Une contribution du Dr Arab Kennouche – Manuel Valls peut-il ressusciter Sarkozy ?
Les résultats inattendus des élections américaines, ainsi que la désignation presque surprenante du candidat Fillon à la primaire des Républicains ont finalement eu raison des dernières certitudes politiques concernant l’avenir de la mondialisation libérale adossée à une défense acharnée des intérêts de l’euro-atlantisme. C’est le Brexit voté en grande pompe par le peuple britannique qui suscita la première lame de fond de ce qu’il faut appeler une réprobation unanime contre le parler faux des politiciens en décalage complet avec une réalité sociale de plus en plus insoutenable, et l’exigence de réalisations concrètes à court terme contre la montée inexorable du chômage et de l’insécurité salafiste. La reprise en main du champ politique par Monsieur-tout-le-monde est un nouveau facteur avec lequel il faudra désormais compter dans cette Europe moribonde.
Que ce soit en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis même, l’électeur est devenu impitoyable avec le besoin urgent de traiter effectivement les problèmes de son environnement direct contre la sempiternelle logorrhée du système dont on abreuvait les citoyens depuis des décennies. Il faudra désormais aux politiciens ne pas simplement promettre, mais poser devant les yeux de chaque citoyen les résultats tangibles de décisions pertinentes et efficaces. Nicolas Sarkozy, le premier, a fait les frais de ce surge anglo-saxon, qui prône désormais bien plus qu’un parler vrai, sinon un désir souverain de la part des nations occidentales de ne plus subir les aspérités verbales, les fausses promesses, la politique-spectacle d’un personnel complètement et sciemment déconnecté des problèmes que subissent les gens au quotidien.
C’est bien en ce sens qu’il faut interpréter la valorisation de l’humilité, de la circonspection, de l’honnêteté et de la franchise perceptibles dans le personnage médiatique effacé d’un François Fillon contre l’esclandre, la roublardise et l’hystérie verbale d’un Nicolas Sarkozy cafouilleur à la moindre difficulté, ou même d’un Alain Juppé peut-être trop vite blanchi ?
Sommes-nous donc parvenus à l’ère d’une nouvelle Real Politik qui mettrait en défaut les derniers résidus de l’esbroufe politique dont la geste et le verbe ne suffiraient plus à calmer les ardeurs d’un peuple européen largement échaudé par les crises migratoires et le terrorisme islamiste ? Manuel Valls risque-t-il de pâtir de cette image sulfureuse qui lui colle à la peau, alors que le contexte post-Brexit et trumpien lui commande de gommer toutes ses aspérités et d’écouter le désarroi d’une société française en ébullition ?
Des engeances sarkoziennes
Il est évident que dans la course à l’élection présidentielle de 2017, Manuel Valls ne part pas gagnant. L’image médiatique qu’il renvoie est en porte-à-faux avec le besoin de sérénité, d’assurance et de détermination exigées par le contexte politique actuel en France. En d’autres termes, Valls rappelle encore trop Nicolas Sarkozy tant dans le comportement que dans le verbe : de déclarations intempestives en promesses électorales non tenues, il ne rassure pas les Français sur des sujets qui les préoccupent en premier lieu.
Encore soucieux d’un multiculturalisme droit-de-l’hommiste suranné, il peine à défendre l’idée d’un islam républicain rasséréné alors que les actes terroristes se sont accrus sous son gouvernement. Le laxisme de sa politique migratoire n’est pas pour rassurer les Français, non plus, qui exigent désormais des mesures radicales. Il n’est pas certain, en effet, que devant l’exaspération insoutenable des Français, sa politique encore trop conciliatrice suffise à donner des garanties de sortie de crise face à la menace terroriste : en démantelant la Jungle de Calais et en répartissant les migrants sur le territoire français, Hollande et Valls n’ont fait que confirmer leur conception désormais caduque d’une politique migratoire laxiste et dangereuse pour la sécurité des Français.
Or, il est désormais presque établi que l’interventionnisme abusif de François Hollande en Afrique subsaharienne et en Syrie est ressenti en France, au moins par une partie importante de la population, comme ayant été la cause directe de ces migrations rapidement perçues comme dérangeantes, voire dangereuses pour une nation en crise. A l’ère d’un retour du protectionnisme, du souverainisme, voire de certaines formes d’isolationnisme, on ne voit pas comment un Manuel Valls, encore empêtré dans le sillage atlantiste de François Hollande et Nicolas Sarkozy, pourrait convaincre du bien-fondé de l’exportation de la clinquante démocratie occidentale si, dans le même temps, des centaines de milliers de boat-people parviennent sur les côtes françaises.
La France multiculturelle, pacifiée avec elle-même, la France black-blanc-beur des années mitterrandiennes et chiraquiennes ne se ressent plus comme «une préoccupation majeure des Français» dans un contexte de chômage massif et de terrorisme islamiste : en continuant de surfer sur la vague de l’intégration post-années 80, le parti socialiste semble faire la sourde oreille à un phénomène inquiétant, la salafisation des banlieues qui, outre-manche, a contribué à l’expression du Brexit.
Dans le même temps, on a présenté au public un Manuel Valls sur un angle velléitaire, plein d’énergie, le Zorro du socialisme bon teint, en phase avec les banques d’affaires pour lesquelles il chanterait les bienfaits d’une social-démocratie franchement libérale, contre un François Hollande bien trop pantouflard, qui n’a réellement jamais songé à rompre avec ses vieilles racines normandes. En acceptant de jouer le rôle du méchant, du second qui plante sa dague dans le coup de son maître, Valls confirme ses engeances sarkoziennes – on se souvient du coup de Sarkozy contre Chirac – qu’il traînera comme des boulets jusqu’aux élections de 2017. Et sans doute, par une confusion de la photocopie et de l’original, les Français finiront par décider de s’en remettre à François Fillon.
Le temps du Faire ou se taire
En France, plus qu’ailleurs, il sera encore question d’image, du personnage en jeu dans le miroir des Français. Sinon, comment comprendre qu’après tant d’années de désastre économique, l’alternance gauche-droite n’ait pu jamais être prise en défaut ? En titrant l’un de ses livres, Faire, François Fillon a saisi le sens du contexte politique actuel que les électeurs d’outre-Atlantique et d’outre-Manche ont réclamé haut et fort : faire sans faire de vagues, faire dans le silence et l’abnégation, faire dans la rupture, faire sans parler.
La vérité sera désormais visible dans le faire et non dans l’attente, le calcul, le renvoi, le déni. L’acte politique n’aura d’yeux pour le citoyen que dans la visibilité du faire et de la transformation du monde qui l’entoure. Il faudra donc plus que du «rassemblement», plus que de la gauche «authentique» ou d’une énième politique de gauche à un Manuel Valls encore tout fraîchement débarqué de son poste de Premier ministre pour battre un François Fillon bien mieux armé pour s’attirer les faveurs d’une nation qui réclame humilité, sincérité et action immédiate.
A moins que ces trois exigences ne trouvent grâce qu’en la personne d’une Marine Le Pen aux aguets dans cette dernière ligne droite.
Dr Arab Kennouche
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