Une contribution du Dr Arab Kennouche – Soummam, vallée des martyrs inoubliables
L’annonce du décès du grand moudjahid Rachid Adjaoud retentira encore longtemps dans le fond de la vallée de Seddouk et sur les contreforts d’Ouzellaguen comme un rappel d’un combat épique de cette région d’Algérie contre les forces coloniales. En descendant de Béjaïa vers le sud, de Oued-Amizour à El-Kseur puis vers Sidi-Aïch, Seddouk jusqu’à arriver à Akbou, une chose saute aux yeux du visiteur peu accoutumé des lieux : les innombrables cimetières de martyrs dressés sur le flanc des collines ou jusque dans les bas-côtés de la route nationale. Dans cette vallée, les tombes de soldats retrouvés s’alignent comme des carrés de pierre à perte de vue, comme s’il était écrit que chacun de ces paysans kabyles devait déposer son âme dans le creux de la Vallée de la Soummam. Ici, point de monument aux morts, ils furent si nombreux à se sacrifier qu’une stèle serait presque ridicule, mais une atmosphère de lourde pesanteur comme si les derniers cris, les derniers râles n’avaient pas fini de se faire entendre.
Béjaïa la festive s’éteint progressivement à mesure que l’on remonte le fleuve Soummam jusqu’aux portes de fer (Bab El-Hadid), ouvrant la route vers Bordj Bou-Arreridj et le Constantinois. La Soummam a donné ses meilleurs fils à la Révolution : des villages entiers disparurent sous les coups de boutoir de l’armée coloniale. La disparition de Rachid Adjaoud rappelle encore à nos mémoires comment les deux versants de la Vallée furent unis dans le combat : le secrétaire d’Amirouche, paix à son âme, ne se doutait certainement pas que dans leur action commune, mettant en liaison des villages aussi éloignés les uns des autres, ils inculquaient au peuple une véritable leçon de patriotisme dans le sillage des Krim Belkacem et Abane Ramdane.
Seddouk sur le versant ouest, Ifri à l’est, puis Akbou, la Vallée de la Soummam sut embraser toute la Kabylie des Babors jusqu’au Djurdjura en constituant un maillon indestructible de la Révolution dans le plan de la Wilaya III, et contre l’architecture administrative de l’ordre colonial. A Seddouk Oufella même, repose désormais un autre grand nom du soulèvement contre les Français, Cheikh Belhadad. Amirouche, Adjaoud, et Belhadad représentent à eux seuls une période axiale de la lutte contre l’infamie du colonialisme dans un triangle géographique décrivant les confins d’une Soummam martyre. Les contreforts d’Achtoug où repose le grand Cheikh regardent les monts d’Ifri à l’ouest comme le berceau d’une lutte acharnée des Kabyles pour la libération nationale.
Mais la Soummam est demeurée authentiquement algérienne : dans le regard des gens, on lit encore l’honneur du sacrifice pour l’Algérie et l’amour de la modestie. Dans ces petits villages perdus de Béjaïa à Akbou, on a toujours honte de révéler ses propres faits d’armes ou même les tortures subies sous le joug colonial. Ici, la concentration de moudjahidine est phénoménale et la discrétion de mise. A l’image de ces cimetières sobres construits à la hâte par le FLN, et où les tombes transparaissent par leur disposition martiale, derrière le visage de ces vieillards ou vieilles femmes, se cache un ancien maquisard, qui porteur de nourriture, qui combattant acharné ou simple messagère, se rendent à grand-peine aux cérémonies commémoratives, honteux de devoir arborer ses faits d’armes. On n’a jamais assez montré ces gueules cassées de la Révolution qui, une fois le combat achevé, sont retournées à leurs durs travaux des champs comme si de rien n’était. Fiers de leur anonymat, ils sont la mémoire vivante, inexpugnable d’une guerre authentique, en dehors des livres d’«historiens» et des salons.
Feu Rachid Adjaoud fut un des leurs, une mémoire vivante portée par la ferveur révolutionnaire des anciens, tel Cheikh Belhadad et ceux qui allaient devenir les nouveaux lions de la Soummam. Qu’ils reposent désormais tous en paix dans le vaste Paradis de Dieu !
Dr Arab Kennouche
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