Belani : «Les sorties burlesques de Hilale sont l’illustration de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf»
Nous reproduisons pour nos lecteurs l’entretien qu’a accordé l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles, Amar Belani, au mensuel Afrique Asie, dans lequel il répond aux «vaines gesticulations nourries de rhétorique inepte» auxquelles il ne faut accorder «ne serait-ce qu’une once d’attention».
Afrique Asie : Selon la presse officielle marocaine, l’ambassadeur du Maroc, Omar Hilale, a «croisé le fer et recadré fermement» de hauts responsables algériens lors du sommet des Non-alignés. Qu’en est-il réellement ?
Amar Belani : Ecoutez, les sorties burlesques de ce monsieur sont une parfaite illustration de la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, une plaisante allégorie sur le ridicule de la vanité narcissique. Il tente désespérément, à coups de pseudo « faits d’arme » dérisoires, de faire accroire à une bilatéralisation de la question du Sahara Occidental, alors que pour l’ensemble de la communauté internationale, il s’agit bien d’une question de décolonisation qui doit être menée à son terme conformément à la légalité internationale. Vous imaginez bien que les hauts responsables algériens ont mieux à faire que d’accorder ne serait-ce qu’une once d’attention à de vaines gesticulations nourries de rhétorique inepte.
Comment réagissez-vous aux conclusions de l’avocat général de la Cour de justice de l’UE (CJUE) sur l’accord avec le Maroc sur la libéralisation des échanges de produits agricoles et de la pêche ?
Comme vous le savez, l’Algérie n’est pas partie prenante dans ces procédures judiciaires et je crois savoir que les responsables du Front Polisario ont eu à s’exprimer sur ces conclusions de l’avocat général de la CJUE. Bien entendu, nous suivons avec intérêt l’évolution de ce dossier et je dois dire que ces conclusions doivent être appréciées, avant tout, sous l’angle du droit international et, qu’à ce titre, elles constituent une avancée majeure qui ne manquera pas de se refléter, d’une manière ou d’une autre, sur un positionnement plus cohérent de l’Union européenne sur la question du Sahara Occidental.
En effet, tout le monde devra prendre note des conclusions de l’avocat général de la Cour, M. Melchior Wathelet, publiées le 13 septembre dernier, dans lesquelles il s’est clairement prononcé en faveur de l’inapplicabilité des accords conclus par le Maroc avec l’UE sur le territoire du Sahara Occidental, en estimant qu’au sens du droit international, le Maroc n’exerce aucune compétence sur ce territoire et que sa souveraineté sur celui-ci n’est reconnue par aucun Etat au monde.
De fait, l’avocat général constate, et c’est un tournant, que le Sahara Occidental est, depuis 1963, inscrit par l’ONU sur sa liste des territoires non autonomes, qui relèvent de sa résolution 1514 (XV) portant Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Il ajoute dans ses conclusions que «l’Union et ses Etats membres n’ont jamais reconnu que le Sahara Occidental fait partie du Maroc ou relève de sa souveraineté», et que le droit international ne permet pas d’étendre le champ d’application d’un traité bilatéral à un territoire qui constitue une partie tierce par rapport aux parties au traité. Or, selon ces conclusions, le Sahara Occidental «constitue précisément un tel territoire par rapport à l’Union et au Maroc».
En fait, dans son argumentaire, l’avocat général de la Cour a fait preuve de cohérence en s’identifiant au consensus international et à la doctrine des Nations unies en matière de décolonisation. Il conclut sur cette base que le Sahara Occidental «ne fait pas partie du territoire du royaume du Maroc et que, par conséquent, les accords d’association et de libéralisation des échanges conclus par le Maroc avec l’UE ne lui sont pas applicables».
Mais l’avocat général a également appelé à l’annulation de l’arrêt du tribunal, chose dont se félicite le Maroc…
Il faut lire attentivement l’ensemble du document reprenant les conclusions de l’avocat général. C’est en partant du constat que l’accord d’association UE-Maroc – et tous les accords subséquents – ne s’appliquent pas au Sahara Occidental, car ce territoire non autonome, identifié comme tel sur les tablettes de l’ONU, échappe totalement à la souveraineté marocaine, que l’avocat général motive le rejet de l’arrêt du tribunal du 15 décembre 2015. Il estime, en effet, que le tribunal a eu tort de présupposer l’applicabilité de l’accord sur les produits agricoles et de la pêche au Sahara Occidental, alors qu’aucune disposition explicite dans cet instrument ne le prévoit. C’est, d’ailleurs, cette lecture qui fait dire à l’avocat général que le Front Polisario «n’est pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse», dès lors que l’accord ne s’applique pas au territoire contesté du Sahara Occidental.
Vu sous cet angle, l’avocat général a fait une lecture juridique de l’accord tel qu’il a été conclu, renvoyant aux quinze juges de la Cour de justice européenne la décision de vérifier l’existence ou non de pratiques d’Etat attestant l’application de l’accord au territoire sahraoui. A cet égard, un rapport factuel publié récemment par l’ONG Western Sahara Resource Watch révèle, preuves à l’appui, qu’au moins une transaction commerciale portant sur l’importation dans l’espace européen d’une cargaison d’huile de poisson, produite au Sahara Occidental, a bien eu lieu en violation du droit international et de la décision de la justice européenne du 15 décembre 2015, qui est toujours valable, car l’arrêt du tribunal n’a pas été suspendu.
Dans le cas d’espèce, la CJUE se trouve face à un exemple concret prouvant l’extension de fait de l’application des accords signés par l’UE au territoire du Sahara Occidental. Elle devrait, par conséquent, suivre l’avis de l’avocat général lorsqu’il estime que, dans cette hypothèse, «le tribunal a procédé à juste titre à l’annulation partielle de la décision contestée en ce qu’elle approuve l’application de l’accord de libéralisation au Sahara Occidental», et que le Front Polisario est habilité à contester la décision litigieuse.
Et au sujet de la représentativité du peuple sahraoui ?
S’agissant de la question de la représentativité du peuple sahraoui, l’avocat général de la Cour, tout en soulignant la responsabilité historique de l’Espagne en tant que puissance administrante du territoire, car l’Espagne n’avait pas le pouvoir de transférer l’administration de ce territoire à un Etat tiers sans le consentement des Sahraouis, n’a pas tenu compte de la spécificité et de l’interdépendance des questions inscrites dans le cadre du processus de décolonisation conduit par l’ONU. Lesquelles questions recouvrent de manière indissociable à la fois des aspects politiques, de respect des droits de l’Homme et de souveraineté des peuples colonisés sur les ressources naturelles de leurs territoires.
Pour toutes ces questions, le seul représentant légitime du peuple sahraoui auprès des instances onusiennes a été et demeure toujours le Front Polisario, partie au conflit et signataire de l’accord de cessez-le-feu de 1991. D’ailleurs, la configuration des négociations menées sous la médiation de l’ONU et reflétées dans toutes les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU, le prouve explicitement.
Au vu de tous ces éléments, qui balayent la fiction d’un Maroc «puissance administrante de facto» dont usent trop commodément certains responsables européens, l’avis de l’avocat général représente véritablement un important gain politique pour le Front Polisario, en ce qu’il le conforte dans son combat libérateur visant à permettre au peuple sahraoui, dont il est le représentant légitime et attitré, d’exercer pleinement et souverainement son droit inaliénable à l’autodétermination.
Il apporte également un démenti cinglant aux soutiens des thèses annexionnistes du Maroc qui tentent, à travers un discours trompeur, de dénaturer le mandat de la Minurso en projetant leur propre conception et leur lecture biaisée des résolutions du Conseil de sécurité. En témoigne le discours contradictoire du Maroc. D’une part, il plaide pour la préservation de l’intégrité et de l’exclusivité du cadre de négociation conduit par l’ONU, excluant ainsi l’implication de l’Union africaine ou de toute autre organisation dans ce processus, et, dans le même temps, s’arroge le droit de redéfinir unilatéralement et à son avantage, le mandat de la Minurso déployée, faut-il le rappeler, pour l’organisation et la supervision du référendum d’autodétermination. La Minurso devrait, selon les desseins nourris par ce pays et au regard des mesures unilatérales qu’il a prises en violation de ses obligations internationales, se transformer en un instrument destiné principalement à parachever sa soi-disant «intégrité territoriale».
Un mot de conclusion ?
Fort de l’éclairage de l’avocat général de la CJUE, l’Union européenne est appelée à adopter une position plus conforme à la légalité internationale, en veillant à faire respecter les décisions de la Cour. Cela vaut notamment pour l’accord de pêche qui inclut, comme chacun le sait, les eaux territoriales du Sahara Occidental, car il appartient à l’UE de s’assurer que dans la mise en œuvre des accords économiques avec le Maroc, elle ne prête pas assistance à une entreprise de spoliation des droits inaliénables de la population sahraouie sur ses ressources halieutiques et minières.
Par ailleurs, l’ambition proclamée de l’UE à assumer le rôle d’acteur global dans la région devrait s’illustrer, également, par une position plus affirmée en vue de restaurer le mandat de la Minurso et, surtout, pour engager fermement les deux parties, le Front Polisario et le royaume du Maroc, sur la voie des négociations directes, sans conditions préalables. Ceci, afin de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui pourvoie à l’autodétermination du peuple sahraoui, conformément à la légalité internationale.
Avec l’aimable autorisation d’Afrique Asie
(*) Le titre est de la rédaction
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