L’historien Ali-Farid Belkadi répond à Bruno David – Jean-Marc Ayrault, les têtes du Muséum et les crimes de guerre
Le président du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Bruno David, a évoqué devant les députés de l’Assemblée française la complexité du processus de restitution des crânes des résistants algériens réclamés par l’Algérie. Il n’est que le président du Muséum, rien que cela. Un poste purement honoraire auquel il a été nommé par décret présidentiel du 20 juillet 2015, paru au Journal officiel du 22 juillet (JORF n°0167), président du Muséum national d’histoire naturelle, depuis le 1er septembre 2015. La décision de rendre ou ne pas rendre ne lui appartient pas. Il ne fait que reprendre ce qui a été déjà dit depuis toujours au Muséum par tous les responsables rencontrés sur les lieux. Avant lui, il y eut Bernard Chevassus-au-Louis qui dirigea le MNHN de Paris de janvier 2002 à janvier 2006. Bernard Chevassus-au-Louis succéda à Henry de Lumley. Bruno David suivra. André Menez vint à la suite de Bernard Chevassus-au-Louis en 2006. Les jours passent et se ressemblent. Bruno David n’est pas ministre, et quand bien même il le serait, l’affaire du Muséum est au-dessus de sa tête. Car la décision est éminemment politique.
On peut à la rigueur prendre de temps à autre une petite initiative, comme cet ancien président du MNHN de Paris, Bernard Chevassus-au-Louis, qui prit la décision personnelle d’offrir la copie du buste du martyr Ben Allal aux descendants de ce dernier. Nul n’avait jamais entendu parler de ce buste auparavant ; on en découvrit l’existence dans un de mes innombrables textes publiés sur les restes mortuaires depuis leur mise au jour au MNHN de Paris. C’est le savant Dumoutier qui exécuta artistement le buste de Mohammed Embarek Ben Allal, le lieutenant de l’Emir Abdelkader, mort les armes à la main le 11 novembre 1843.
La posture rudimentaire des responsables des musées face au problème de la restitution des restes mortuaires à leur pays d’origine est calquée sur celle d’une ancienne ministre de la Culture française, C. Albanel. Cette ministre de la Culture et de la Communication de mai 2007 à juin 2009, dans les gouvernements Fillon, s’était déjà farouchement opposée au retour des têtes maories dans leur pays d’origine. Les Maoris de la Nouvelle-Zélande passant outre les fâcheux avis de la ministre, en insistant, ont fini par récupérer les restes de leurs ancêtres. En octobre 2007, cette ministre, dont personne n’entend plus parler, s’était opposée à la restitution d’une tête de guerrier maori tatouée, formulée depuis 1992 par le Musée national néozélandais Te Papa Tongarewa. Cette tête était conservée par le Muséum d’histoire naturelle de Rouen. Le conseil municipal de la ville de Rouen vota sa restitution à la communauté maorie. La ministre de la Culture fit annuler la décision par le tribunal administratif de Rouen le 27 décembre 2007. Les partisans de la restitution jugèrent, alors, que ces fragments de corps humains devaient être restitués à leur communauté d’origine au nom de la loi sur la bioéthique de 1994. Alors que la ministre, «en vertu de l’article 11 de la loi du 4 janvier 2002 sur les musées de France», jugea qu’il s’agissait de pièces de collection publiques, en l’occurrence anthropologiques, qui, à ce titre, étaient inaliénables, c’est-à-dire qu’elles ne pouvaient ni être vendues ni être cédées à quiconque, à défaut d’une procédure préalable de déclassement ou d’une loi spéciale.
Mme Albanel perdit la mise et elle n’est plus là. Entre autres évènements culturels, cette dame a organisé une exposition de robes de mariées de Christian Lacroix dans la chapelle royale du Musée de Versailles, un acte qui exprime le niveau remarquablement culturel de l’intéressée. «Partout mais pas à Versailles ! Quand même ! Quelle atteinte au prestige de Versailles !», me dit un jour un ami français.
Bruno David est un fonctionnaire de l’Etat. Il fait ce qu’on lui dit de faire, et il le dit haut.
Je finalise actuellement la liste des restes mortuaires, à la demande du ministère des Moudjahidine. Du côté d’Alger, on est bien décidé à rapatrier ces restes, quelles que soient les difficultés. Outre la liste officielle déjà dressée en 2011, qui comprend une quarantaine de martyrs, des éléments nouveaux sont apparus dans le dépouillement de lettres datant des premières années de la colonisation, ces lettres, dont les copies sont en ma possession, révèlent l’existence d’autres restes mortuaires qui ont été expédiés à Paris depuis Alger par les anthropologues de l’époque, dans les années 1830, 1840 et 1850.
Une de ces lettres datée du 10 décembre 1845, adressée d’Alger au Muséum de Paris, dit : «Monsieur et très honoré confrère. J’ai l’honneur de vous annoncer en réponse à votre lettre du 24 du mois dernier que, déjà depuis une quinzaine de jours, je vous ai expédié par la voie de Toulon un petit baril contenant les objets suivants : un fœtus de 6 à 7 mois, la tête d’une jolie petite fille de l’âge de 7 à 8 ans, des portions de téguments prises sur deux femmes. (…) Je conserve encore dans l’alcool plusieurs têtes d’hommes et de femmes.»
Pendant ce temps, Jean-Marc Ayrault, le ministre des Affaires étrangères français, au pays de la Déclaration des droits de l’Homme (non appliqués), parle de crimes de guerre et entend traîner on ne sait trop qui au CPI, la Russie ou la Syrie. Cette Cour pénale internationale qui juge les personnes accusées de crimes graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Des criminels de préférence noirs.
Ali Farid Belkadi
Historien, anthropologue
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