L’anthropologue et penseur Malek Chebel tire sa révérence
L’anthropologue et penseur des religions Malek Chebel tire sa révérence à l’âge de 63 ans. Ce natif de Skikda est décédé aujourd’hui à Paris des suites d’une longue maladie, comme annoncé par sa famille. Il sera inhumé demain, dimanche, dans sa ville natale, ajoute encore la famille dans un message posté sur Facebook.
Né en 1953 à Skikda, le défunt, qui a entamé son cursus universitaire en Algérie avant de poursuivre ses études à Paris, était connu pour sa réflexion sur l’islam et fervent défenseur de l’«islam des lumières». Véritable bête noire des islamistes radicaux, Malek Chebel a été l’auteur de plusieurs ouvrages. Il s’est distingué notamment par sa traduction du Coran et son interprétation qui lui ont valu les foudres des partisans de l’islam rigoriste.
Malek Chebel, qui a décroché dans les années 1980 un doctorat en psychopathologie, a écrit, entre autres Dictionnaire des symboles musulmans, Les Cent Noms de l’amour, Sagesse d’islam, Dictionnaire encyclopédique du Coran, Les Enfants d’Abraham, L’Islam expliqué et L’Islam et la Raison, le combat des idées. Il a été également très présent dans le paysage médiatique où il publie des analyses, notamment du comportement des musulmans, et explique la source de la radicalisation.
Intervenant souvent sur les plateaux de télévisions françaises, Malek Chebel combattait aussi bien l’extrémisme islamiste que le fascisme de l’extrême droite française. Dans une interview accordée à Algeriepatriotique, ce penseur, qui a marqué son époque par son regard audacieux et décomplexé sur l’islam, expliquait que «l’islamophobie est activée par des pulsions ancestrales». «Vous me dites : pourquoi les musulmans qui habitent ces pays ne réagissent-ils pas face aux salafistes ? Plusieurs éléments de réponse me paraissent indispensables pour expliquer l’invisibilité des musulmans en Europe et dans le monde non musulman. 1 – On ne leur donne pas la parole ; 2 – Ils n’ont pas de tradition critique et de réflexion indépendante ; 3 – Ils sont eux-mêmes insérés dans des processus économiques exigeants et n’ont pas le loisir de dégager du temps pour cette affaire ; 4 – Ils n’y ont pas réfléchi de manière argumentée et mesurée, ce qui les rend inaptes à la riposte méthodique ; 5 – La peur de prendre des coups, car s’exposer vous expose à votre tour ; 6 – La peur de déplaire à ceux des leurs qui n’ont pas fait de chemin critique», soulignait-il.
Aussi Malek Chebel estimait-il que les bouleversements qu’a connus ces dernières années le monde arabo-musulman n’étaient pas si mauvais que cela. « Je ne suis pas de ceux qui pensent que les printemps arabes ont échoué. Au contraire, je pense que ces manifestations ont permis de voir que la société arabe – ou arabo-musulmane – n’était pas une terre de glaciation, une terre figée et qu’il est impossible d’y faire vaciller les idoles. Eh bien, c’est possible ! Et c’est énorme. Pour autant, le manque d’organisation et surtout le surgissement précipité de ces phénomènes n’ont pas permis pour l’instant que la société civile et même politique puisse dégager des ressources humaines suffisamment bien orientées pour contrecarrer le dogmatisme religieux», assurait-il.
Malek Chebel avait toujours considéré que la séparation entre la politique et la religion est le point le plus crucial de la marche de l’islam vers la modernité. «Si nous n’arrivons pas à briser le lien entre ces deux univers, on ne fera bouger l’islam qu’à la marge. Cette séparation des deux corps est la condition indispensable pour faire évoluer le monde arabo-musulman, notamment sur le statut des femmes. Depuis le XVIIIe siècle, les musulmans des Lumières ont commencé à s’intéresser à cette question. Ils ont avancé sensiblement sur de nombreux dossiers, dont celui des femmes, mais aussi celui de la gouvernance», affirmait-il.
Malek Chebel plaidait pour l’islam de nos ancêtres, celui de nos grands-parents. Un islam apolitique.
Sonia Baker
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