Interview – Azouz Begag : «L’Algérie est le seul pays au monde qui pratique la hogra envers sa diaspora»
L’ancien ministre français d’origine algérienne Azouz Begag est très remonté contre une partie de l’élite française : «Ils ne nous aiment pas !» s’indigne ce fils d’émigrés originaires de Sétif qui reproche aux Maghrébins de France d’être «incapables de s’organiser pour lutter contre le statut de boucs émissaires dont les politiques les ont dotés». Interview.
Algeriepatriotique : Pouvez-vous nous retracer votre parcours en quelques mots ?
Azouz Begag : Je suis un fils d’immigrés algériens de Sétif, arrivés en France en 1949 pour le travail, analphabètes et pauvres, mais plein d’espérance pour leurs enfants. C’est grâce à cela que j’ai pu faire des études, depuis l’enfance jusqu’à l’université, sans encombre. En 1986, j’ai passé mon doctorat de sciences économiques, j’ai réussi le concours d’entrée au CNRS et j’ai publié mon premier roman, Le Gone du Chaaba, qui, aujourd’hui, est devenu un classique de la littérature française. En 2005, Dominique de Villepin et Jacques Chirac m’ont demandé d’entrer au gouvernement comme ministre de l’Egalité des chances. J’ai dit oui. Je suis, du coup, devenu un homme politique, sans jamais abandonner mon travail d’écrivain et de chercheur.
Vous avez participé samedi dernier à une conférence à Marseille dans le cadre du Dialogue des cultures et des civilisations. Que retenez-vous du débat ?
L’ambiance chaleureuse, fraternelle et survoltée du public marseillais. Rien ne ressemble à Marseille. Quelle belle ville ! Vitrine de la diversité française. L’intérêt de la rencontre de l’Ufac à Marseille a été, selon moi, de démontrer l’importance de la démocratie au Maghreb comme ailleurs, et de (re)nouer le lien de confiance entre les peuples et le pouvoir. L’avenir du Bassin méditerranéen tient à ce fil. On voit donc que le chantier est énorme.
J’ai, par ailleurs, été choqué de voir que l’Algérie avait décidé de discriminer les Franco-algériens en leur interdisant l’accès à certains droits dont jouissent les mono-nationaux. C’est bien le seul pays au monde qui pratique la hogra (déni de droit, ndlr) envers sa diaspora.
On a entendu un Azouz Begag plutôt pessimiste quant à l’intégration des communautés d’origine immigrée dans certaines sphères de la société française…
Il n’y a guère de raison d’être optimiste mais cela ne sert à rien d’être pessimiste. Ça ne fait pas avancer l’avenir. Je suis désolé de voir à quel point les Maghrébins de France, depuis quarante ans, se sont montrés incapables de s’organiser pour lutter contre le statut de boucs émissaires dont les politiques les ont dotés. Les Arabes se sont entendus pour ne jamais s’entendre, selon l’adage que tout le monde connaît. Eric Zemmour, Brice Hortefeux qui a affirmé qu’«avec les Arabes, quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup que ça pose des problèmes», Christian Estrosi et son obsession de la «cinquième colonne», l’islamophobie grandissante partout… Et, en face, aucune réponse collective. Rien ! C’est malheureux. Peut-être que nos enfants auront plus de force pour réagir et revendiquer avec fierté leur appartenance identitaire.
Le Gone de Chaaba, l’enfant du bidonville lyonnais, ce jeune fils d’ouvrier devenu ministre français, cela ne dément pas votre sentiment ?
Il faut travailler. Il faut lire. Il faut étudier. Disons cela tous les jours à nos enfants.
Vous avez lâché lors de la conférence un «ma ihabounach» (ils ne nous aiment pas). Vraiment ? De qui parlez-vous exactement ?
Ils ne veulent pas de nous. Depuis quarante ans, je vis des situations de rejet, d’exclusion, de racisme anti-arabe, antimaghrébin mais, surtout, anti-algérien. La raison ? La guerre n’est pas soldée pour beaucoup, ici. Comme à Béziers, en particulier, chez Robert Ménard, né à Oran. Il faudra attendre deux générations pour que les traces de cette colonisation et de la guerre d’indépendance soient effacées. «Ils ne veulent pas de nous» mais nous on est chez nous, ici. On reste ! On se bat pour défendre nos valeurs, celles de la République fraternelle et égalitaire.
Vous avez dénoncé un ministre français vous menaçant – par un geste d’égorgement ironique – pendant les conseils des ministres…
Oui, j’ai dénoncé le ministre Brice Hortefeux dont tout le monde sait «l’amour» qu’il voue aux Arabes (surtout quand il n’y en a qu’un). Rachida Dati, elle-même, le qualifiait de «facho». C’est tout dire. A moi, il disait «fissa, fissa !»
C’est ce qui expliquerait, selon vous, l’absence de Français d’origine maghrébine dans les institutions…
Deux à l’Assemblée nationale sur 577 ; trois au Sénat sur 348 ; cinq maires sur 36 000 ; un ambassadeur sur 200 ! Mais les musulmans sont 50% de la population en prison.
Le vote obligatoire est devenu votre cheval de bataille. Que signifie-t-il au juste cela, et comment y parvenir ?
Tout le monde vote sous peine d’amende et d’impossibilité de prétendre à des aides sociales. Beaucoup de pays comme le Brésil le font depuis longtemps. Ainsi, l’esprit citoyen va se développer et les discours racistes des candidats s’estomper.
Ce défi démocratique français, vous comptez le relever en investissant de nouveau le champ politique. Le quotidien La Provence a rapporté vos intentions politiques marseillaises…
Beaucoup d’amis marseillais me demandent depuis des années de venir me présenter à Marseille. Cette fois, je vais essayer dans le VIIe secteur dont le maire est Front National. On verra bien. Mais l’idée me séduit.
Comment reste-t-on algérien en étant si français ? (anecdote de la Nouvelle-Calédonie, ndlr)
Je suis franco-algérien. Comme des millions d’autres. Mon identité est un alliage simple. Je participe à consolider les ponts entre les deux pays du mieux que je le peux. Il y va de l’intérêt des uns et des autres. En Nouvelle-Calédonie, en 2006, alors que j’étais ministre, j’ai rendu visite à nos cousins de Bourail, Jean-Pierre Aïfa. Souvenir impérissable. Aïfa, de Sétif, est le maire de Bourail. Il est plus algérien que les Algériens. Ce voyage m’a marqué à vie. On nous a accueillis avec l’hymne national algérien ! Ces Français des antipodes sont des Algériens descendants des bagnards – les Mokrani – que la France a sévèrement punis parce qu’ils réclamaient l’égalité. On n’oublie pas.
Deux ouvrages en préparation pour début 2017. Le lectorat algérien peut-il espérer une vente-dédicace en Algérie ?
Systématiquement. Quand je fais un bouquin en France, je cours le dédicacer en Algérie. Ils paraîtront en janvier 2017, cinq mois avant l’élection présidentielle.
Interview réalisée par Akli Tira
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