Que fait l’envoyé spécial de l’islamiste tunisien Ghannouchi chez Ouyahia ?
Une délégation du mouvement islamiste tunisien Ennahda, conduite par le responsable des relations extérieures du parti, Rafik Abdesselam, ancien ministre des Affaires étrangères, se trouve actuellement en Algérie dans le cadre d’«une visite fraternelle» de deux jours, à l’invitation du RND, a indiqué un communiqué du parti. C’est la première rencontre publique entre ces deux formations, qui s’opposent idéologiquement, et il est très probable que le représentant d’Ennahda ait prévu des rencontres avec d’autres partis algériens au cours de son séjour. Si rien n’a filtré des entretiens entre les deux partis, plusieurs indices montrent que le parti de Rached Ghannouchi, qui n’est plus au pouvoir depuis 2014, mais qui compose avec Nidaa Tounes, est là pour une mission diplomatique bien définie, qui est certainement en rapport avec les relations entre Alger et Tunis, mais tout en cultivant ses propres desseins.
Cette visite intervient donc dans un contexte marqué par un sérieux refroidissement des relations entre les deux pays, notamment après les informations ayant circulé sur la présence de forces militaires américaines sur le sol tunisien. Bien avant, l’Algérie avait mal accueilli l’agitation du président tunisien pour se rapprocher de l’Otan et la promotion de son pays comme «allié stratégique» des Etats-Unis. Elle intervient aussi le jour même de l’adoption par le Conseil des ministres tunisien, sous la présidence de Béji Caïd Sebsi, d’«une stratégie de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme», en réponse aux menaces terroristes accrues dans ce pays, où un soldat a été tué la veille dans un attentat terroriste revendiqué par Daech.
Dans cette conjoncture, le mouvement Ennahda ambitionne de fédérer les partis islamistes de la région dans une sorte d’offre de service qui consiste à tenter d’isoler les groupes extrémistes qui se revendiquent des organisations d’Al-Qaïda et de Daech et qui attirent de plus en plus de Tunisiens. Sous cette optique, la visite du responsable tunisien peut contribuer à détendre l’atmosphère entre les deux pays, que les dernières assurances du gouvernement tunisien – notamment au sujet de la présence militaire étrangère, puis au sujet de la polémique suscitée par le scandale relatif à l’accueil réservé au Festival de Carthage à la délégation algérienne – n’ont pas réussi à dégeler.
Enfin, cette présence du porte-parole d’Ennahda en Algérie coïncide avec la préparation des élections législatives prévues dans cinq mois, qui verront la participation massive des partis islamistes proches de la mouvance des Frères musulmans et marquées par la désignation d’un islamiste à la tête de la Haute Instance de surveillance des élections. Un choix qui est interprété, par certains, comme un «gage de bonne volonté» de la part du pouvoir pour une plus grande transparence du scrutin, et par d’autres comme un geste à travers lequel les décideurs visent à intégrer plus d’islamistes dans le jeu politique, voire à composer avec eux.
En jetant son dévolu sur le RND, Rached Ghannouchi pense sans doute pouvoir transmettre un massage au président Bouteflika par le truchement de son directeur de cabinet et néanmoins secrétaire général de cette formation politique dont le chef est connu – pourtant – pour être un fervent défenseur de la lutte sans merci contre «les résidus du terrorisme» islamiste.
R. Mahmoudi
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