Une contribution du Dr Arab Kennouche – Les services secrets algériens «otanisés» ?
Les attaques répétées contre l’ancien responsable mythique du DRS, le général Toufik, ne seraient-elles que la partie émergée de l’iceberg d’un vaste plan de reconfiguration du système de sécurité nationale en Algérie qui augure, sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, d’une nouvelle ère de dépendance à l’égard d’autres services de renseignement ? On ne peut, en effet, s’empêcher de voir dans le nouveau «DRS» actuel, les mêmes procédures que celles qui, dans l’Hexagone, et suivant un livre blanc bien particulier, établi en 2008, avaient liquidé le Comité interministériel du renseignement français (CIR). Cette entité était anciennement placée sous la coupe du ministère de la Défense et du Premier ministre pour l’intégrer sous la responsabilité du président de la République, avec, à la clé, une nouvelle dénomination, le Conseil national du renseignement (CNR) et un nouveau personnage clé, le coordonnateur national du renseignement. En France, le livre blanc de la défense avait suscité à l’époque de grandes polémiques dans un contexte particulier d’intégration à l’Otan, conduite et décidée par Nicolas Sarkozy contre les derniers vestiges idéologiques du gaullisme encore en cours au sein de l’armée française.
L’«otanisation» des forces armées françaises devait mener à des réductions budgétaires drastiques et à un reformatage des grands corps militaires au profit de troupes réduites mais capables d’être projetées en un temps record, avec l’appui décisif du renseignement satellitaire. En taillant un nouveau costume sur mesure aux armées françaises, présentable pour réintégrer l’Otan, Nicolas Sarkozy, sous le couvert d’une «rationalisation» et d’une «professionnalisation» accrues, n’avait pas manqué de mettre sous verre les grands services de renseignement français, comme pour mieux s’assurer de la fin de l’autonomie gaullienne, dans le style le plus pur des services scandinaves agissant toujours «just behind», juste derrière la centrale américaine. Coordonateur en France, placé sous les ordres du Président, coordonateur en Algérie… placé sous les ordres du Président, également : la lettre de mission envoyée par le président Sarkozy le 23 juillet 2008 à l’ambassadeur Bernard Bajolet comporte des termes qui ne déplairaient pas aux idéologues de l’Etat civil («vous serez placé sous l’autorité du secrétaire général de la présidence de la République»). Etrange coïncidence qui devrait normalement nous interpeller, tout un chacun, sur les probables enjeux et conséquences d’une reconfiguration symétrique des services de Washington, Paris et Alger.
Autonomisation ou présidentialisation
Que l’on considère les questions de sécurité nationale comme étant du ressort d’un Etat profond déconnecté des joutes partisanes, des idéologies et des intérêts particuliers semble, a priori, tout à fait normal. Normalité que l’on explique par l’exigence d’un intérêt supérieur de la nation, d’où l’avantage à dépolitiser au maximum le fonctionnement de services de sécurité qui seraient mis à l’abri, de tout mandat électif, de toute incitation à la trahison nationale et internationale. Ce que l’on présente à tort très souvent comme un dysfonctionnement ou déficit démocratique sous l’appellation d’«Etat dans l’Etat», se révèle n’être, à la longue, qu’une nécessité absolue : plus le service est enfoui, dissipé dans l’Etat, et moins il a de chances de subir des pressions ou des attaques, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur.
Autonomie ne signifierait donc pas, péjorativement, émergence d’une police politique échappant à tout contrôle, mais préservation et optimisation des intérêts de défense nationale. C’est en enracinant la sécurité de l’Etat là où elle ne peut jamais être atteinte que l’on garantit l’immunité des grands systèmes de sécurité contre les aléas du pouvoir politique, dont les élections et les nominations, présentent le désavantage de donner corps à l’ennemi. Or, on assiste aussi bien en France, depuis Sarkozy, qu’en Algérie, depuis Bouteflika, a l’émergence d’une nouvelle forme dite «démocratisée» du fonctionnement des services de sécurité, qui viserait à une plus grande visibilité de leurs organes, soumis à un contrôle présidentiel par le biais d’un coordonnateur.
Livre blanc du renseignement ou Etat civil à la Saïdani, peu importe la formule consacrée, le modèle franco-américain semble avoir inspiré la présidence de la République algérienne qui voudrait ainsi mettre fin à la fameuse Sécurité militaire (SM) comme on avait tenté de liquider un jour la Stasi dans l’ex-RDA et la Securitate en Roumanie. Néanmoins, une telle architecture faisant du pouvoir politique mandaté le détenteur ultime des grandes fonctions de sécurité nationale n’est pas sans présenter de gros risques pour un pays comme l’Algérie, en voie de développement, et pièce fragilisée dans le grand jeu des puissances internationales habituées à manipuler des élections de l’extérieur.
La fin de l’Etat profond et l’alignement sur Paris et Washington
La décision de réformer le DRS pour des besoins fonctionnels cache le véritable enjeu politique d’une refonte qui n’en est pas une, puisqu’elle soumet directement la sécurité nationale aux diktats étrangers et aux turbulences de la scène internationale. Il suffira désormais qu’un Etat étranger puisse influer directement sur une élection présidentielle en Algérie pour que tout le système de sécurité en pâtisse durablement par la nomination de personnes rendues civiles et politiquement correctes, mais dont les attributions seraient énormes en termes d’impact sécuritaire. Et, en Algérie, comme ailleurs, il ne sera pas aisé de se soustraire à des obligations de désignation de coordonateurs de sécurité nationale qui répondent à un agenda étranger dès lors que la désignation du président de la République emportera conséquence sur toute l’architecture de la défense du pays.
En attribuant des fonctions exorbitantes à des personnes désignées par le fait de leur simple couleur ou allégeance politique, on ne fait finalement, sous couvert d’Etat civil, que placer les services sous orbite international, dans la pure tradition du commandement intégré de l’Otan qui, en définitive, place la CIA au-dessus du chapeau européen. L’enjeu n’est plus celui d’une simple synchronisation des activités des services occidentaux, mais bel et bien celui d’un chapeautage définitif, comme le sous-entendaient un groupe de généraux français dissidents en 2008, lors de la réintégration à l’Otan.
A ce titre, les sorties enragées du secrétaire général du FLN, Amar Saïdani, ne représenteraient que le préambule psychologique à une réduction forcée des appareils du DRS dont le laminage permettrait un couplage complet et définitif avec les grands services occidentaux, sous la bannière de la «lutte antiterroriste». Il ne serait donc pas improbable que le rôle de la France s’insère dans le cadre des grandes élections à venir en Algérie, législative en 2017 et présidentielle en 2019, dont on sait pertinemment qu’elles détermineront par le biais de mandats électifs présentés comme étant «démocratiques», la nomination du nouveau coordonnateur à la sécurité nationale algérienne, comme l’ont été en France Bernard Bajolet, Ange Mancini et d’autres dignitaires du renseignement «réformé» d’origine sarkozienne.
Serait-on donc en présence d’une forme préliminaire d’«otanisation» des services algériens ?
Dr Arab Kennouche
Comment (50)