Lettre du philosophe Mezri Haddad à Robert Ménard : du droit-de-l’hommisme flamboyant au racisme crasseux
Il n’y a pas si longtemps, cette «petite caste politico-médiatique» que tu fustiges aujourd’hui, tu en faisais bien partie. Tu en étais même la coqueluche vénérée, l’une des figurines parisiennes les plus emblématiques, lorsqu’en maître absolu, tu régnais sur Reporters Sans Frontières comme certains autocrates arabes ou africains gouvernaient leurs peuples. Cette «meute médiatique» ne te dérangeait pas outre mesure lorsque tu en étais le loup dominant. Dans toutes les actions que tu as menées contre les Etats dits prédateurs de la sacro-sainte liberté d’expression dont tu avais usurpé le leadership, toutes les télévisions, toutes les radios, l’ensemble de la presse écrite, la classe politique de droite comme de gauche relayaient ta catéchèse droit-de-l’hommiste et ta gnose hautement humanitaire.
Que s’est-il donc passé depuis pour que ta métamorphose indigne tes ex-frères gauchistes et trotskistes, et indispose même tes nouveaux amis du Front national ? En si peu de temps, tu es passé avec armes et bagages du droit-de-l’hommisme le plus flamboyant au racisme le plus crasseux.
Autrefois, lorsque tu étais l’inamovible secrétaire général de RSF que tu as subtilisé à deux authentiques intellectuels et militants des droits de l’Homme, Jean-Claude Guillebaud et Rony Brauman, tu comptais chez l’Arabe et chez l’Africain le nombre d’atteintes à la liberté d’expression, et te voilà aujourd’hui recyclé dans le comptage des têtes d’enfants arabes et africains dans les écoles publiques françaises.
Mais était-ce bien un passage, un reniement idéologique, une reconversion politique, ou juste un retour aux sources refoulées ? «Etre Français, c’est être blanc», as-tu affirmé dans la matinale de LCI, le 5 septembre dernier, en ajoutant que «dans une classe du centre-ville de chez moi, 91% d’enfants musulmans, évidemment que c’est un problème, il y a des seuils de tolérance». Et lorsque choqués et indignés, certains de tes ex-confrères t’ont critiqué, tu as eu l’outrecuidance de préciser : «J’ai simplement rappelé que les Français étaient, majoritairement et historiquement, européens, blancs, catholiques. Difficile, du point de vue historique, de contester cette affirmation. Mais qu’importe pour ces messieurs-dames de la petite caste politico-médiatique».
Pour celui qui te connaît si bien et qui avait croisé le fer avec toi parce qu’il défendait la souveraineté de son pays et dénonçait les islamo-fascistes dont tu étais l’avocassier médiatique, cette phrase sur les Français blancs n’est ni nouvelle ni surprenante. Lorsque tu étais encore fréquentable chez la «caste politico-médiatique» et redoutable pour les autocrates, et que tu te faisais passer pour le gladiateur de la liberté d’expression chez les Arabes et chez les Africains mais jamais en France, où cette liberté n’était pas moins menacée, tu écrivais : «Le fait d’être blanc protège et permet de s’attaquer à des personnalités intouchables. C’est de l’ingérence assumée, certains diront du néocolonialisme. Qu’importe… L’essentiel est que nous parvenions à nos fins»(1). Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité, disait Cocteau !
Depuis 2011, ces fins sont largement atteintes. En Irak, en Syrie et en Libye, il ne s’agit plus de liberté d’expression mais de survie face à la barbarie qu’on ne peut qualifier que d’islamo-fasciste. En Tunisie, le seul pays qui aurait réussi son «printemps arabe», tes anciens amis islamistes sont au cœur du pouvoir(2). L’un d’entre eux, Ali Larayedh, dont tu avais fait le fer de lance contre l’Etat tunisien sous le prétexte fallacieux qu’il était journaliste alors qu’il n’était qu’un dangereux comploteur, est même devenu Premier ministre au pays de Bourguiba. Outre le Maroc, le seul pays dans la région qui résiste encore au fléau islamiste est l’Algérie, que tu as pourchassée de ta Némésis en étant le mégaphone de l’odieuse interrogation, «qui tue qui en Algérie ?» : «A propos de certains assassinats, ou de massacres non élucidés, nous nous interrogeons sur les commanditaires, tant il nous semble évident que de lourds soupçons pèsent sur les forces spéciales», écrivais-tu en reprenant mot pour mot le communiqué du FIS et la propagande du GIA(3).
«Et maintenant, qui tue qui à New York ?» écrivait l’homme d’Etat algérien Sid-Ahmed Ghozali, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, que les Américains viennent de commémorer. Et maintenant, qui tue qui à Charlie Hebdo, à l’hyper cacher de la porte de Vincennes, au Bataclan, à Nice, à l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray… ? Nous savons désormais que celui qui égorgeait en Algérie est sorti du même moule idéologique que ceux qui ont commis les plus abominables crimes en Syrie, en Irak, en Libye, en Egypte, en Tunisie, au Nigeria, en Mauritanie, au Tchad… et à Saint-Etienne-du-Rouvray.
Le droit-de-l’hommisme est aux droits de l’Homme ce que l’islamisme est à l’islam : une altération de l’éthique, une subversion de l’essence, une religion séculière et fondamentalement totalitaire que certains gouvernants libéraux ou progressistes ont laissé proliférer en France par électoralisme ou par lâcheté. De ta crise anarchiste à ta phase trotskiste, en passant par ta resocialisation socialiste, toute ta vie tu as couru derrière les droits de l’Homme pour attraper le pouvoir. Et lorsque, fort de ton entrisme que tu as hérité de Léon, tu as conquis la confiance de Jean-Marie, et que le Front national a fait de toi son proconsul à Béziers, tu as voulu montrer à tes mentors qu’en matière de jusqu’au-boutisme raciste, tu pouvais être plus royaliste que le roi. Mais tu devais te douter que le Front national expurgé, revu et corrigé par sa nouvelle direction ne devrait pas plus compter dans ses rangs et parmi ses militants de xénophobes et d’antisémites que le parti «progressiste» au sein duquel tu avais milité, ou «libéral» que tu voulais rejoindre, avant de prendre l’itinéraire bis du Front national.
Par tes invectives réitérées et tes stigmatisations effrénées des Arabes et des Africains, tu n’as pas seulement confondu tes ex-compagnons de route et jamais de doute, à savoir les permanents de la révolution permanente, les socialistes, les écologistes, les philo-islamistes, la FIDH, la LDH, RSF, ATTAC…, mais tu as indisposé les plus réactionnaires de l’ultra-droite. Le gaullisme et le catholicisme dont tu te réclames aujourd’hui par imposture et démagogie ne peuvent en aucun cas servir de paravent à ta casuistique nauséabonde.
Si, dans le contexte de la guerre d’Algérie (1959), la phrase de De Gaulle sur le «peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne» est parfaitement authentique, l’auteur de l’appel du 18 juin 1940 ne croyait pas moins à l’universalité de la vocation et de l’humanisme français. Le 18 janvier 1942, de son exil londonien, il adressa ce message à «la France musulmane qui, du Niger à Casablanca, pendant la guerre de 1914-18, a grandement contribué à la victoire de la France, est –nous en sommes sûr – restée française de cœur aux pires heures de la présente guerre et le moment venu, ne manquera pas de contribuer de toutes ses forces et avec tous les patriotes français à la libération de la France toute entière».
Dans un autre message, le 18 mars 1943, il évoqua la «constante et affectueuse fidélité des populations musulmanes qui font leur devoir et de la France traditionnellement unie à l’islam». Quant à la morale chrétienne, sa quintessence se trouve au cœur même des Evangiles : «Il n’y a ici ni Grec ni juif, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni Scythe, ni esclave ni libre, mais Christ est tout et en tous.» Maxime hautement éthique et humaniste dont on trouve l’équivalent dans ce hadith oublié ou occulté par mes coreligionnaires musulmans : «Les hommes sont égaux entre eux comme les dents d’un peigne, pas de différence entre un blanc et un noir, entre un Arabe et un non-Arabe, si ce n’est par leur degré de piété.»
Si la morale chrétienne avait un sens pour toi, tu devrais d’abord l’appliquer dans tes rapports à ton prochain, y compris à ton équipe municipale dont il ne reste a priori plus personne. Et pour cause, tes arguments vraiment frappants ne diffèrent guère du «dialogue» entre caïds de banlieues(4).
Si la liberté d’expression dont tu t’es fait le chantre avait un sens pour toi, jamais le maire que tu es devenu n’aurait traité la presse locale de façon aussi stalinienne.
Si le combat contre le communautarisme en général et l’islamisme en particulier avait un sens pour toi, tu n’aurais jamais accepté de te mettre au service de l’émirat qui en est le pourvoyeur financier et doctrinaire(5). Ce combat des Lumières contre l’obscurantisme, de la démocratie contre le terrorisme, de l’intégration contre le communautarisme est bien trop précieux et vital pour qu’il soit abandonné à ceux qui transpirent le racisme et soufflent sur les braises de la discorde et de l’affrontement culturel et religieux.
Visionnaire et bien français, c’est le général de Gaulle qui disait que rien de pire ne peut arriver à une nation si ce n’est la guerre civile.
Mezri Haddad
Philosophe et directeur du Centre international de géopolitique et de prospective analytique (CIGPA)
(1) Ces journalistes que l’on veut faire taire, éditions Albin Michel, 2001, p.138
(2) Nous refusons de hurler avec les loups, de diaboliser les islamistes, ibid, p. 82
(3) Ibid, p. 94
(4) Lucas Burel, Béziers : Robert Ménard de plus en plus isolé, L’Obs du 7 septembre 2016
(5) Robert Ménard (coauteur), Mirages et cheikhs en blanc, éditions du Moment, 2010
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