Société – Les ravages de l’alcool en Algérie : bigoterie officielle et vente clandestine
Le traitement hypocrite de la vente et de la consommation des boissons alcoolisées à travers nos villes et villages provoque des effets pervers plus que dangereux pour la société. Les conséquences d’une prohibition qui ne dit pas son nom sont désastreuses. «Pour ou contre la consommation d’alcool ?», la question issue des turpitudes morales ou idéologiques des années du parti unique et de la montée en puissance des islamistes durant les années 1990, continue de diviser les Algériens. Non pas que l’intolérance au sein de la population ait repris le dessus, mais plutôt que les autorités affichent une hypocrisie flagrante dans leur appréhension du commerce de l’alcool. Combien de bars, de boutiques de vins et liqueurs ont été fermés par l’administration à travers le territoire national, ces dernières années, sans qu’on sache ce qui a motivé pareille éradication ? Une démarche anti-vente légale remarquable en matière d’efficacité comparée aux innombrables campagnes d’élimination des marchés de l’informel sans résultat. A Alger, Aâmi Tahar, ancien livreur à la retraite depuis longtemps, nous confie qu’il a compté le nombre d’estaminets et autres établissements servant de l’alcool qui ont mis la clé sous le paillasson : «Vous n’allez pas me croire, mais j’en ai recensé près d’une centaine !»
Activité clandestine
Alors, mouvement naturel d’une société plus pieuse qu’elle ne l’a été par le passé ou prohibition non dite ? C’est encore l’activité commerciale qui apporte sa réponse cinglante. Paradoxalement, des centaines voire des milliers de points de vente clandestins sur les routes secondaires, dans des échoppes discrètes des centres urbains, au fond de garages dont certains font partie du fameux programme présidentiel de «cent locaux par commune». «Les jeunes, beaucoup de mineurs et leurs aînés savent où s’approvisionner pour boire leurs bouteilles et canettes, sur place ou bien à emporter, au nez et à la barbe des censeurs de la direction du commerce et des services de sécurité», lance Zoheir, un trentenaire qui écoute les noms des bars disparus énumérés par le vieux Tahar.
Omerta administrative
Dans le couloir d’une direction de wilaya, nous rencontrons un fonctionnaire qui témoigne sous le sceau de l’anonymat. «On nous a fait comprendre que mis à part les grands hôtels publics, ou des chaînes étrangères implantées en Algérie, seuls quelques rares pistonnés peuvent obtenir le sésame qui permet la vente autorisée de boissons alcoolisées. A part la wilaya de Tizi-Ouzou où une sorte de tradition locale subroge à la tendance nationale, l’administration réprime la vente officielle de l’alcool et encourage de facto son commerce illégal.» Cercle vicieux connu aux Etats-Unis dans les années Al Capone tout comme en Algérie dans les années 1980. Tandis que l’importation ou la production locale ne semblent pas souffrir de la même interdiction insidieuse.
Pourquoi donc s’évertue-t-on à lutter contre l’activité régulière, soumise à toutes les contraintes de la loi protégeant le marchand, le consommateur et la société en général, pendant que se développe une délinquance autour de la vente illégale ? La multiplication des bars sauvages ne semble pas inquiéter les responsables. Pas plus que le grave préjudice causé par les canettes et bouteilles vides qui polluent les bords de routes ou les champs agricoles. En attendant la réaction des pouvoirs publics.
Akli Tira
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