Le général à la retraite Toufik et les opportunistes : on achève bien les chevaux !
L’auteur de ces lignes a fait partie des nombreux citoyens sur lesquels s’est abattue la lourde main de la SM – l’ancêtre du DRS – après le coup d’Etat du 19 juin 1965. Certains pourraient en déduire qu’il est la personne la moins indiquée pour parler avec objectivité de la police politique. Il aurait été tentant, les yeux voilés par le ressentiment, de saisir l’occasion des attaques récurrentes contre le général Toufik pour régler de vieux comptes en faisant chorus avec ceux qui veulent charger la Sécurité militaire (quels que soit l’époque et le sigle : DGPS, DCSA, DRS) de tous les maux et de tous les échecs algériens depuis que cet important démembrement de l’ANP a été érigé en police politique par Houari Boumediene. Nous avons tenu, au moment où certains de mes compagnons et moi-même avons donné notre version des évènements que nous avons vécus, de ne jamais parler de ce qui s’était passé dans les sous-sols de quelques casernes d’Alger. C’était notre façon de dissocier l’ANP des violences de la structure de répression qu’un homme, fou de pouvoir a lovée, pour plus de dissuasion, au sein de l’armée.
Le général Toufik et l’ancien DRS n’ont évidemment aucune responsabilité dans les actes de la SM, version Kasdi Merbah. Réchauffer de vieilles vindictes, c’était se placer dans l’escadron, dont les rangs ont grossi avec le temps, des arlequins costumés pour l’hallali. Certains, les crocs aiguisés sur le marbre où le bon Lafontaine a gravé la devise du plus fort, avaient fait dans l’amalgame et s’en sont donné à cœur joie. On oublie de parler du rôle et des méthodes de la police politique depuis la réunion du CCE du Caire en août 1957 pour se focaliser sur les heurs et malheurs d’une personne.
Abdelhamid Brahimi ouvre le bal
Abdelhamid Brahimi, ancien chef de gouvernement de Chadli Bendjedid au milieu de la décennie 1980, longtemps auto-exilé à Londres, avait été le premier à ouvrir le bal. Il avait tiré à boulets rouges sur Toufik. Toufik n’était plus en charge de responsabilités. Il ne craignait plus sa réaction. «Toufik épluchait les pommes de terre et les carottes» (à l’époque, Brahimi, lui, faisait sans doute partie d’un premier collège de l’ALN exempt des tâches subalternes).
Toufik n’a pas été critiqué pour sa gestion particulière des crises nées des contradictions, des antagonismes, de l’arriération et de la propension à la violence d’une partie de la société algérienne, ou encore pour sa responsabilité personnelle dans le rebond et le maintien du système en place sous le prétexte que ce système est le seul garant de la stabilité du pays, mais pour sa prétention, selon ses détracteurs, à vouloir, dans l’ombre, régenter le pays par la manipulation…
Un ministre, hier tout fier d’étaler sa proximité avec Toufik, avait accusé soudain ce dernier d’avoir fabriqué des dossiers contre des personnes à des fins inavouables. Ce n’était donc pas la nécessité de restructurer un service pour le rendre davantage apte à son but et à sa fonction qui avait inspiré les changements, mais nous avait dit ce ministre, la colère d’avoir vu ce même service entreprendre des actions contraires à certains intérêts. Quand le désir de plaire à tout prix conduit aux pires maladresses ! Un autre, responsable de parti celui-là, n’en finit pas de rappeler à l’ancien chef hier tout puissant du DRS, la vieille et triste histoire du citron pressé. Certains ont la peau épaisse et dure. Et celui-là l’avait ainsi sans doute. Il se retrouva, quand sa saison passa, parce que citron quand même, dans la fosse à rebuts, vidé de sa substance. Les anciens parlent de bouc émissaire. Le rôle du bouc émissaire est d’être chargé à fléchir de tous les péchés du clan avant d’être mené à l’autel sacrificiel.
Le général Toufik, qui voit ses basques mordillés chaque jour un peu plus par les petites dents des créatures qu’il a lui-même usinées, peu méditer à loisir sur l’implacable logique du système qu’il a tant protégé.
Le summum de l’irresponsabilité
L’écumant responsable du FLN tient Toufik pour responsable de tous les drames qu’a connus le pays : l’attaque de Tiguentourine, les manifestations d’In Salah contre l’exploitation du gaz de schiste, l’affaire des moines de Tibhirine, les désordres de Ghardaïa, en un mot, l’auteur de tous les problèmes de l’Algérie.
Beaucoup s’offusquent, à juste raison, que des ministres, que des cadres applaudissent un discours irresponsable, un discours de règlements de comptes et de division. Les officiers issus de l’armée française ? Qui a nommé au poste de vice-ministre de la Défense Abdelmalek Guenaïzia, un des plus emblématiques des DAF ? Comment ose-t-il contredire le président de la République qui a rappelé à l’occasion du 5 Juillet ce qu’a fait l’ANP pour la sauvegarde de l’Algérie républicaine ? L’ANP n’était-elle pas commandée en 1992 par d’autres DAF ? Comment applaudir un homme qui dénie au commandant Azzedine, à Yacef Saâdi, à Zohra Drif, à Lakhdar Bouragaâ, entre autres grands patriotes, de s’exprimer sur l’état actuel du FLN ? Ou applaudir un homme qui affirme que l’instabilité vécue par Ghardaïa a été fomentée par les services ? C’est un outrage à tous les cadres, à tous les hommes, tous démembrements de l’Etat confondus, qui se sont investis pendant des années pour ramener la concorde entre les citoyens. Un homme qui laisse entendre que le drame de Tiguentourine a été provoqué ou facilité par les mêmes services ?
Personne n’a envisagé, avant d’applaudir, les conséquences de telles assertions : le retour de flammes dans la région du M’zab et les questionnements des chancelleries étrangères, surtout celles dont les ressortissants ont perdu la vie à Tiguentourine.
Saïdani et son parterre de clercs euphoriques savent-ils le bénéfice que vont tirer de leur show ceux qui, depuis des années, par les moyens de la désinformation ou de la justice internationale, veulent atteindre l’ANP à travers ses chefs à la retraite ou encore en activité ? Savent-ils que le général Toufik n’intéresse les lobbies des droits de l’Homme, les officines, les résiduels du parti défait et les excités de la compétence universelle qu’en tant que figure de proue des services qui ont tant donné pour la sécurité du pays et sa stabilité ? Saïdani a offert à tout ce beau monde ligué pour créer un foyer d’instabilité en Algérie des armes qu’ils sauront mettre en batterie. Les listes accusatoires sur lesquelles figure la fine fleur de notre institution militaire vont être réactivées.
Pendant des années, des hommes de bonne volonté – avocats, journalistes, représentants de la société civile, anciens combattants de la guerre de Libération et aussi militaires à la retraite – se sont mobilisés, dans l’anonymat le plus total, pour défendre leur pays et l’institution militaire. Ils ont lutté pieds à pieds, par leurs écrits, leurs témoignages, leurs actions contre les ténors de la désinformation anti-algérienne. Ils ont apporté un soutien non négligeable aux autorités officielles attelées à la tâche de préserver les intérêts et la stabilité de l’Algérie. Comment se faire entendre des autres quand la voix autorisée du secrétaire général du FLN prend à «contrepied» tous leurs arguments d’une façon aussi tonitruante ?
Au-delà du destin de Toufik, on peut parler, pourvu qu’on prête l’oreille aux échos qui parviennent de derrière toutes les façades des ONG «spécialistes» de l’Algérie et de certains parquets européens de désastre moral pour l’Algérie.
La nouvelle configuration
Avec le départ de Toufik, l’ère de la police politique toute puissante par la couverture de l’ANP est-elle vraiment révolue ? Beaucoup ne le croient pas. Un débat autour de cette question aurait intéressé les Algériens. Nul doute qu’avec la nouvelle configuration du commandement de cette structure à la tête de laquelle ont été placés des officiers engagés pour leur pays et expérimentés, les missions basiques de la SM (encore une fois, quel que soit son sigle) resteront les mêmes, mais les changements qui sont intervenus – c’est-à-dire qui dépend de qui – sont une excellente chose pour l’ANP, parce qu’ainsi, elle demeurera éloignée des tâches de police politique. Elle a déjà fort à faire sur le terrain. Elle le démontre tous les jours. Dire cela, ce n’est pas se positionner aux côtés de ceux qui se sont réjouis de l’opprobre jeté sur l’ancien chef du DRS pour d’autres raisons. L’atmosphère particulière qui a régné dans le pays après les déclarations outrancières de personnalités qui voulaient «régler son compte» à Toufik, avait faussé la bonne perception de la portée des mesures positives qui avaient été prises par le président de la République.
Les changements (de positionnement géographique) qui ont eu lieu, il y a quelque temps, au-delà des vraies raisons qui les ont motivées, auraient pu être l’occasion d’une réflexion globale pour évaluer l’impact sur le pays de la démarche imaginée et mise en œuvre par le pouvoir politique depuis 1962 et qui a consisté à impliquer l’ANP, dans une gestion policière de la société algérienne. Cela n’a pas été fait. L’arbre a caché la forêt.
Un chef innovant
Attentif aux grands équilibres de la société algérienne, «entremetteur» intelligent (au sens noble du terme), créateur de passerelles et de liens entre les différents acteurs de la vie politique algérienne, Toufik a été assurément un chef innovant à la tête du DRS. Son style et sa méthode n’ont copié en rien ceux de ses prédécesseurs. Kasdi Merbah a sévi à un moment particulier de l’histoire du pays. Houari Boumediene, son donneur d’ordre direct, ayant pris le pouvoir par le coup d’Etat et ne pouvant le garder que par la force, dans un moment où de grands acteurs de la révolution écartés par Ben Bella prétendaient revenir sur la scène politique, avait fait de la SM le bras frappant de son régime.
La nouvelle donne internationale, les changements au sein de la société algérienne, le multipartisme, la naissance d’une presse indépendante et pugnace, le développement des réseaux sociaux et la démarche prudente du pouvoir politique contraint de feindre la démocratie par l’artifice, ont contraint la police politique à s’adapter et à mettre en place des machineries soft. Les partis «champignons» maîtrisés par les quotas ou les strapontins, ceux ayant une assise dans la société, rebelles aux ukases, soumis à l’humiliation des délitements internes par l’action mercenaire de «redresseurs», les consultations contrôlées par le double fond de l’urne, les médias tenus en laisse par le robinet de la pub, à sec ici, goutte à goutte là-bas, plein débit plus loin, la vassalisation de la haute administration par la gestion des carrières, la dévitalisation de la société civile par l’angoisse de la sonnerie de l’aube (réminiscence de l’époque de la SM de Ferhat Zerhouni).
C’est cette ingénierie complexe et le style particulier de son maître d’œuvre qui ont fait le mythe de Toufik. Le déchaînement du terrorisme salafo-djihadiste a amené le DRS à disposer de ressources financières, humaines et matérielles pour faire face à l’offensive. Il est devenu, par la force des choses, une armée au sein de l’armée, ensuite, un Etat au sein de l’Etat. Toufik n’a jamais été ce que d’aucuns ont pensé (ou espéré) : une sorte de contre-pouvoir pouvant jouer les censeurs, les correcteurs ou les opposants dans un système dont il était l’un des concepteurs. Formaté dans la loyauté – plutôt que dans l’allégeance –, il est allé jusqu’au bout de sa logique, exécutant sans états d’âme son contrat. Le passage en force de 2008, auquel il a prêté main-forte, a été son non-retour. Bouteflika et Toufik, hommes de paix, avaient été rapprochés par la convergence des buts et la similitude de la démarche. Houari Boumediene agissait par l’exclusion et Kasdi Merbah veillait à tarir tout effet négatif, Bouteflika par le rassemblement et Toufik par la consultation et le dialogue, mettait en place la structure, les étages courants et la façade de l’édifice. L’Algérie des dogmes, des passions, des accès de colère cycliques et ravageurs et de la démesure en tout, doit être, selon le chef du DRS, régentée plutôt que gouvernée.
Pour certains peuples, la démocratie ne peut être que prudente et maîtrisée. L’ouverture débridée de la fin de la décennie 1980 a conduit à la guerre civile. Nul mieux que lui, et pour cause, ne savait la détermination, les moyens, les buts et les appuis extérieurs de ceux qui ont réussi, à un moment donné, à entraîner dans leur aventure criminelle, une partie de la jeunesse algérienne. Nul mieux que lui ne pouvait mesurer qu’elle aurait été le prix à payer pour une solution uniquement militaire. Dès lors, la démarche d’Abdelaziz Bouteflika ne pouvait que lui convenir. Sa proximité avec le chef de l’Etat était fondée sur la conviction qu’il fallait parier sur les efforts de ce dernier pour ramener la paix dans le pays. Il le soutiendra de toutes ses forces, quelquefois malgré les réticences de compagnons outrés par les propos satinés du Président en direction des «égarés». «Quand on veut ramener la paix, on utilise un langage de diplomate», se borne-t-il à répondre quand les ires alentour montaient crescendo.
Son parti pris le mènera à fabriquer une classe politique de «service» et une opposition utile, sans se rendre compte que le délitement moral des chargés de mission agira, par son effet soporifique, sur l’ensemble de la société au point de la rendre indifférente aux affaires de la cité. Distant et austère, probe et propre, il n’a été à l’écoute des citoyens que pour veiller à la case «RAS» (rien à signaler). Réservé et inaccessible, il n’intervenait jamais au bénéfice de quelqu’un, fût-il un compagnon de route, sauf une fois, quand il sera trop tard…
L’isolement d’un chef commence lorsqu’il ne sait pas défendre les siens. Cet homme en apparence froid qui désarçonne le vis-à-vis par le silence et la fixité du regard, avait pour les grands soldats de sa génération – les anciens comme il aimait à les appeler – beaucoup de considération, surtout pour celui, souvent présent sur la scène médiatique, dont il avait pu apprécier l’abnégation et le courage de la décision au moment des grands périls.
Mediene a su éviter à l’institution militaire, qui affrontait le déferlement terroriste, le piège de l’isolement en donnant à de nombreux citoyens et aux moudjahidine l’occasion de servir leur pays aux côtés de leurs jeunes frères de l’ANP. Le commandant Azzedine fut de ceux qui répondirent à son appel. Bouzegza et Zbarbar furent les lieux où El-Mekhfi, soutenu par Azzedine, infligea aux GIA leurs premières défaites. En évoquant les «14» par le ricochet de Toufik, et en les décrivant comme des marionnettes, Saïdani démontre son ignorance du poids et de la densité des liens qui unissent les gens de l’ALN à ceux de l’ANP. Il ignore leur attachement viscéral aux valeurs portées jadis par le FLN dont ils furent l’âme et la substance charnelle. Mais Saïdani ignore tant et tant de choses…
L’erreur du général Toufik au moment où, plus tard, voyant le Président affaibli par la maladie, il avait voulu mettre en place une alternative pour le plus grand bénéfice du pays, a-t-il cru, est de n’avoir pas accordé suffisamment d’importance à la nouvelle configuration du pouvoir au sommet ; pouvoir, malgré les apparences, plus que jamais robuste et imaginatif. Il n’a pas vu les raisons pour lesquelles cette nouvelle configuration ne pouvait pas être déconstruite. Ses adversaires ont pu craindre, à un moment donné, une résistance de sa part. C’était mal connaître l’homme. La stabilité du pays lui importait plus que son destin personnel. Le souffle et le soufre de la déflagration de 88 ont marqué sa vareuse d’une façon indélébile. Pour rien au monde il ne voulait revivre l’angoisse et les affres qui l’ont torturé lui et ses compagnons pendant ces journées de braises où le pays a failli basculer dans l’inconnu.
Le mythe
Sa discrétion et son humilité l’ont conduit trop longtemps à vivre à l’écart des tumultes. Il est devenu, dans l’imaginaire populaire, une sorte de sphinx, d’énigme, d’ombre tangible à l’entrée de la caverne au fond de laquelle bruissent les machineries mystérieuses et complexes du «système». Un «rab dzaïr» (Dieu de l’Algérie) doté de plusieurs bras, tel Kali la déesse hindoue de la transformation, de la préservation et du châtiment, autant de titres qui collent parfaitement à l’homme et à sa machine.
Ce mythe de Toufik, qui rejaillissait sur ses compagnons des autres corps de sécurité, fer de lance de l’ANP pour ses missions de sauvegarde de la stabilité du pays, faisait croire à beaucoup d’Algériens que quels que soient les périls, l’Algérie aura les moyens de rester debout.
Pour les Algériens, le DRS et son ancien chef, le DRS et ses chefs, tous ses chefs, au moment où les conséquences de la gestion hasardeuse de Chadli Bendjedid et de ses commis ont désarticulé le pays et l’ont placé à la merci des démagogues du FIS, le DRS a été le fer de lance des institutions républicaines de l’Etat qui ont, avec une extraordinaire abnégation, sauvé la République ; sauvé la République en répondant à la violence par des actions adéquates, sans jamais tomber dans le piège de la responsabilité collective ; sauvé la République, surtout par le choix délibéré de la persuasion et du dialogue avec ceux qui ont pris les armes contre leur pays.
Certains mythes tiennent un pays debout. Le vide, pour l’instant comblé par la main, le regard d’Abdelaziz Bouteflika, et par son charisme, peut-il devenir un trou noir aspirant, giratoire, toutes les aspérités à l’entour ? Ce chef, pourtant parfaitement averti des faiblesses, des égoïsmes et de la fragilité de la parole des hommes politiques, a semblé surpris par le manque d’égards et de gratitude de ceux qui lui doivent tant de choses. Les Algériens aussi.
Mohamed Makhdari
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