Dérive médiatique dans l’affaire du lycéen de Dar El-Beïda : où sont Grine et l’Arav ?
L’affaire du décès du lycéen de 16 ans, Laïfa Rachid, survenu mercredi dernier à Dar El-Beïda, à l’est d’Alger, a présenté pour certains médias, en particulier de l’audiovisuel, tous les ingrédients qui en font une aubaine à ne pas rater à tout prix pour faire monter en flèche l’audimat, dont l’indice élevé permet d’attirer la publicité et les revenus considérables qu’elle génère. Condition préalable indispensable : il faut mettre de côté les exigences de la déontologie et de l’éthique martelées à tout bout de champ… audiovisuel par le ministre de la Communication, Hamid Grine. La dérive ne coûte rien à ces médias, puisque les prêches du ministre se font dans le désert et l’Arav, l’Autorité de régulation de l’audiovisuel, appelée à brandir les cartons, jaune ou rouge, de l’arbitre, laisse faire.
Au mois d’août dernier, à propos des rapts d’enfants, l’Arav avait appelé les médias à traiter les informations en se fiant exclusivement au procureur de la République. Elle avait insisté auprès des «acteurs du secteur» pour «se conformer» à l’éthique et à la déontologie de la profession. Le communiqué de l’Arav avait enfin souligné l’obligation du «respect des valeurs et des règles professionnelles qui obligent à remettre les événements dans un contexte informatif».
Le traitement de l’affaire du décès du lycéen de Dar El-Beïda a suivi une démarche complètement opposée aux recommandations de l’Arav. Le drame qui a frappé la famille Laïfa est en lui-même suffisamment grave et chargé d’émotion pour en rajouter à l’aide du montage stéréotypé, «prêt à l’emploi» dans cette catégorie d’événement, et transformer un fléau social à traiter sérieusement – la violence en milieu scolaire – en une histoire sordide à raconter avec pour motivation exclusive de racoler le public. Comment expliquer autrement l’annonce d’un meurtre sans même attendre les résultats de l’enquête. La vérité n’a pas tardé à commencer à se montrer : il s’est avéré que l’enfant est mort suite à un malaise et n’a pas été tué.
Hier, dans une déclaration à la presse, le procureur de la République près le tribunal d’El-Harrach, Mohamed Maâtallah, a démenti la version – mort due à des violences – donnée avec une trop grande précipitation et une surdose de sensationnel évidente et déplacée, sans prendre les précautions d’usage qui imposent d’attendre les résultats de l’autopsie et d’en faire référence. Il n’est pas du tout à l’honneur des journalistes de noter que le procureur a fait preuve dans sa déclaration d’un professionnalisme et d’une rigueur qui leur manquent souvent. Ses propos sont très mesurés quand il dit que «le décès serait dû plutôt à des problèmes de santé et l’enquête toujours en cours devrait définir avec précision les causes de sa mort».
Certes, les journalistes sont autorisés à user d’une liberté de ton qui fait partie du métier, mais ils ne sont pas exempts du sens de la responsabilité qui découle de l’impact de leur activité sur la société. Les codes de déontologie journalistique, partout dans le monde, et l’Algérie n’a aucune raison d’être une exception, déterminent la liberté et la responsabilité des journalistes, tout en reconnaissant leur droit et le devoir qu’ils ont d’informer le public sur ce qui se passe et qui présente un intérêt général, mais dans des normes précises et obligatoires. La plus élémentaire de ces normes est de ne diffuser une information que si elle est vérifiée. Mais pour respecter cette norme, le journaliste doit être absolument indépendant des motivations mercantiles. C’est sans doute le cas pour l’affaire du décès du jeune lycéen de Dar El-Beïda.
Houari Achouri
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