Les intrigants va-et-vient du «frère musulman» Abderrezak Mokri chez Erdogan
Les voyages du président du Mouvement de la société pour la paix en Turquie sont devenus si fréquents qu’on est en droit de s’interroger sur les motifs réels de ses déplacements incessants dont il rend compte quotidiennement sur sa page Facebook. Cette semaine, encore, il a passé cinq jours à Istanbul – capitale mythique de la Porte-Sublime et fief traditionnel de l’AKP –, où il a représenté son parti à une série de conférences et de «séminaires» sur des sujets aussi divers que l’avenir du Moyen-Orient et la pensée islamique. Mais, le rendez-vous le plus important pour lui fut, sans doute, sa rencontre avec le vice-président de l’AKP et sa visite au parlement turc. Toutes ces activités sont officiellement organisées par le Forum de Kuala Lumpur, organisation satellite de l’Internationale islamiste, dont le siège central est justement à Istanbul. Mokri est notamment intervenu dans un colloque ayant pour thème «Les promoteurs de l’action palestinienne dans le monde», parrainé par l’organisation autoproclamée «l’Union mondiale des ouléma» qui a pour président d’honneur le prédicateur Youssef Al-Qaradawi, et qui était représenté à ce colloque par son adjoint.
Il y a quelques mois, une forte délégation conduite par Abderrezak Mokri, et composée d’une soixantaine de cadres du MSP, avait pris part à une rencontre des leaders politiques du monde musulman organisée en collaboration avec l’Institut arabe de Turquie. Outre la question palestinienne, cette rencontre internationale, à laquelle ont participé des partis islamistes venus de quarante pays, s’est penchée sur d’autres sujets, notamment l’évolution de l’islam en politique. En filigrane, les interventions se penchaient essentiellement sur la faisabilité de l’instauration de systèmes politiques à la turque.
Le remuant chef du MSP assume fièrement son allégeance au leader turc : «Notre admiration pour l’expérience d’Erdogan est sans limites et notre dévouement pour lui restera inflexible. Ce dont sommes fiers ! Les reproches que nous avons formulés à son encontre au sujet de sa réaction disproportionnée contre les partisans du mouvement Hizmet, suite au sinistre coup d’Etat raté (…) ne sont que l’expression de notre souci et de notre crainte pour cette expérience», écrivait-il en juillet dernier, en réponse à un article d’Algeriepatriotique mettant à nu ses contradictions au lendemain de la tentative de putsch ratée à Ankara.
Cette inféodation quasi organique au régime islamiste d’Ankara ne date pas d’aujourd’hui. Elle remonte à l’époque déjà où le MSP était au gouvernement. Depuis, la direction de ce parti n’a pas cessé de promouvoir une image idéale du modèle turc, «alliant démocratie et religion», qu’il rêve de reproduire en Algérie. D’où cette grande frustration ressentie par Mokri en voyant le parti «frère» marocain, et membre de la confrérie des Frères musulmans, le Parti de la justice et du développement (PJD) du Premier ministre Abdelilah Benekirane, remporter les élections législatives. Commentant les résultats des législatives marocaines, l’islamiste algérien estime que «le Maroc a su éviter le désastre qui a frappé certains pays arabes, grâce à cette méthode politique et civilisationnelle» (sic). «Si nos dirigeants, imbus de leur puissance et de leur pouvoir, ainsi que leurs courtisans, ne se ravisent pas, ils assumeront seuls la déchéance et les drames qu’endurera l’Algérie», avertit-il.
Le chef du MSP voudrait-il lancer un message codé, suggérant aux décideurs d’accepter une cohabitation avec les islamistes, à l’image de l’alliance du Makhzen marocain avec le PJD ? Cherche-t-il l’appui d’Erdogan pour ce faire ? Toutes les hypothèses sont admises dans le remue-ménage préélectoral actuel.
R. Mahmoudi
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