Une contribution de Chafia Mentalecheta – Rapatriement des corps : une vraie fausse bonne nouvelle
L’annonce d’un décès est toujours source d’une grande émotion chez la famille. En sus, quand le décès a lieu à l’étranger et qu’il est prévu le rapatriement de la dépouille, s’adjoignent des difficultés administratives et financières qui accentuent le désarroi des proches du défunt. Le rapatriement des dépouilles de nos compatriotes établis à l’étranger est donc un sujet sensible à traiter avec beaucoup de précaution, particulièrement à l’approche des échéances électorales. Il y a quelques années, l’Etat a tenté d’apporter une première réponse globale par l’intermédiaire de la compagnie d’assurances SAA, mais cette opération s’est soldée par un échec pour diverses raisons. Depuis 2012, les parlementaires représentant la communauté, toutes tendances confondues, ont régulièrement soulevé le problème du rapatriement des dépouilles dans l’hémicycle. Dans des conditions difficiles souvent liées aux intérêts partisans, un vrai travail collectif a été cependant amorcé pour apporter une réponse élaborée, réaliste et réalisable.
Sans avoir permis à la réflexion collective d’arriver à un consensus, un premier amendement a été retenu en décembre 2014 lors du débat sur la loi de finances de 2015, puis un deuxième amendement en novembre 2015 lors du débat sur la loi de finances 2016. Au résultat, qu’en est-il exactement ? Trois articles inscrits dans la loi de finances 2016 donnent une première lecture.
L’article 73 qui stipule que «les primes d’adhésion à l’assurance rapatriement de corps des ressortissants algériens résidents et assurés à l’étranger sont recouvrées au niveau des représentations consulaires algériennes à l’étranger à l’occasion de la délivrance ou du renouvellement des cartes d’immatriculation consulaires. Les modalités de rapatriement des primes d’adhésion à l’assurance et de mise en œuvre de ces dispositions sont définies par voie réglementaire».
L’article 91 qui stipule que «sont modifiées et complétées les dispositions de l’article 136 du décret législatif n° 93-01 du 19 janvier 1993 portant loi de finances pour 1994, modifié et complété par l’article 126 de la loi n° 14-10 du 30 décembre 2014 portant loi de finances pour 2015 et rédigées comme suit :
Art. 136. Est ouvert dans les écritures du Trésor un compte d’affectation spéciale n° 302-069 intitulé Fonds spécial de solidarité nationale. Ce compte retrace :
En recettes :
1/ 25% du produit de droit de timbre gradué sur les attestations d’assurance automobile
2/ Le produit des taxes de solidarité instituées par les lois de finances
3/ Les contributions volontaires de toute personne morale ou physique
En dépenses :
1/ L’aide financière de l’Etat au titre de la solidarité nationale
2/ Les subventions aux associations caritatives et celles à caractère social
3/ Le transfert des dépouilles avec un accompagnateur de et vers les régions éloignées du pays
4/ Le rapatriement vers l’Algérie des corps des personnes nécessiteuses parmi la communauté algérienne
Les modalités d’application du présent article sont fixées par voie réglementaire».
L’article 92 qui stipule qu’«il est ouvert dans les écritures du Trésor un compte d’affectation spéciale n° 302-144 intitulé Fonds de solidarité pour la communauté algérienne. Ce compte retrace :
En recettes :
– un droit est versé par tout ressortissant algérien établi à l’étranger de manière régulière, pour la délivrance d’une carte consulaire ou son renouvellement de manière régulière ;
– les dons et legs.
En dépenses :
– la prise en charge des frais de rapatriement des corps de ressortissants algériens établis à l’étranger de manière régulière et qui répondent aux conditions de cet article.
Le montant du droit pour la délivrance de la carte consulaire est déterminé par le ministre chargé des Affaires étrangères. Le ministre chargé des Affaires étrangères est l’ordonnateur principal de ce compte».
Ainsi, il existe désormais deux fonds qui prennent en charge le rapatriement des dépouilles. Le Fonds spécial de solidarité nationale pour le rapatriement des corps des personnes nécessiteuses parmi la communauté algérienne. Il est important de noter que ce fonds est alimenté par la solidarité nationale, c’est-à-dire par les citoyens algériens résidant à l’intérieur des frontières par l’intermédiaire de taxes diverses.
Aussi, il semblerait plus approprié de dire que les Algériens solidaires de leurs compatriotes résidant à l’étranger financent le rapatriement des dépouilles, l’Etat ici ne servant que d’intermédiaire. C’est financièrement plus vrai, symboliquement plus fort, et ça a le mérite de renvoyer à leurs incongruités les partisans du protectionnisme politique et de l’article 63 de la Constitution (article 51 dans l’avant-projet de révision de la Constitution). Mais au-delà des aspects sémantiques se posent trois grandes questions concernant l’application de cette disposition.
1/ A partir de quel seuil de revenu, une personne est définie comme «nécessiteuse» ?
2/ Qui va contrôler l’éligibilité au Fonds spécial de solidarité nationale ?
3/ La notion de résidence à l’étranger «de manière régulière» n’étant pas abordée pour émarger à ce fonds, les Algériens «sans papiers» sont-ils éligibles ?
Le fonds de solidarité pour la communauté algérienne qui devrait quant à lui s’intituler fonds de solidarité de la communauté algérienne établie à l’étranger, puisqu’il est globalement alimenté par les ressortissants résidant de manière régulière par l’intermédiaire d’une taxe sur la carte consulaire.
Là aussi, un certain nombre de questions se posent.
1/ Sur quels critères, le ministère des Affaires étrangères va-t-il définir le montant de la taxe consulaire ?
2/ La notion de revenus financiers n’étant pas abordée dans cet article, est-ce que cela veut dire que tous les Algériens sans distinction de niveau social sont éligibles à ce fonds ? Si oui, pourquoi faire émarger les personnes dites «nécessiteuses» sur le Fonds spécial de solidarité nationale ?
3/ Est-ce que l’éligibilité est systématique ou seulement sur demande de la famille ou des proches ?
4/ Quid des primes d’adhésion à l’assurance rapatriement de corps des ressortissants algériens résidents et assurés à l’étranger recouvrées au niveau des représentations consulaires algériennes à l’étranger à l’occasion de la délivrance ou du renouvellement des cartes d’immatriculation consulaires énoncées dans l’article 73 ? Si les ressortissants adhèrent à une assurance rapatriement, à quoi va servir la taxe sur la carte d’immatriculation consulaire ?
D’autres questions communes aux deux fonds de solidarité se posent.
1/ Au-delà de la collecte et de la redistribution des diverses taxes et des primes d’adhésion, l’Etat n’étant ni une société d’assurances ni une entreprise de pompes funèbres, comment va-t-il procéder ?
– Qui va être le souscripteur principal de la police d’assurance, l’Etat de manière globale ou chaque ressortissant individuellement ?
– L’Etat va-t-il signer directement une convention globale avec une société d’assurance après appel d’offres ? Marché de gré à gré ?
– Quelles vont être les clauses d’exclusion ?
– Sur quels critères les entreprises de pompes funèbres vont-elles être agréées ?
2/ Quels seront exactement les frais pris en charge ? Frais funéraires (rituel et cercueil), frais liés aux démarches administratives et consulaires réalisées par l’entreprise des pompes funèbres, frais de transport (ambulance du funérarium vers aéroport, avion, ambulance aéroport vers lieu d’inhumation), frais de transport d’un accompagnateur ?
3/ En France, concernant nos retraités plus communément appelés «chibanis», la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) peut participer au remboursement de la totalité ou d’une partie à hauteur de 2 286 euros sur présentation de facture de frais funéraires acquittées. L’Etat algérien va-t-il signer une convention avec l’Etat français pour récupérer ces capitaux et les réinjecter dans les fonds de solidarité ?
Cette liste de questions qui n’est pas exhaustive démontre la nécessité qu’il y a d’élargir la réflexion avant d’amender des lois de finances et se retrouver face à la difficulté de mise en œuvre. Toujours agir dans la précipitation au nom d’intérêts partisans au détriment de l’intérêt général y compris de l’intérêt de l’Etat nous met collectivement dans l’embarras.
La responsabilité de l’Etat est de garantir le contrat social, pas de prendre tout à sa charge d’autant qu’aujourd’hui nos moyens financiers ne sont plus les mêmes. A ce stade, il paraît donc un peu prématuré de faire des annonces intempestives qui semblent répondre à une commande politique doublée d’une fébrile communication préélectorale.
Cependant, si la mise en œuvre de ces dispositions légales est véritablement effective en 2017, il serait judicieux de créer un service dédié avec un personnel dédié au niveau de chaque consulat pour éviter les difficultés rencontrées lors de l’opération avec la SAA. Et en cas de souscription auprès d’une société d’assurances, il est utile d’attirer l’attention sur les clauses d’exclusion telles que définies actuellement dans les contrats d’assurance rapatriement des corps proposés par les assureurs afin que l’Etat use de ses prérogatives pour en lever certaines.
En effet, sont exclus du contrat, les décès :
– survenus en Algérie lors du déplacement de l’assuré(e) pendant la période d’effet du contrat ;
– consécutifs à un suicide ou à une tentative de suicide ;
– consécutifs à une maladie durant les trois premiers mois qui suivent la date d’effet de l’assurance ;
– consécutifs à l’usage de drogues, de stupéfiants et produits assimilés non ordonnés médicalement ;
– consécutifs à la participation volontaire du bénéficiaire à un acte de terrorisme ou de sabotage ; provoqués par la guerre étrangère. La charge de la preuve que le dommage résulte d’un fait provoqué par la guerre étrangère incombe à l’assureur ;
– provoqués par la guerre civile, les émeutes et les mouvements populaires, un acte de terrorisme ou de sabotage. La charge de la preuve que le dommage résulte de ces faits incombe à l’assureur ;
– provoqués intentionnellement par l’assuré(e) et ceux résultant de sa participation à un crime ou à un délit intentionnel, conséquence de sa participation volontaire à une rixe, à un pari ou à un défi, sauf cas de légitime défense ;
– survenant du fait des conséquences directes et indirectes d’explosions, de dégagements de chaleur ou de l’irradiation provenant de la transmutation de noyaux d’atomes ou de la radioactivité.
Si on peut comprendre l’existence de ces clauses dans le cas d’un reversement d’un capital conséquent à des héritiers, elles semblent inopportunes dans le cas d’un simple transfert de corps du lieu de décès vers le lieu d’inhumation. Entre autres, dans un monde où la violence fait rage, s’il est admis par tous que la dépouille d’un terroriste ne soit pas rapatriée vers l’Algérie, que la victime d’un attentat terroriste subisse le même sort relèverait de l’inconcevable voire de la double peine.
Pour conclure, l’Etat doit faire un effort conséquent de pilotage et de coordination des dispositifs de mise en œuvre des dispositions de la loi de finances 2016 afin que les engagements pris auprès de notre communauté établie à l’étranger se traduisent par des actes complets et concrets.
Chafia Mentalecheta
Députée de la communauté nationale établie en France
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