Marée humaine à l’enterrement d’Amar Ezzahi : aucun parti politique n’aurait pu rassembler autant de monde
L’image restera probablement dans les esprits. Inoubliable. Des milliers de personnes entourant la dépouille drapée de l’emblème national. Amar Ezzahi s’en va, au milieu de nombreux Algériens anonymes qui ont fait le déplacement aujourd’hui au cimetière d’El-Kettar, à Alger, pour lui rendre un vibrant hommage. Moment précieux d’unité nationale que seuls les hommes humbles de ce pays savent désormais provoquer. Déjà, sur les réseaux sociaux, l’émotion avait envahi les discussions, les infos partagées, après la rumeur de sa mort, les démentis et, finalement, sa disparition confirmée. Les internautes et les citoyens dans la rue, tous reconnaissants et respectueux envers le maître incontesté du chaâbi. «Qu’on écoute ou non sa musique, Amar Ezzahi est connu comme un auteur-compositeur de haut rang. Sa réputation est demeurée intacte pendant tant d’années parce qu’il est toujours resté modeste et disponible, timide mais simple, un vrai artiste». Mouloud, fonctionnaire à la retraite, regrette ne pas avoir pu se rendre à l’enterrement. Il a fredonné toute la journée «Ya kadi ness el-ghram», triste, nous confie-t-il.
L’accompagnement par la foule de personnalités publiques, figures historiques, hommes politiques, artistes ou victimes de tragédies vers leur dernière demeure rappelle régulièrement l’unité des citoyens autour de valeurs ou des luttes nobles qu’ont incarnées les défunts. Un phénomène qui contredit les thèses de nombreux partis politiques ou d’analystes qui prétendent que les Algériens ne sont plus «mobilisables» ou qu’ils seraient devenus si «matérialistes» qu’ils en seraient devenus insensibles.
Pathétique et rassurante, cette tradition algérienne, bien inscrite dans l’islam, de faire fi des divisions lors des grands moments de la vie, en particulier lors des épreuves, peut interpeller tous les leaders d’opinion. Les Algériens ont besoin d’une gouvernance qui sache les réunir et cimenter davantage les différentes régions du pays au lieu de discours et invectives cultivant la rivalité, l’exclusion et les clivages sociaux.
D’ailleurs, cette convergence spontanée des citoyens du pays, soudés dans le deuil, l’indignation ou la révolte, intéresse particulièrement les conseillers qui attirent l’attention des hauts responsables afin que des communiqués opportuns soient diffusés. «Pour une réaction officielle au diapason de la société algérienne». Ainsi s’arrange-t-on au sommet de l’Etat afin de manifester condoléances et oraisons publiques à chaque fois qu’une personnalité populaire tire sa révérence. Le président Bouteflika a, d’ailleurs, rendu hommage «à l’icône de la chanson chaâbie».
Amar Ezzahi, Hocine Aït Ahmed, Si El-Hafid Yaha, le général Hocine Ben Maâlem, Malek Chebel, Djemâa Djoghlal… Tous ont provoqué le même mouvement de sympathie et de fierté nationale. Héros, patriotes généreux durant leur vie, ils ont terminé leur parcours terrestre en réussissant l’exploit d’offrir de rares instants de fusion populaire qui transcendent les obédiences politiques. Là, ce barbu portant kamis et chéchia, qui avoue, autour d’un thé, que son enfance a été bercée par le «doux chaâbi» de cheikh Ezzahi. Un aveu, dans la fraternité, en partageant des souvenirs, à la mémoire de l’artiste disparu…
Akli Tira
Comment (54)