Le Maroc : un modèle en termes de faux-fuyants
Par Boudjemaa Selimia – Le Maroc qui s’était engagé dans un grand projet en trompe-l’œil de réforme après le «printemps arabe», est en train de glisser vers un régime autocratique impitoyable. Malgré le grand tapage ayant accompagné l’introduction du projet de la nouvelle constitution en 2011, la marginalisation économique continue. Le manque de transparence et les abus commis par les forces de sécurité ont conduit les citoyens à investir la rue pour la première fois en cinq ans pour exprimer leur colère et leur désarroi face aux injustices et aux politiques infructueuses du gouvernement.
Les observateurs et les organisations de défense des droits de l’Homme affirment que les sbires du Makhzen, pris de panique, recourent à la violence sauvage pour mater toute action exprimant une quelconque forme de mécontentement, allant jusqu’à s’interposer pour stopper toute tentative de prise de parole dans l’espace public, entraver la liberté de la presse, en adoptant la stratégie du tout sécuritaire pour empêcher un nouveau mouvement de protestation de gagner du terrain.
Le Maroc, constate The Christian Science Monitor (CSM), est un cas d’école dans le monde arabe en termes de faux-fuyants, car il ne suffit pas de changer les lois sur le papier sans réformer les institutions qui légifèrent pour prétendre que le changement opéré est profond. En tout cas, pour le cas du Maroc rien n’a réellement changé. Les institutions restent de plus en plus opaques dans leur mode de fonctionnement, alors que l’absence de transparence à tous les niveaux accentue la suprématie du monarque et sa cour.
Aujourd’hui, et de l’avis de tous les experts, les indicateurs sont au rouge dans la monarchie alaouite, le taux de chômage se situe toujours autour de 10%, alors que le chômage des jeunes a doublé depuis le lancement des réformes, atteignant 39% dans les zones urbaines. Depuis les réformes, la liberté d’expression a largement reculé. L’Etat marocain contrôle drastiquement les réseaux sociaux, les supports de communication digitale, tels que les appels vocaux via Skype, Facebook, Messenger et WhatsApp, pour protéger les entreprises de télécommunications de la concurrence dite déloyale. Le Makhzen, qui tente de soigner son image à l’étranger, notamment dans le domaine des libertés et du respect des droits fondamentaux, a procédé récemment, relève CSM, à une série d’arrestations ciblant des journalistes de haut niveau et des militants des droits de l’Homme. En juin, le pouvoir judiciaire a entamé un procès contre sept militants des droits de l’Homme pour avoir lancé un projet de formation de journalistes citoyens via une application de téléphonie mobile.
C’est dans ce climat donc d’atteinte aux libertés et de méfiance envers l’Etat que des manifestations ont éclaté le mois octobre dernier, suite à la mort du marchand de poisson Mouhcine Fikri. Ce dernier a été écrasé par un camion alors qu’il tentait de récupérer plus de 11 000 dollars d’espadon confisqué par les autorités. Suite à cet incident, le mouvement de protestation a gagné toute la région natale de Fikri, Al-Hoceima, une région traditionnellement marginalisée du Rif. Les manifestations se sont répandues même dans la capitale Rabat. Depuis plusieurs jours, la tension a atteint son comble dans la rue marocaine, la colère a été visible parmi les manifestants qui dénonçaient la répression démesurée des forces de sécurité et des troupes d’élite agissant sous les ordres du palais. Ce malaise, qui a fait bouger la rue marocaine, montre à quel point, concluent les analystes du Christian Science Monitor, les réformes tant acclamées par le Maroc restent juste la vitrine d’un changement superficiel du fonctionnement des institutions du Makhzen, considérées par l’ensemble des observateurs comme de la poudre aux yeux. Mais l’avenir nous en dira plus.
B. S.
(Londres)
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