Rachid Adjaoud : le dernier témoin de la «Bleuite»
Le moudjahid et ex-lieutenant de l’ALN Rachid Adjaoud s’est éteint ce dimanche à l’âge de 79 ans. Il fut l’un des fidèles compagnons du colonel Amirouche avant de devenir son propre secrétaire. Même si Amirouche dut en avoir beaucoup depuis qu’il fut investi de ses missions à la tête de l’ALN en wilaya III. Le PC de wilaya avait son secrétaire qui était Tahar Amirouchene.
Originaire de Seddouk, situé à une quinzaine de kilomètres du village Ifri, Rachid Adjaoud a participé à la saisie des travaux du Congrès de la Soummam. Cet ancien officier de la Wilaya III raconte que c’est Amirouche qui dut le marquer le plus. Il décrit les circonstances dans lesquelles il a rencontré le célèbre colonel : «Pendant le Congrès de la Soummam, on devait souvent changer de village pour des motifs de sécurité. Un soir, alors qu’on marchait en suivant un sentier muletier, Si Amirouche était arrivé derrière nous. Me voyant chargé d’une dactylo et d’un poste radio, il me pose cette question : “Qu’est-ce que tu portes là ? C’est le poste radio de Si Mohand Akli”, me suis-je entendu répondre. Amirouche donne alors l’ordre de me décharger. “Il est trop jeune pour porter tout ça. Que chacun porte ses propres affaires”, ordonna-t-il. A ce moment-là, je ne savais pas encore à qui j’avais affaire. Je ne connaissais Amirouche que de réputation. Le lendemain matin, à la reprise du travail de rédaction, Amirouche fait encore irruption dans la pièce où l’on se trouvait, nous les rédacteurs. Il s’adressera à moi en me disant : “A partir d’aujourd’hui, tu restes avec moi.” Ayant ainsi rejoint le staff du colonel, je ne suis pas revenu à Seddouk après le Congrès de la Soummam.»
Dans son témoignage, il ajoute : «Les rapports que j’entretenais avec le colonel Amirouche étaient ceux de simple djoundi avec un officier supérieur mais des relations fraternelles, non pas conjoncturelles, mais bien fraternelles, depuis que je l’ai connu, étant jeune, au Congrès de la Soummam jusqu’à la fin. Et j’ai été extrêmement blessé quand on a voulu porter atteinte à la notoriété et l’intelligence de Si Amirouche.
On ne touche pas aux morts. Comment laisser faire de telles atteintes à la mémoire des hommes braves qui ont tout donné à leur pays ? J’ai été au maquis avec le colonel Amirouche depuis 1956 jusqu’à son départ vers la Tunisie. Mais certaines personnes n’acceptent pas l’idée qu’une part importante de la Révolution se soit jouée dans la Wilaya III. J’ai des souvenirs et un grand respect envers les deux colonels, Amirouche et Si El Haouès, qui tombèrent bravement au champ d’honneur.»
Il réfute ainsi les critiques perfides et vénéneuses portées contre le colonel Amirouche sur sa présumée responsabilité dans les deux massacres ayant terni l’image de la Révolution en Kabylie, à savoir «la nuit rouge de la Soummam» (1956), et l’affaire dite Mellouza (1957).
A propos de la «Bleuite», orchestrée par le capitaine Alain Léger, chef du Ier Régiment de parachutistes étrangers, grand spécialiste de l’intoxication et de l’action psychologique, Rachid Adjaoud, dans un de ses témoignages, raconte que la jeune fille envoyée par l’officier français, répondant au nom de Rosa et surnommée «Matahari», a fini par tout avouer après avoir essayé de leurrer le commandement de la Wilaya III. Elle a affirmé au colonel Amirouche qu’elle s’est évadée de la prison de Barberousse en escaladant ses grandes murailles pour rallier les rangs de l’ALN. On raconte que c’est Rachid lui-même qui réussit à la faire tomber, en jouant sciemment la séduction, alors que le capitaine Léger, dans son témoignage à lui, parle d’une «séance de torture» à la limite du sadisme.
Après la découverte du complot, un «comité d’épuration» fut ordonné par Amirouche, il sera conduit par Rachid Adjaoud et le terrible capitaine Hacène Mahiouz, assistés de H’mimi Oufadel (commandant Si H’mimi) et Mohand Oulhadj, successeur d’Amirouche à la tête de la Wilaya III.
«Mohand Oulhadj a été très peiné par l’affaire de la “Bleuite” mais il fallait à tout prix épurer les rangs de l’ALN», dira Rachid Adjaoud. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît, à commencer par les colonialistes, que le complot des «Bleus» était la riposte de l’ennemi à l’opération «Oiseau bleu» en 1955, génialement retournée par Krim Belkacem.
Rachid Adjaoud a publié ses mémoires intitulées Le Dernier Témoin, parues en 2014. Il occupa pendant longtemps le poste de directeur d’hôpital et fut membre du Comité central du FLN et député de la wilaya de Béjaïa dans les années 1980.
R. Mahmoudi
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