Crise : l’incapacité des politiques économiques
Par Abderrahmane Mebtoul – D’une manière générale, les thérapeutiques sur les perspectives de sortie de la crise sont contradictoires entre les partisans de l’orthodoxie monétaire et les partisans de la relance par le déficit budgétaire. Ainsi, la grande majorité des économistes s’accorde aujourd’hui sur la nécessité d’asseoir la macroéconomie sur des fondements microéconomiques. «Les économistes sont mal armés pour analyser le systémique et les phénomènes d’anticipation collective qui provoquent une crise», reconnaît Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis.
Encore que la crise a modifié les comportements par une prise de conscience que la boîte à outils doit changer, que les modèles mathématiques ne permettent pas de prévoir les crises, les économistes devant avoir une approche pluridisciplinaire et travailler plus avec les sociologues et les spécialistes de l’opinion. Pour l’Américain Paul Krugman, néo-keynésien prix Nobel d’économie, «les gouvernants et les économistes sont désemparés faute d’un nouveau modèle tenant compte de la complexité du monde actuel». Ces conflits des doctrines ayant des impacts sur les politiques économiques sont résumés par Nouriel Roubini, professeur d’économie à l’université de New York, qui redoute qu’un retour prématuré à la discipline budgétaire n’étouffe la reprise économique qui s’amorce, le problème des dettes publiques excessives n’étant pas la solution.
Il part d’une analyse poussée des différentes doctrines économiques entre les «keynésiens», les «marxistes», les «néo-libéraux», mettant en relief une profonde divergence de la théorie économique face à la crise, interprétant chacune les événements économiques d’après sa conception de l’homme et du monde et de conclure, je le cite : «Seule une méthode globale permet de comprendre la crise. Il nous faut déposer notre idéologie au vestiaire et considérer le problème calmement. Les crises peuvent prendre des formes très diverses et ce qui est adéquat dans une situation déterminée peut ne pas fonctionner dans une autre.» Pour preuve de cette mésentente entre les économistes, des propositions qui ne s’attaquent pas à l’essentiel lors des différentes réunions du G20. Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz estime que ces actions ne sont qu’une solution à court terme, les comparant à «une transfusion sanguine massive à une personne souffrant d’une grave hémorragie interne».
Comme le note avec pertinence l’économiste Jean Marc Vittori dans les Echos, «la dette fait des trous partout, dans les comptes des entreprises, des particuliers, des Etats. Nous nous comportons comme un malade qui sortirait de l’hôpital juste après avoir réchappé d’un infarctus, sans avoir changé ni son régime alimentaire ni son mode de vie, sans même avoir fait les examens nécessaires pour vérifier qu’il ne court plus de risque à court terme. Nous n’avons pas tiré les leçons de la crise. Au risque de subir très vite un choc encore plus grand».
Urgence de nouvelles institutions et d’une nouvelle régulation mondiale
L’émergence d’une économie et d’une société mondialisées et la fin de la guerre froide depuis la désintégration de l’empire soviétique remettent en cause la capacité des Etats-nations à faire face à ces bouleversements. Les gouvernements à travers les Etats-nations – et la crise actuelle en est la démonstration –, sont désormais dans l’impossibilité de remplir leurs missions du fait de la complexification des sociétés modernes, de l’apparition de sous-systèmes fragmentés, de l’incertitude liée à l’avenir et de la crise de la représentation politique, d’où l’exigence de s’intégrer davantage dans un ensemble plus vaste pour pouvoir répondre aux nouvelles préoccupations planétaires.
Se pose donc cette question : les institutions internationales telles que le FMI ou la Banque mondiale, les organisations multilatérales telles que l’OCDE et les organisations à vocation universelle comme les Nations unies et ses organes subsidiaires (Unesco, FAO…) peuvent-elles servir de régulation mondiale ? En l’absence d’institutions internationales réformées tenant compte des nouvelles mutations mondiales et notamment des pays émergents, capables de prendre le relais de la souveraineté étatique défaillante, le risque est que le seul régulateur social demeure les forces du marché à l’origine d’ailleurs la crise mondiale actuelle. Ce qui explique la position officielle de la majorité des pays de l’Afrique, demandant l’élargissement du G20 (ce continent étant représenté uniquement par l’Afrique du Sud) et au niveau des instances onusiennes pour une meilleure démocratisation du système des Nations unies, en réclamant deux sièges permanents avec droit de veto au sein du Conseil de sécurité.
L’actuelle crise financière est, me semble-t-il, une crise de confiance, une crise de régulation, mais aussi une crise morale due à l’opacité des flux financiers. Cette régulation mondiale est rendue d’autant plus urgente avec cette financiarisation accrue, car il s’échange chaque jour des milliers de milliards de dollars de devises sur les marchés des changes, trois fois plus qu’il y a une décennie, selon l’enquête triennale publiée par la Banque des règlements internationaux. Nous assistons à l’entrée du dollar australien, le won coréen, la lire turque, la roupie indienne, ces monnaies qui progressent, au détriment du billet vert et l’introduction du yuan chinois sur ce marché dans un proche avenir devrait entraîner de profonds bouleversements.
Aussi, selon la BIRD, si le marché des changes a été relativement préservé dans la crise récente, il pourrait en être tout autrement dans les prochaines années, les régulateurs financiers devant mieux surveiller les «non-banques», les «hedge funds» et autres acteurs de plus en plus actifs sur les marchés des changes, la supervision financière britannique ayant révélé sa profonde inefficacité. L’objectif stratégique est de repenser tout le système des relations économiques internationales et notamment le système financier mondial issu de Breeton Woods en 1945 en intégrant le défi écologique.
A. M.
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