L’avocat du Polisario : «L’Union européenne a manœuvré en faveur du Maroc»
L’avocat du Polisario devant les juridictions de l’Union européenne, Gilles Devers, est longuement revenu sur les résolutions de l’avocat général Wathelet sur l’accord d’association UE-Maroc dont des médias pro-marocains s’escriment à donner une interprétation tout à fait tronquée.
Dans un entretien à Western Sahara Resource Watch, il explique que l’avis de l’avocat général est pourtant d’une limpidité indéniable. Il cite deux de ses résolutions : «L’Union et ses Etats membres n’ont jamais reconnu que le Sahara occidental faisait partie du territoire du royaume du Maroc ou relevait de sa souveraineté» (paragraphe 83). Comme le Sahara occidental demeure un territoire non autonome, les accords UE-Maroc ne lui sont pas applicables : le Sahara Occidental «constitue un tiers (tertius) par rapport à l’Union et au royaume du Maroc» (paragraphe 105). D’où le consensus qui s’en dégage : le royaume du Maroc n’a aucune souveraineté sur le Sahara Occidental.
L’avocat rappelle l’antécédent espagnol qui a amené l’ancêtre de l’Union européenne (la Communauté économique européenne, CEE) à inventer un «non-sens juridique» pour justifier l’annexion du Sahara Occidental dans les accords avec le Maroc, qui s’intitulait : «puissance administrative de facto», une notion qui «ne correspond à aucune catégorie juridique connue en droit international», fait remarquer Gilles Devers. Et d’enchaîner : «Aujourd’hui, il est très clair que le Front Polisario avait raison depuis le début. Malgré les manœuvres du Conseil et de la Commission, les constatations faites par la Cour internationale de justice dans l’avis consultatif rendu il y a quarante ans font plus autorité que jamais : le Maroc n’a aucune souveraineté sur le Sahara Occidental.» Mieux : en privant le Maroc des avantages économiques générés par son occupation illégale du Sahara Occidental, l’avis de l’avocat général ouvre la voie vers l’autodétermination.
Revenant sur les débats qui ont précédé la décision rendue par l’avocat général, Gilles Devers affirme que le Conseil et la Commission se sont lourdement appuyés sur leur théorie «de facto» dès lors qu’ils n’ont clairement pas convaincu l’avocat général. «Au contraire, dira-t-il, Wathelet estime que le Conseil n’explique nullement comment il serait juridiquement possible d’appliquer sur un territoire déterminé un accord conclu avec un pays sans reconnaître une quelconque compétence ou autorité juridique de ce pays sur ce territoire» (paragraphe 84).
Au sujet de l’«irrecevabilité» du Polisario, déclarée par l’avocat général, Gilles Devers explique que, dans son avis, l’avocat général juge que le Polisario, en tant que personne morale, a la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union» (paragraphe 143). Cet avis va plus loin que le tribunal, en considérant le Front Polisario comme un mouvement de libération nationale doté de la personnalité juridique internationale. Du coup, le Front Polisario ne peut être concerné par les accords UE-Maroc qui sont applicables uniquement au territoire marocain. Gilles Devers rappelle l’exemple du FLN algérien qui a eu à négocier avec la France tous les aspects économiques des accords d’Evian en tant que mouvement de libération.
Cela dit, l’avocat du Polisario reconnaît que le Maroc continue à bénéficier d’un traitement préférentiel conformément à l’accord commercial UE-Maroc qui fait que des produits sont toujours exportés du Saharo Occidental vers l’Europe. Dans ce contexte, estime l’avocat du Polisario, «il est plutôt artificiel de maintenir que les accords UE-Maroc ne sont pas applicables aux ressources naturelles sahraouies parce qu’ils ne peuvent pas, en droit, être applicables au Sahara Occidental».
Autre point controversé : le statut de puissance administrante du Sahara Occidental dont jouit toujours l’Espagne, conformément aux résolutions de l’ONU. Gilles Devers estime, à ce propos, que l’avocat général Wathelet «paraît ne pas tenir compte du contexte actuel de l’affaire», en ce sens que les Sahraouis ne pourraient plus compter sur une puissance administrante qui a «constamment failli pendant quarante ans».
R. Mahmoudi
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