Une contribution du Dr Arab Kennouche – Burkini : la grande manipulation psychologique des masses
Dans le feuilleton macabre de l’été 2016 qui débuta à Nice par un affreux carnage, on ne retiendra malheureusement que la réaction et l’exploitation politique d’un accoutrement vestimentaire clivant, que les futurs représentants de la Fondation de l’islam de France n’ont pas tardé à dénoncer en appelant les musulmans de l’Hexagone à plus de «discrétion». Dans les cafés de France, on ne parle plus que de lui, le burkini, comme du furet que l’on aurait vu passer ou non par là : objet rare que très peu de Français ont rencontré dans leur vie, il est pourtant à la Une de tous les journaux et chacun de raconter sa petite histoire sur un burkini qu’on aurait aperçu, ou une burqa de passage dans un aéroport, sur une plage… Pourtant, les dossiers brûlants ne manquent pas à Matignon : chômage massif, Europe politique et économique en crise, Brexit, migrants en hausse, mais c’est le burkini qui s’invite dans cette précampagne électorale comme un Totem galvanisant tous les esprits fins de la République.
Il est vrai que le contexte des attentats de Daech donne encore plus de résonnance à une problématique négative de la «visibilité» de l’islam en France que les politiques français exploitent à merveille face à l’incurie de leur politique économique, la France connaissant un chômage massif depuis plus de trente ans. Alors qu’il existe en islam, comme dans les autres religions, un thème essentiel, celui de l’esprit et de la lettre qui pourrait aisément ôter tout crédit à ce nouveau tapage politicien. Les partis politiques savent pertinemment que seule la question de l’islam [de] France traitée d’une façon polémique, idéologique, et nourrie des antagonismes les plus profonds, est en mesure de rapporter des voix électorales comme jadis dans les années 80 ; on se tournait vers les émigrés pour expliquer le chômage.
Mais, actuellement, le remède du bouc-émissaire semble surpuissant au point que la question économique est complètement abandonnée au profit d’une soi-disant problématique sécuritaire digne des grands laboratoires de manipulation psychologique des masses. Les médias de l’Hexagone s’en donnent à cœur-joie pour orienter le regard des Français vers les descendants d’immigrés qui, désormais, non seulement mangent le pain des Français, mais, en plus, se permettent de les narguer en leur imposant un vêtement antimoderne, anti-laïc, après une série d’attentats eux, impardonnables. Pourquoi donc ce qui est passé inaperçu en Australie, où fut inventé le burkini, est banni en France, pays de… tolérance ?
L’esprit du burkini
Ce qu’on devrait reprocher sans ambages aux politiques qui se sont précipités dans le filon de la discorde du burkini, c’est leur peu de prévenance à considérer l’esprit qui pourrait gouverner une jeune fille, une femme à ne pas exposer son corps au public. S’il est certain, en effet, qu’on pourrait revendiquer un droit moral que pour mieux le contourner, il est moins assuré que tout port de burkini se ferait contre l’esprit d’une certaine pudeur que la gente féminine prendrait plaisir à exprimer sans esprit vindicatif aucun, ni pratique ostentatoire. L’argument de la discrétion trouve toutes ses raisons dans le contexte pragmatique actuel des attentats, et on ne pourrait reprocher aux uns et aux autres de chercher à protéger des Français musulmans un peu trop inconscients.
Mais il ne faudrait pas, non plus, tomber dans l’effet inverse d’une remise en cause de l’esprit de la pudeur en stigmatisant la lettre de la chasteté. Toutes les religions ont dénoncé le voile de l’hypocrisie ou de l’orgueil ostentatoire qui vise à se rendre fier d’une croyance, alors que l’autre n’aurait pas encore reçu les faveurs de Dieu. Comme toutes ces jeunes filles qui affichent leur voile fashion, fardées de lunettes de soleil dernier cri, et en jeans serrés, les atours bien achalandés. Dubaï, Alger, Paris sauront reconnaître ces voilées stylisées qui, attachées à la lettre et à la supercherie, ont rejeté l’esprit des textes sacrés. Et c’est pourtant celui-ci qui doit prédominer dans la compréhension de l’islam, fût-il de France ou de Navarre.
Regarder le burkini sans y considérer l’esprit revient à commettre la même erreur que les Pharisiens sous Pilate, qui n’invoquaient les lois divines que lorsque cela servait leurs intérêts profanes. Il faut admettre, cependant, que personne n’est en mesure de sonder les cœurs de chaque prétendante au burkini, mais dans le doute, il faudrait encore s’abstenir de catégoriser chacune de ces femmes, comme l’ont perçu les Français suite à la prise de décisions communales, en forçant le trait sur une appartenance religieuse qui voudrait dire : «Attention, danger !».
Il n’y pas de poussée galopante d’islam radical en France au point de jeter l’anathème sur tout ce qui viendrait d’Orient. Il est vrai que dans le processus d’absorption des pratiques culturelles exogènes, c’est le syncrétisme, la mixité qui finit par s’imposer, comme ces combinaisons d’homme, femme grenouille, dénommées à juste titre «burkini», car relevant de deux cultures différentes et même de deux extrêmes, le bikini et la burqa. L’objet en soi n’est pas totalement islamique ; il a sa part d’Occident que les politiques français ont balayé d’un revers de main pour ne voir que ce qui les intéresse : un islam conquérant qui mettrait en danger la France.
Roger Garaudy, dans un ouvrage intitulé Intégrismes, paru en 1990, avait peut-être mieux expliqué que quiconque les dangers de l’intégrisme, qu’il soit occidental ou oriental, en projetant un regard authentique sur la notion de charia, défini comme guidance, esprit de vérité et de sincérité plus que comme un corpus figé de règles à respecter. Pour Garaudy, la charia a été confondue avec le fiqh, la jurisprudence fondée sur une casuistique temporelle alors que l’étymologie arabe donne au premier terme, charia, le sens de voie, de direction, de chemin qui conduit l’Homme vers Dieu, comme on se dirige vers un point d’eau. La charia ne peut donc être au sens propre une loi fixe. L’esprit consiste à aller dans la bonne direction, à se saisir de la lettre de la loi qu’autant qu’elle permet d’espérer atteindre Dieu. C’est l’esprit de guidance qui est premier et gouverne la loi et non l’inverse, comme on le constate dans la promotion de l’islam wahhabite. Cet esprit est amour («Vous n’atteindrez pas la piété vraie tant que vous ne ferez pas don à autrui de ce que vous aimez», Coran, III, 92).
Ce n’est pas le lieu, ici, de rappeler la supériorité de l’intention à la forme de l’acte, ou de la position sincère de l’individu face à ses erreurs, de la transparence du cœur sur le voilement hypocrite. Dieu sonde les cœurs au-delà des prières, des rites et des burkini. Le Coran est plein de rappels, d’admonestations contre les hypocrites se croyant parfaits musulmans.
Les deux morales du bikini et de la burqa
Au lieu de stigmatiser nombre de musulmans, il eût été plus judicieux de la part des pouvoirs publics français de rappeler l’esprit de l’islam comme il existe un esprit du judaïsme ou du christianisme. Le Tout-Puissant, fort heureusement, a bien prévu ce cas où la jeune fille en bikini n’est étalée sur la plage que pour en ressentir des bienfaits physiques, alors que la seconde aurait usé de sa burqa que pour partir à l’improviste de chez elle, à la faveur d’une rencontre amoureuse pourtant interdite. Comme il a dû prévoir ce cas d’une jeune femme respectant l’islam au détail près, en ne laissant aucun cheveu à la vue des gens, pensant ainsi sincèrement faire plaisir à Dieu en son for intérieur et gagner le Paradis. Comme, enfin, il a dû faire cas de cette jeune européenne qui, se sentant culturellement si éloignée de l’islam, pense aussi en son for intérieur qu’elle ne pourrait jamais troquer son maillot de bain, qu’elle porte depuis sa tendre enfance, contre une djellaba ou un burkini, même si elle reconnaît la véracité du Coran, et préfère laisser cela entre les mains du Tout-Puissant.
Les cas de figures pourraient ainsi se multiplier à l’infini, jusqu’à épuiser toutes les possibilités d’exprimer crainte et révérence de Dieu ou bien intention malhonnête, cachée sous le voile de la dévotion. Les médias français ont sciemment rendu suspect un vêtement comme on jette de l’encre noire sur une toile blanche. Car s’il existe une intention mauvaise du croyant, il peut aussi en exister une du parfait laïc qui, pour des raisons politiques, aurait tout intérêt à chercher querelle là où les enjeux sont les plus juteux. Ainsi, une fois de plus dans l’histoire de l’humanité, l’intention, la bonne disposition d’esprit, le «croyant bien faire» triomphera sur le calcul des détails et des desseins cachés. Le «croyant bien faire» d’un Chevènement, instaurant une «discrétion» pragmatique en vue de protéger les Maghrébins de France ne sera pas moins méritoire que celui d’une femme en burkini, se croyant humblement portée par une mission moralisatrice, ou que celui d’une jeune Française nue dans la nature d’une plage qu’elle perçoit comme l’incarnation du Paradis de Dieu. Cependant que l’intention cachée du politicard moralisateur de la laïcité pourrait rester lettre morte aux yeux de Dieu si, dans son dessein de conserver le pouvoir, il se croyait obligé de semer la zizanie entre Français de souche et ceux issus de l’immigration.
Nudité intentionnelle d’un acte certes immoral mais encore supérieur de la jeune fille en bikini dont le dévêtissement l’emporte en bienfaits aux yeux de Dieu sur le travestissement moral d’une intention immorale, que la burqa de la haine et du repli identitaire semble revêtir de sens dans cette France post-Nice. Travestissement honteux sous couvert d’une morale républicaine et laïque, visant à préserver la nation contre le communautarisme, mais qui, de fait, en creuse les tranchées chaque jour davantage, pour des objectifs de passage en force ou de pouvoir sans partage.
Dr Arab Kennouche
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