Une contribution de Mustapha Baba-Ahmed – Réserves de change : le faux argument de la Banque d’Algérie
La polémique engagée par la Banque d’Algérie (BA) avec la Banque mondiale (BIRD) à propos du niveau des réserves de change à fin 2018 est inopportune, voire même déplacée. Elle se fonde sur un argumentaire inapproprié et faux : il suffirait que l’Algérie mette en œuvre une politique de consolidation budgétaire pour améliorer ses équilibres extérieurs et, donc, ses réserves.
L’auteur de ces lignes n’est pas acquis à l’idéologie du Consensus de Washington qui préside aux politiques et positions des institutions de Breton Woods. Leurs capacités d’analyse ont été prises en défaut à maintes reprises. Le directeur du département des études du FMI a écrit dans l’avant-propos du numéro d’avril 2007 de Perspectives de l’économie mondiale, trois mois avant les premiers soubresauts de la crise mondiale : «Les risques économiques mondiaux ont diminué depuis la dernière édition des Perspectives» (septembre 2006). Le FMI a tout simplement nié, alors, les risques liés aux hypothèques aux Etats-Unis (Subprime).
La BA conteste avec véhémence que le niveau des réserves de change puisse descendre à 60 milliards de dollars fin 2018. Les prévisions restent toujours des prévisions. Pour ne pas être prisonnier de la démarche de la BIRD, retenons le chiffre et comparons-le à celui qui prévalait fin 2014 : 179 milliards de dollars. La BIRD considère donc que les réserves baisseront de 119 milliards en 4 ans. Une telle évolution serait-elle improbable ? L’improbabilité pourrait-elle résulter principalement d’une politique active de consolidation budgétaire ?
La balance commerciale des biens a été équilibrée en 2014 à 59 milliards de dollars dans les deux sens. La balance des services a enregistré un déficit de 8,2 milliards de dollars pour les services non facteurs et un autre de 4,9 milliards de dollars pour les services facteurs (revenus du capital et du travail). Ce dernier solde comprend 5,3 milliards de transferts qui ont bénéficié aux associés de la Sonatrach.
L’équilibre de la balance des biens a été réalisé grâce à un prix à l’export de 100,8 dollars par baril en 2014. La BA ne conteste pas que le prix du baril se situera au sein d’une fourchette entre 41 et 60 dollars de 2016 à 2018. Mais qu’en est-il des quantités ? Le pays est soumis aux nouveaux déterminants du marché pour le pétrole. Il ne peut plus se prévaloir de prix fixes à long terme pour le gaz, qui représente 30% des exportations en valeur. L’Union européenne est attachée aux prix spot. C’est dire que, pour les prochaines années, une incertitude forte pèse sur les quantités d’hydrocarbures exportables. Le financement du développement des champs gaziers ne peut s’accommoder de prix spot et le pays ne peut, dès lors, qu’espérer au mieux maintenir les quantités globales à l’export tous hydrocarbures confondus, à savoir 100 millions de tonnes métriques équivalents, dont la moitié presque pour le gaz. L’exportation rapporterait au mieux 30 milliards de dollars par an au prix moyen de 50 dollars/BBL.
Quels ajustements devront subir alors les importations de biens et avec quels instruments à mettre en œuvre ? Tant qu’il ne fait pas appel au FMI, le pays pourra introduire une certaine dose d’ajustement administratif des importations. Pour des raisons économiques évidentes, celle-ci ne concernera que des biens de consommation finale ainsi que des biens et services destinés à l’administration. La BA vise-t-elle ces derniers biens et services quand elle parle de consolidation budgétaire en tant que moyen de réduire les déséquilibres extérieurs ?
La consolidation budgétaire désigne le redressement durable des comptes publics. Elle peut, dans l’absolu, procéder par voie d’augmentation des recettes publiques et/ou de réduction des dépenses. La marge de manœuvre du gouvernement est limitée tant pour diminuer les dépenses que pour augmenter les recettes. Ces dernières années, les ressources ordinaires (non pétrolières) ne couvraient que 35% à peine des dépenses budgétaires totales et moins de 60% des dépenses de fonctionnement. La fiscalité pétrolière couvrait le complément pour chacun de ces deux ratios.
Les rémunérations et les transferts constituent l’essentiel des dépenses de fonctionnement. Les réduire exposerait le pays à des risques d’explosion sociale. L’Etat doit se résoudre à des coupes drastiques dans le budget d’équipement. Mais peut-il décider aussi de mettre fin au dispositif d’assainissement financier qui continue de bénéficier illégalement aux entreprises publiques ? L’UGTA y consentira-t-elle ? Le taux de change effectif réel, construit par la BA, si tant est qu’il ait un sens dans une économie pétrolière – puisqu’il doit refléter la compétitivité des opérateurs –, s’accommode mal de l’assainissement financier, lequel le vide de son sens.
Mais la BA ne peut mettre en œuvre une politique de consolidation budgétaire. Elle n’est pas compétente, institutionnellement parlant. L’Etat, qui l’est, pourrait-il collecter les impôts dans le gisement naturel, le secteur informel ? Les acteurs ont, là, des moyens dissuasifs qui inhibent l’Etat et ses services. La collecte se limitera à quelques dizaines de milliards de dinars par an. La consolidation budgétaire ne peut procéder, par conséquent pour l’essentiel, que de la diminution des dépenses d’équipement.
La gestion des déséquilibres extérieurs se limitera à la pression sur les importations par les taux de leur imposition, ce qui procurerait quelques recettes à l’Etat. Il peut, aussi, être fait recours aux contingentements administratifs. Cela ferait dériver les produits concernés vers la voie des sans paiements. Dans tous les cas, le pouvoir d’achat s’en ressentira fortement.
Le pays doit gérer les deux déséquilibres jumeaux. S’il a un sens, le discours de la BA sur la consolidation budgétaire interpelle l’Etat. Celle-ci doit ramener le déséquilibre du budget à un niveau soutenable sur le moyen terme. Or, le déficit public, qui s’est élevé à 7% du PIB en 2014, sera de l’ordre de 15 à 20% du PIB à partir de 2016. Au mieux, l’Etat pourra le ramener entre 10 et 15%. Le déficit du solde extérieur courant se situera entre 30 et 35 milliards de dollars. La baisse des importations ne permettrait de réduire la facture, tout au plus, que de 10 milliards de dollars.
Il restera à la BA à mettre en application le TCER dont le choc pétrolier a prouvé le caractère inadapté pour une économie rentière : le dinar devra être fortement dévalué sans pour autant que la compétitivité de l’économie en soit améliorée. Fallait-il s’offusquer d’apprendre que les réserves de change risquent de baisser à 60 milliards de dollars en 2018 ? Qu’en sera-t-il pour chacun des deux déficits si le prix du brut se situe à 40 dollars/BBL et non à 50 ? Il faut savoir raison garder et éviter de dire «fontaine, je ne (re)boirai pas de ton eau !».
Mustapha Baba-Ahmed
Ancien cadre supérieur de l’Etat
Comment (17)