Quand Erdogan se sert du malheur des migrants comme instrument de marchandage
La fin justifie les moyens. C’est le principe sur lequel le président turc Recep Tayyip Erdogan semble se reposer dans son bras de fer avec l’Union européenne (UE). Et son arme favorite paraît être le chantage aux migrants. Pour faire plier l’UE, qui cherche visiblement à geler les négociations d’adhésion avec son pays, Erdogan a ainsi clairement menacé aujourd’hui d’ouvrir les frontières pour laisser passer les migrants voulant se rendre en Europe. «Ecoutez-moi bien. Si vous allez plus loin, ces frontières s’ouvriront, mettez-vous ça dans la tête !», a-t-il lancé lors d’un discours musclé à Istanbul. Dans le même contexte, le Premier ministre turc Ben Ali Yildirim a fait savoir jeudi que sans l’aide de la Turquie, l’Europe aurait été «inondée par les immigrants», ajoutant que l’arrêt des pourparlers entre Bruxelles et Ankara serait davantage préjudiciable à l’Europe. Ankara et Bruxelles ont, rappelle-t-on, conclu en mars dernier un pacte qui a permis d’endiguer le flux de réfugiés vers les îles grecques.
Les sorties d’Edorgan et de Yildirim interviennent au lendemain du vote par le Parlement européen du «gel temporaire» des négociations d’adhésion de la Turquie au sein de l’UE en raison de la répression «disproportionnée» en cours. Ces dernières semaines, l’UE avait déjà condamné à de multiples reprises la purge tous azimuts lancée par Ankara aussi bien dans les organes régaliens du pays que dans la société civile. Des dizaines de milliers d’arrestations arbitraires ont ainsi été recensées.
Pour le moment, ce vote n’a aucune valeur légale. Il se veut avant tout symbolique et la décision de suspendre les négociations d’adhésion n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît. En effet, en raison de sa position géographique stratégique, à la fois à la lisière de l’Europe et du Moyen-Orient, se mettre à dos la Turquie est dangereux, surtout qu’Erdogan vient de montrer qu’il ne reculera devant rien.
Pour Bruxelles, l’accord conclu au printemps dernier, selon lequel la Turquie s’engage à temporiser l’afflux de réfugiés syriens en échange de la libre circulation sans visa des Turcs qui souhaitent se rendre en Europe, est vital. D’ailleurs, elle n’a pas rechigné à y souscrire, du moment que plusieurs de ses membres se disaient submergés par l’afflux migratoire. Ainsi, pour éviter de se déchirer en son sein sur cette épineuse question des réfugiés, l’UE a dû lâcher du lest à la Turquie. Et cela, Erdogan le sait. C’est la raison pour laquelle il continue à bomber le torse. Quant au devenir des migrants, il s’en contrefiche superbement.
Khider Cherif
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