’idées, de conceptions, de directives et de représentations délimitant les différences entre le sacré et le profane, et entre le bien et le mal. Ce faisant, il rationalise les contradictions des différents groupes en leur fournissant une cause commune.
Cela a-t-il un rapport avec le programme dit Gladio B qui consiste à provoquer des attentats terroristes pour, ensuite, les imputer à la religion musulmane ?
Le cœur du problème est la conviction presque théologique que la puissance américaine est par nature bonne – une force du bien et pour le bien –, et ce qui suit son sillage seront la liberté, la démocratie et la stabilité. Toutefois, il faut toujours rester factuel. L’exemple de la théorie du FOS (faits, opinions, sentiments) est intéressant. Une grande partie des travaux et analyses reflète principalement l’opinion et le sentiment de l’auteur au détriment des faits. Les pays musulmans passent une période de transition profonde et cruciale. Les populations doivent avoir à l’esprit que la seule et unique façon de garantir une vie meilleure et assurer leur sécurité c’est l’édification d’un Etat de droit fort et moderne. A ce titre, les hommes politiques y compris les médias ont failli à leurs devoir et responsabilité.
Le terrorisme cible l’Europe et change de modus operandi, rendant obsolète l’armada des forces de sécurité occidentales. Comment expliquez-vous ce changement de stratégie ?
Le terrorisme, ce n’est pas 100 blindés. Les acteurs non étatiques sont considérés comme posant un défi à peu près insoluble pour le «mode occidental» de guerre. En ce début du XXIe siècle, les forces armées les plus puissantes, les plus riches, les mieux équipées et les mieux formées qui n’aient jamais existé sont en plein déclin. Les exemples de leurs échecs abondent. Les grandes puissances ont perdu environ 30% des guerres qu’elles ont menées contre les petits Etats. Une tendance qui va se renforcer semble-t-il. Dans les guerres asymétriques qui ont éclaté entre 1800 et 1849, le côté le plus faible (en termes d’armements et troupes) a atteint ses objectifs stratégiques dans seulement 12% des cas. Mais dans les guerres de ce type entre 1950 et 1998, le côté faible a prévalu dans 55% de temps. Ce qui est évident dans les guerres sales est que l’échec est douloureusement tangible, tandis que le succès est souvent amorphe. Le succès dans ces guerres implique un équilibre critique entre la victoire militaire et politique. Est-ce que tout cela implique que nous devons nous résigner à un monde où les insurrections et le terrorisme vont généralement atteindre leurs objectifs ? La réponse est : en aucun cas. La première chose, absolument indispensable, à faire est de revoir la grande partie de la littérature sur la lutte contre le terrorisme.
Les pays occidentaux pourront-ils faire face à cette menace d’un genre nouveau avec leur approche antiterroriste actuelle ?
Malheureusement, les pratiques de la guerre mondiale contre le terrorisme sont basées sur une «mauvaise sociologie». Elles puisent profondément dans l’orientalisme comme le montre Patrick Porter. Quatre exemples ont été étudiés : le Japon, Gengis Khan, les talibans et la guerre Hezbollah-Israël en 2006. Selon lui, pour la plupart des élites américaines, les Afghans n’étaient que des membres de tribus violentes, incapables de progrès ou de sophistication. Les médias occidentaux ont renforcé et contribué à façonner ce point de vue, les représentant comme des hommes de montagne avec des armes primitives. Motivés par la vengeance et la soif de sang, ces terroristes ne veulent rien de plus que la destruction de l’American way of life. Pourtant, à de nombreuses reprises, les talibans «se sont révélés être pragmatiques et innovants. Lorsqu’ils sont forcés de choisir entre un compromis efficace et un dogme de ligne dure, les chefs talibans choisissent le premier».
Une grande partie des attentats commis en Europe sont l’œuvre de nationaux européens. Mais la réponse consiste à bombarder ailleurs au Moyen-Orient, en particulier. Il y a tendance à voir le terrorisme djihadiste comme quelque chose qui se produit dans les régions dysfonctionnelles du monde, telles que l’Afghanistan, le Pakistan ou le Moyen-Orient, et exporté vers les pays occidentaux. En effet, les élites dominantes en Occident ont tendance, pour reprendre l’expression de l’historien William Appleman Williams sur les puritains américains, à «externaliser le mal. Cette propension à placer le mal en dehors de leur système» les incline vers des solutions impliquant l’extension de leur frontière stratégique toujours vers l’extérieur. Une approche dangereuse.
L’autre fausse idée est la lecture culturaliste de l’origine de la violence y compris du terrorisme. L’arsenalisation ou la militarisation de la culture est porteuse de graves risques. Le concept «culture» est utilisé de manière abusive par les stratèges militaires occidentaux. Le manuel de contre-insurrection (appelé aussi FM 3-24 et utilisé par les forces multinationales en Irak depuis 2006) mentionne le mot «culture» 88 fois et «culturel» 90 fois dans les 282 pages du manuel.
La lutte contre le terrorisme n’a pas commencé hier. C’est l’heure de faire un bilan objectif de ce qui a été fait depuis au moins le 11 septembre 2001. D’énormes erreurs stratégiques ont été commises et aucune leçon n’a été tirée, semble-t-il. Sinon, la seule est de condamner à chaque attentat, bombarder à chaque attentat, et attendre le suivant pour condamner et bombarder.
La Suisse a décidé de revoir ses lois pour les adapter à la menace terroriste. Durcir les sanctions suffit-il à endiguer la menace terroriste ?
L’aspect le plus difficile pourrait être de redéfinir la victoire. Le but de «la reddition complète» inconditionnelle n’a aucun sens dans le contexte du terrorisme. De nombreuses voix affirment que le défi posé par l’extrémisme violent aujourd’hui ne ressemble à rien à ce que l’Occident a dû faire face dans le passé. Si de nouveaux concepts ont vu le jour pour les caractériser afin de tenir compte des nouvelles réalités, c’est aussi (et peut-être principalement) pour justifier de nouvelles méthodes et soutenir l’effort de transformation des institutions et services de la défense. Un groupe de penseurs soutient la méthode forte et appelle en Occident à développer leurs «propres guerriers». Ceux-ci commencent généralement avec un syllogisme qui note que les adversaires sont des barbares. Ils affirment ensuite que l’on doit combattre le feu par le feu (la logique de ceci est tout à fait claire : le feu est mieux combattu avec de l’eau et non pas avec le feu). La conclusion du syllogisme est un appel à un nouveau type de de guerriers occidentaux, capables de combattre les fanatiques selon leurs propres termes. La tension interne de cette position réside dans la nécessité d’utiliser les armes de l’ennemi – lutte sans merci – contre lui pour défendre un ordre libéral. Les corollaires de cette situation sont un mépris pour les libéraux à la maison et une hypothèse arrogante de supériorité morale.
Cela pose des problèmes de taille pour les sociétés occidentales. La lutte contre le terrorisme nécessite que le but et la pratique des forces de sécurité et militaires soient régis par les valeurs libérales et démocratiques. L’intégration de la lutte antiterroriste avec la société civile rend l’application des valeurs libérales difficile. Il y a des raisons structurelles qui entravent la stratégie occidentale. Gil Merom explique que «ce qui entraîne l’échec des démocraties dans les « petites guerres » est l’interaction de la sensibilité aux victimes, la répugnance pour le comportement militaire brutal et l’engagement à la vie démocratique». «Plus précisément, les démocraties échouent dans les petites guerres parce qu’elles sont incapables de résoudre trois dilemmes liés : « comment concilier les valeurs humanitaires d’une partie de la classe instruite avec les exigences brutales de la guerre contre-insurrectionnelle […] comment trouver un compromis intérieur acceptable entre la brutalité et le sacrifice [et] comment préserver le soutien à la guerre sans porter atteinte à l’ordre démocratique »». Ce sont ces tensions qui fournissent la substance d’un débat interne à propos de l’utilité et la légitimité des mesures coercitives.
Le terrorisme islamiste a longtemps été considéré comme un «ennemi utile» par les puissances occidentales. L’est-il toujours malgré les attentats qui ont secoué plusieurs villes européennes ou y a-t-il eu «rupture de contrat» entre les services secrets occidentaux et Daech ?
Tout le monde veut aller au paradis, mais personne ne veut mourir. Ainsi peut être résumée la lutte antiterroriste actuelle. L’objectif de combattre Al-Qaïda, Daech et les groupes associés est sur toutes les lèvres, mais personne ne fait les concessions nécessaires pour atteindre cet objectif. Le grand absent dans cette lutte est l’ONU. Une approche dans le cadre des Nations unies aurait pu réaliser le consensus nécessaire. Il suffit de constater que les interventions en Irak, en Syrie, en Afrique, etc. sont réalisées en dehors des Nations unies. Le système international est profondément anarchique. Les fins justifient les moyens. Le reste est une question de coûts et d’opportunités.
Interview réalisée par Karim Bouali
Comment (29)