Gilles Perrault : «Hassan II a voulu me corrompre et ce qu’ont fait les journalistes Laurent et Graciet est misérable !»
Lors du reportage réalisé par France 3 et dont Algeriepatriotique s’est fait l’écho dans un précédent article, en axant sur l’intervention éhontée de Jack Lang, l’auteur de Notre ami le roi a également été sollicité pour dire ce qu’il sait sur la mafia qui règne au Maroc. «La réalité que je décrivais était tellement éloignée de l’image d’Epinal qu’on donnait du Maroc, que c’était tout à coup un royaume épouvantable avec des mœurs médiévales – enfin et encore, c’est injurier le Moyen-âge que ça –, c’était tellement éloigné que les gens ont été saisis et je me souviens même des journalistes qui m’interviewaient qui me disaient : « Est-ce que vous n’avez pas un peu forcé la dose ? Tazmamart, ce n’est pas possible ! », et vous aviez, au même moment, Hassan II qui disait : « C’est de la pure imagination, Tazmamart n’a jamais existé ! »», se rappelle l’écrivain français.
«Les politiques n’ont pas aimé la sortie de mon livre. J’ai été taxé d’irresponsabilité», a révélé Gille Perrault en parlant, sans doute, du ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang – encore lui. La classe politique française accusait l’écrivain incorruptible de «faire bon marché des 25 000 Français qui travaillent au Maroc». «Pour une croisade pour les droits de l’Homme, vous flanquez en l’air des choses importantes du point de vue économique, du point de vue politique», avait-on reproché à Gilles Perrault en France. Sur ces entrefaites, Hassan II dépêchait son ministre de l’Intérieur à Paris pour appeler les autorités françaises à «clouer le bec» à cet auteur «bavard» qui a trop vu. Driss Basri fut reçu par Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur sous Mitterrand, et l’a informé que le Makhzen était au courant qu’un livre allait paraître, soulignant, au passage, que celui-ci allait «nuire énormément aux bonnes relations» entre le Maroc et la France.
Selon Gilles Perrault, le Makhzen avait laissé entendre que le livre ne devait pas paraître car «ce serait très dommageable». Gilles Perrault révèle, alors, comment – encore une fois – le Makhzen a proposé de corrompre l’auteur de Notre ami le roi et son éditeur pour jeter le livre, fruit de plusieurs années d’enquête, à la poubelle. Ce à quoi le ministre de l’Intérieur français a répondu : «Gallimard (l’éditeur de Gilles Perrault, ndlr), c’est le pilier de l’édition française ; ça m’étonnerait que ça marche. Quant à Perrault, je le connais, il a très mauvais caractère, je vous conseille de ne pas aller le voir, ça se passera forcément mal». Autrement dit, Pierre Joxe avait éconduit son homologue marocain de manière diplomatique.
«La tentative s’est arrêtée là», a affirmé l’écrivain qui a fustigé les journalistes français Eric Laurent et Catherine Graciet pour avoir accepté de toucher 80 000 euros contre l’annulation de la publication d’un livre critique sur Mohammed VI. «Ils (les deux journalistes, ndlr) ont accepté de se laisser acheter et c’est fini, le mal est fait !», a regretté Gilles Perrault. «Le régime (marocain) dit : «Vous voyez, ces Français qui viennent nous faire la leçon, on les achète avec une enveloppe pleine de billets de petites coupures. C’était misérable. Le journalisme français est dévalué. Nous perdons toute crédibilité et pour un temps», a déploré ce grand journaliste d’investigation.
Gilles Perrault refuse que le terrorisme soit une excuse pour épargner le régime corrompu de Rabat, sous le prétexte fallacieux que le Maroc aiderait la France dans le démantèlement des filières djihadistes : «Bien sûr qu’il y a le terrorisme, bien sûr qu’il faut lutter contre le terrorisme, évidemment, mais tout de même, on ne peut pas laisser faire n’importe quoi au nom de ces trucs», a contesté l’écrivain. Gilles Perrault, dont le livre avait conduit à l’annulation de la manifestation L’année du Maroc en France prévue cette année-là, n’a pas pu se retenir de faire part de son dégoût devant le «spectacle de ces riches qui sont toujours plus riches, tandis que les pauvres sont toujours plus pauvres» au Maroc.
Karim Bouali
Comment (38)