Alger pourrait parrainer des pourparlers entre les belligérants de la guerre du Yémen
Une contribution de Houria Aït Kaci – La manifestation imposante – plus d’un million de personnes – samedi dans la capitale Sanaa, a constitué une véritable démonstration de force du peuple yéménite pour signifier au monde son soutien au nouveau Conseil politique suprême, lui conférant ainsi une légitimité populaire. Ce plébiscite ne balaie-t-il pas d’un trait la légitimité de l’ancien président Hadi soutenu par Riyad qui a déclenché une guerre meurtrière contre le Yémen pour le maintenir sur le trône ? Quelles seront les répercussions de cette manifestation populaire sur la poursuite du conflit au Yémen ?
La manifestation de ce samedi, la plus importante qu’ait connue Sanaa dans son histoire, a rassemblé plus d’un million de personnes qui ont déferlé sur la capitale depuis l’aube jusqu’au soir, en provenance de toutes les régions du pays. Les manifestants ont salué la formation du nouveau Conseil suprême politique et ont exprimé leur soutien aux nouveaux dirigeants. Ils ont aussi signifié au monde entier leur volonté «d’émancipation de la tutelle saoudienne» en scandant : «Nous ne nous soumettrons pas !». L’aviation de la coalition saoudienne n’a pas hésité à prendre pour cible les manifestants et lancer plusieurs raids dans le quartier où se déroulait le rassemblement et sur d’autres villes du Yémen, comme à l’accoutumée, rapporte la presse yéménite.
«Nous ne nous soumettrons pas !»
Le Conseil politique qui vient d’être légitimé par le peuple yéménite a été créé après l’échec des dernières négociations inter-yéménites sous les hospices de l’ONU au Koweït, faute de compromis entre les parties en conflit. La délégation du gouvernement Hadi, soutenue par Riyad, s’est refusée au dernier moment de faire des concessions à la délégation de Sanaa (Ansar Allah et parti de l’ancien président Ali Abdallah Salah), exigeant de ces derniers de remette les armes et de quitter les positions qu’ils occupent. Ce qui, dans les faits, signifiait une reddition pure et simple. Or, le rapport de forces sur le terrain des opérations militaires n’est pas en faveur de Riyad, malgré les effets d’annone sur des victoires fictives. Les comités populaires et l’armée restée fidèle à Ali Abdallah Salah, ont tenu en échec la coalition saoudienne aidée par les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux.
Ce Haut Conseil suprême, paritaire, composé de dix membres, représentant pour moitié Ansar Allah et pour l’autre moitié le Congrès général du peuple (CGP), de l’ex président Ali Abdallah Salah, est venu sceller un accord entre ces deux forces principales qui se sont opposées à l’agression saoudienne. Après l’aval du Parlement yéménite et l’appui de la société civile, c’est au tour du peuple yéménite d’exprimer dans la rue son soutien à ce Conseil. Sa création, prévue depuis longtemps, va permettre aux forces nationales de renforcer le front interne dans leur lutte contre la coalition saoudienne et leurs supplétifs à un moment crucial de la guerre destructrice déclenchée le 26 mars 2015 par le royaume des Al-Saoud contre leur voisin yéménite pour maintenir sur le trône leur homme de paille, Hadi, et pouvoir piller les ressources du Yémen.
Le Conseil politique suprême, formé le 28 juillet, a reçu l’aval du Parlement yéménite (réuni après deux ans d’interruption) par un vote de confiance lui confiant «un mandat pour gérer les affaires publiques, dans les domaines politique, militaire, économique, administratif, social et sécuritaire». Chargé de «diriger les affaires intérieures et extérieures du pays», le Conseil va former dans les prochains jours un gouvernement et organiser des élections générales.
Il s’impose désormais comme la première autorité politique dans le pays. Il sera le seul interlocuteur des forces yéménites et aura donc à présider les prochains pourparlers de paix qui devraient être menés directement avec l’Arabie Saoudite (après l’échec des consultations avec le gouvernement Hadi au Koweït) et qui pourraient se tenir dans une capitale pouvant garantir la neutralité nécessaire pour faciliter le dialogue entre les deux parties et qui pourrait être Alger, selon une source informée yéménite.
«Nous allons tendre la main à tous les pays du monde, sauf à l’entité sioniste»
Devant les manifestants rassemblés ce 20 août, le président du Conseil politique supérieur, Saleh Al-Samad a affirmé, selon l’agence Saba, que la formation de ce Conseil «répond aux aspirations du peuple yéménite afin de prendre en compte les intérêts supérieurs de la nation» et pour «combler les lacunes que l’ennemi tente d’exploiter afin de diviser les Yéménites, après qu’il a été incapable de réaliser des progrès sur le terrain». Il a demandé à la communauté internationale de «respecter a volonté du peuple yéménite et ses choix légitimités et démocratiques». «Nous allons tendre la main à tous les pays du monde, sauf l’entité sioniste, afin d’établir des relations sur la base du respect et des intérêts communs», a encore dit Al-Samad, le nouveau dirigeant de Sanaa.
Le plébiscite de la nouvelle autorité au Yémen, va mettre fin, selon des observateurs, à «la légitimité» du président Abd Rebbo Mansour Hadi, qui a été utilisée comme carte politique par l’Arabie Saoudite et ses alliés pour monter l’opération de l’invasion du 26 mars 2015 et massacrer sa population civile, en utilisant des armes prohibées, en l’affamant par un blocus total et en détruisant ses infrastructures sociales. Même les hôpitaux n’ont pas été épargnés, comme le bombardement de l’hôpital de Médecins sans frontières le 15 août qui a fait 19 morts et 24 blessés. Le 13 août, ce fut une école coranique qui été bombardée entraînant la mort d’au moins 10 enfants âgés entre 8 à 15 ans. Selon le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le nombre des victimes du conflit yéménite, entre le 19 mars 2015 et le 15 juillet 2016, s’établit à 6 571 morts et 32 856 blessés, dont une majorité de civils. Selon les chiffres de l’ONU, 80% de la population ont besoin d’une aide humanitaire.
L’échec des dernières négociations de paix qui se sont déroulées au Koweït pendant près de 4 mois pour prendre fin le 6 août 2016, a été suivi par une intensification des attaques aériennes et terrestres par la coalition saoudienne et ses supplétifs, qui ont lancé de nouvelles offensives à Nihm, pour tenter de rentrer à Sanaa, de prendre Taez et Maarib, mais sans succès. Ce à quoi les comites populaires et l’armée yéménite ont répondu par une reprise des attaques aux missiles sur Najran et Assir, villes frontalières avec l’Arabie Saoudite, après une accalmie observée par les forces yéménites sur ce front pour donner chance aux négociations.
L’armée yéménite et les forces populaires d’Ansar Allah ont lancé le 13 août, 4 roquettes de type Katioucha sur la station d’électricité de la ville de Najran, plongeant cette ville du Sud de l’Arabie dans l’obscurité, selon une source militaire citée par l’agence yéménite Khabar. Selon le média militaire des forces yéménites, celles-ci ont détruit toutes les bases-arrières de la ville de Najran, s’emparant ainsi de toutes les positions militaires sur l’ouest de Najran.
Le régime de Riyad bombarde ses propres citoyens
L’Arabie Saoudite n’a pas hésité à bombarder ses citoyens à Najran, a accusé le porte-parole de l’armée yéménite qui a ajouté que «ceci n’est pas nouveau. L’Arabie a eu recours à plusieurs reprises au bombardement d’objectifs civils à la frontière par crainte du soulèvement de ses citoyens opposés à la guerre». Selon un observateur politique yéménite, les autorités saoudiennes procèdent à des migrations forcées vers l’Est, des populations des trois villes frontalières – anciennement appartenant au Yémen et occupées par l’Arabie Saoudite en 1934 – pour les empêcher de rejoindre le camp des forces yéménites qui sont entrées à plus de 50 kilomètres dans cette ville». Selon lui, «ou l’Arabie Saoudite accepte de négocier loyalement la paix avec les nouveau dirigeants du Conseil suprême ou ce sera l’embrasement à ses frontières».
L’importance de la guerre menée sur le sol de l’ennemi qui pourrait être décisive dans le conflit du Yémen, est soulignée par des observateurs américains comme on peut lire sur le site Moon of Alabama, cité par l’agence Khabar News le 15 août 2016, qui écrit : «Lorsque l’échec des négociations était évidemment imminent, les Houthis et les forces de l’armée yéménite ont ré-envahi l’Arabie Saoudite. Sur les 200 kilomètres de la frontière saoudo-yéménite, de la mer Rouge à l’intérieur des terres vers l’Est, des forces yéménites ont initialement envahi à six endroits, 5-20 km en profondeur». Le site poursuit : «Le Yémen a maintenant un nouveau gouvernement légitime. Et les Saoudiens devront soit respecter les conditions qu’il fixera, ou perdre leur guerre».
Les alliés de Riyad dans cette guerre, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui vont se réunir à Djeddah les 24 et 25 août, avec les monarchies du Golfe, en présence de l’envoyé spécial de l’ONU au Yémen, Ismaïl Ould Cheikh, pour étudier la situation au Yémen, vont-il conseiller au roi Salman Ben Abdelaziz la voie de la sagesse et de la paix ou souffler sur la braise qui risque d’emporter le royaume et d’embraser toute la région ?
Houria Aït Kaci
Journaliste, ancienne directrice d’agence de presse
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