Pourquoi se prend-on la tête ?
Par Samir Arnaoui – Pourquoi dans chaque rue et chaque ruelle de nos villes, villages et douars, nous faisons-nous la tête ? Autrement dit, quel est ce sceau de l’infamie marquant nos têtes à tous, qui fait que plus aucun d’entre nous (ou quasiment) ne supporte de voir les bobines des autres, c’est-à-dire qu’il me semble (corrigez-moi si je me trompe) que personne ne supporterait plus personne au point où chacun regarderait l’autre d’un regard torve, quasiment meurtrier, lui signifiant même de baisser les yeux, sinon… Ah ! Si on se regardait entre compatriotes pour se souhaiter bonne journée, pour se féliciter de notre beau soleil, de nos belles plages, de notre civisme sans pareil, ou pour fêter je ne sais quel succès de l’un des nôtres dans un domaine donné… qui nous rendrait fous de joie, au point de chercher les regards complices des autres dans une liesse quotidienne sans équivalent, dans le reste du monde ! Mais que nenni ! Tous ces adjectifs sont à bannir, car le sourire est toujours absent de ces regards méchants.
J’en parle, parce que la façon que nous avons de nous regarder n’est ni joyeuse ni indifférente, et encore moins passive… En fait, nous nous toisons mutuellement et à longueur de journée de manière si inquisitoriale et de si mauvaise humeur, sans même nous connaître ! J’en parle, et je me demande que peut bien signifier cette façon étrangement «chercheuse» de regarder ceux qui nous croisent (qui en font de même !) et avec insistance, comme si nous nous trouvions déjà des motifs de mésentente et de franche inimitié.
Bon, cela peut arriver, j’en conviens que les mines de certains ne nous reviennent pas, mais ce serait une fois, ou deux fois, par mois, ça passerait, mais à longueur de journée, cela est-il normal, que l’on se fouille, que l’on se cherche des puces à travers des regards si désobligeants et si malveillants que cela frise le ridicule, et plus gravement encore, cela ressemblerait à une pathologie générale touchant l’«espèce» algérienne ? Serions-nous des espions que nous ne nous comporterions pas de la sorte… Alors, est-ce une tare congénitale spécifiquement algérienne ou bien un effet du soleil si spécifique chez nous, tapant sur nos bobines au point de nous faire appréhender, et ne plus nous supporter les uns les autres ? J’avoue que je ne sais pas.
Nous ne sommes pas le seul peuple (ne dites surtout pas heureusement !) qui se comporte de la sorte, mais cela est si rare dans les pays développés où personne ne regarde personne, occupé, sans doute, à travailler aussi, que nos psys et nos chercheurs devraient se pencher sur le phénomène, afin de l’endiguer, avant de l’éradiquer, je l’espère. Certains y verront la volonté de nous tous d’affirmer nos virilités bafouées, ou nos droits, spoliés naguère (je me demande si ce n’est pas une réaction à une castration du passé ?) ou partant d’une curiosité malsaine, mais elle aussi congénitale… Enfin, le résultat est là : on assiste à des scènes avec des phrases, du genre : «qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?», qu’assènera le plus explosif des deux quidams qui se regardent, fortuitement ou pas, si l’autre ose le regarder dans les yeux, plus de deux secondes ; ils en viendront aux mots, voire aux gros mots, puis aux poings.
Personne ne marquera évidemment de poings dans ces joutes et ces rixes burlesques ; mais cela nous interpelle vraiment, car à ce train, on se rentrera tous collectivement dedans un jour ou l’autre, et il ne restera plus aucun en Algérie, dans cette si belle terre que nous envient beaucoup !
S. A.
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